Intérêts moratoires : non-cumul des intérêts légaux de retard et des pénalités de retard

La pénalité de retard prévue à l’article L. 441-6, I, alinéa 8, du code de commerce, devenu L. 441-10, II, du même code, constitue un intérêt moratoire. Ayant la même nature, elle ne se cumule pas avec les intérêts légaux de retard au sens de l’article 1153, alinéas 1er et 2, et de l’article 1231-6 du code civil.

Pour lutter contre les retards de paiement entre professionnels, l’article L. 411-10, II, du code de commerce a prévu une sanction immédiate : les pénalités de retard. Elles s’appliquent dès le premier jour de retard et sont fixées par défaut au « taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points de pourcentage ». Les parties peuvent également convenir d’un autre taux qui ne pourra toutefois être « inférieur à trois fois le taux d’intérêt légal ».

Ces dispositions commerciales sont à mettre en regard des intérêts légaux de retard de droit commun prévus aux articles 1231-6 (pour les contrats) et 1344-1 (plus généralement pour les obligations) du code civil. Moins avantageux, les intérêts légaux de retard s’appliquent après mise en demeure, au taux d’intérêt légal.

Concrètement, à la date de la rédaction de ce commentaire, le taux par défaut des pénalités de retard était de 14,5 %, contre 4,22 % pour le seul taux d’intérêt légal. Les professionnels sont donc, de ce point de vue, logés à bien meilleure enseigne que le reste des créanciers impayés.

En l’espèce, une société a assigné en référé son débiteur pour obtenir une provision sur les sommes impayées. Elle demandait que la provision soit constituée à hauteur du principal, majoré des pénalités de retard de l’article L. 411-10 du code de commerce et des intérêts légaux de retard des articles 1231-6 et 1344-1 du code civil.

Dans son ordonnance, le juge des référés refuse le cumul au visa de l’article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, qui prévoit qu’en référé, seul le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée peut être accordé en provision.

Or, le juge des référés retient ici que la question du cumul de ces deux dispositions soulève une contestation sérieuse, qui échappe donc à sa compétence, et fait le choix d’appliquer à la provision uniquement les intérêts légaux de retard de l’article 1231-6 du code civil. Il convient de souligner que le choix de privilégier le mécanisme civil est contestable. En effet, les pénalités de retard de l’article L. 411-10 du code de commerce s’appliquent de plein droit entre professionnels. Ces pénalités ne pouvaient donc en l’espèce être considérées comme « sérieusement contestables », et auraient dû être appliquées à la place des intérêts légaux de retard.

Dans son arrêt du 24 avril 2024, la Cour de cassation écarte le cumul de ces deux mécanismes et confirme que la question, lorsqu’elle fut posée en première instance, était bien constitutive d’une contestation sérieuse, échappant au pouvoir du juge des référés. La contestation était d’autant plus sérieuse que la demande était en réalité non fondée.

En effet, en application du principe specialia generalibus derogant, repris s’agissant des contrats à l’article 1105 du code civil, la Cour constate que l’article L. 411-10 du code de commerce est une disposition spéciale, dérogeant aux mécanismes généraux prévus par le code civil.

La Cour retient ainsi que si leur régime juridique et leurs conditions d’application diffèrent, ces dispositions réparent le même préjudice : « le préjudice né du retard apporté au paiement par le débiteur ». À ce titre, pénalités de retard et intérêts légaux de retard sont de nature identique.

Ce sont tous deux des intérêts moratoires, qui ne peuvent donc s’appliquer qu’alternativement. Cette solution est parfaitement logique, les professionnels étant déjà privilégiés par des conditions d’application plus souples et un taux d’intérêt bien plus intéressant, rien ne justifiait de cumuler réparation civile et commerciale d’un même préjudice.

Enfin, il convient de relever que la Cour de cassation a écarté la demande de question préjudicielle soulevée par la requérante au pourvoi. En effet, les pénalités de retard françaises sont issues des transpositions successives des directives européennes concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (la dernière refonte de la directive datant du 16 févr. 2011, dir. 2011/7/UE). La requérante, sans convaincre, prétextait qu’à la lumière de l’article 3 de la directive, l’article L. 411-10 du code de commerce devait s’interpréter comme permettant le cumul avec les intérêts légaux de retard. La Cour de cassation constate à juste titre que l’interprétation de la directive ne soulève aucun doute raisonnable sur cette question. Cet article impose aux États membres de prévoir dans leur droit national que les créanciers puissent réclamer « des intérêts de retard de paiement ». Le quinzième considérant de la directive parle même d’« intérêts légaux exigibles en cas de retard de paiement ». Ainsi, même à la lumière de cette directive, il y a bien identité de nature entre les intérêts de l’article L. 411-10 du code de commerce, et ceux des articles 1231-6 et 1344-1 du code civil.

 

Com. 24 avr. 2024, F-B, n° 22-24.275

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