Intéressantes précisions en matière d’escroquerie au jugement et de responsabilité pénale de la personne morale

Doublement intéressant, cet arrêt apporte des précisions à la fois sur la caractérisation d’une tentative d’escroquerie au jugement et sur la responsabilité pénale de la personne morale.

En l’espèce, une société porte plainte et se constitue partie civile des chefs de faux, usage et escroquerie au jugement. Elle fait valoir qu’une autre société, avec qui elle avait un litige au sujet de la location d’un véhicule, a produit devant le tribunal de commerce des documents contrefaits. Le juge d’instruction saisi a renvoyé cette société devant le tribunal correctionnel uniquement du chef de tentative d’escroquerie. Devant cette juridiction, la société a été déclarée coupable et condamnée à une peine d’amende. Après avoir en vain relevé appel, elle forme un pourvoi en cassation.

Eléments constitutifs de la tentative d’escroquerie au jugement

Dans le premier moyen, elle fait grief aux juges du fond de l’avoir déclarée coupable de tentative d’escroquerie au jugement. La requérante considère en effet que l’infraction ne pouvait pas être caractérisée car le bien détourné, en l’espèce des copies de documents falsifiés relatifs au contrat de location de longue durée de la voiture, lui appartenait. Elle se fonde également sur la nature de ce contrat, pour affirmer qu’il ne peut pas être de nature à entraîner un transfert de propriété et qu’il ne pouvait pas, en conséquence, servir de fondement aux poursuites du chef d’escroquerie. Enfin, selon elle, l’escroquerie suppose que la remise s’effectue au préjudice de la personne trompée ou au préjudice d’un tiers, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Devant la chambre criminelle elle reproche aux juges du fond, devant qui elle avait déjà invoqué ces arguments dans ses écritures régulièrement déposées, de ne pas lui avoir répondu.

Cet argument de la non-réponse aux conclusions paraît à première vue pertinent, dans la mesure où la chambre criminelle a déjà plusieurs fois montré son attachement à l’article 593 du code de procédure pénale, visé par la société requérante, en rappelant que les juges du fond doivent répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. Elle a ainsi pu déduire de ce texte que l’arrêt qui laisse sans réponses des conclusions constituant un système de défense doit être cassé (Crim. 28 sept. 2016, n° 16-84.384 P, Dalloz actualité, 12 oct. 2016, obs. D. Goetz ; Procédures 2016, n° 375, note A.-S. Chavent-Leclère). La requérante espérait donc vraisemblablement obtenir une cassation fondée sur l’obligation qui pèse sur les juges de statuer sur tous les chefs de conclusion dont ils sont saisis (Crim. 15 mai 2019, nos 19-81.531 et 18-80.121, Dalloz actualité, 28 mai 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 1108 ; 22 mars 1983, n° 83-90.478 P, JCP 1984. II. 20251, note Chambon). En l’espèce, la chambre criminelle approuve cependant les juges du fond au motif que le moyen, critiquant la détermination du propriétaire du véhicule loué, est inopérant pour juger de l’existence d’une tentative d’escroquerie au jugement qui a pour seul objet une décision juridictionnelle susceptible d’opérer obligation ou décharge au sens de l’article 313-1 du code pénal.

Ce faisant, et à juste titre, la chambre criminelle n’érige pas l’argument des non-réponses à conclusions comme un sésame valant obligatoirement cassation. Par cet arrêt, elle rappelle ainsi, en filigrane, que les juges ne sont pas tenus de répondre à tous les arguments invoqués à l’appui des conclusions (Crim. 13 juill. 1951). Ils n’ont l’obligation de répondre qu’aux moyens péremptoires qui sont de nature à influer sur la solution du litige (Crim. 9 mai 1994, n° 94-81.196). En l’espèce, ce n’était pas le cas. En effet, l’escroquerie au jugement, qui est une déclinaison prétorienne du délit d’escroquerie, consiste en l’obtention d’un jugement par des procédés frauduleux (Crim. 4 avr. 1944, Bull. crim. n° 152 ; 8 nov. 1962, Bull. crim. n° 312 ; 16 mai 1979, RSC 1980. 447, obs. P. Bouzat ; 14 nov. 1979, n° 79-90.407 ; 3 juin 2004, n° 03-84.959). Le seul objet de cette infraction est d’obtenir une décision juridictionnelle susceptible d’opérer obligation ou décharge au sens de l’article 313-1 du code pénal, et ce peu importe que le contrat de location longue durée n’emporte pas de transfert de propriété. Cette position confirme un arrêt récent dans lequel la chambre criminelle a indiqué que l’escroquerie au jugement peut être caractérisée, au niveau matériel, par la production d’un document simplement mensonger opérant charge ou décharge (Crim. 8 mars 2023, n° 21-86.859, Dalloz actualité, 14 avr. 2023, obs. J. Gallois ; D. 2023. 1663, obs. C. Mascala ; ibid. 2102, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, J.-P. Laborde et S. Mirabail ; AJ pénal 2023. 242 et les obs. ; RSC 2023. 806, obs. H. Matsopoulou ).

Identification de l’organe ou du représentant

Dans le second moyen, la société requérante reproche aux juges du fond de lui avoir imputé l’infraction au motif que le directeur juridique, à qui il était reproché d’avoir commis les faits pour le compte de la société, n’avait pas été visé et identifié comme étant un de ses organes ou un de ses représentants.

La chambre criminelle écarte ce moyen au motif que la désignation de l’intéressé, en qualité d’organe ou de représentant, a été évoquée lors des débats et que la requérante a été en mesure de s’en expliquer devant la cour d’appel. Elle approuve ainsi les juges du fond d’avoir considéré qu’en raison de sa qualité de directeur juridique, il était tenu de connaître les dispositions légales et qu’il ne pouvait ignorer, notamment en raison des conditions de création informatique de cette pièce, que le document était un faux.

Ce choix s’inscrit avec cohérence dans la jurisprudence récente de la chambre criminelle qui n’hésite pas à faire preuve de pragmatisme en matière d’identification de l’organe ou du représentant ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale (Crim. 24 mai 2022, n° 21-85.722 ; 17 oct. 2023, n° 22-84.021, Dalloz actualité, 10 nov. 2023, obs. M. Recotillet ; AJ pénal 2024. 38, obs. M.-C. Sordino ; ibid. 2023. 550, obs. F. Chopin ; Rev. sociétés 2024. 45, note H. Matsopoulou ; Dr. soc. 2024. 90, étude R. Salomon ; ibid. 90, étude R. Salomon ; ibid. 180, étude R. Salomon ; RTD com. 2023. 955, obs. L. Saenko ; ibid. 958, obs. L. Saenko ).

 

Crim. 24 avr. 2024, F-B, n° 22-82.646

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