Investissement locatif en Nouvelle-Calédonie : qui détermine le bénéfice d’un régime fiscal de faveur ?

Dès lors que l’administration fiscale métropolitaine, informée par les contribuables de la vacance des locaux acquis et loués en vertu du dispositif fiscal « Scellier outre-mer », n’avait pas remis en cause la réduction d’impôt sur le revenu accordée aux contribuables en vertu de ce dispositif fiscal de faveur, la direction des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie ne pouvait valablement mettre en recouvrement les droits et taxes de mutation dont la perception avait été différée.

Par acte du 30 septembre 2011, des époux, résidents fiscaux en France métropolitaine, ont acquis, en l’état futur d’achèvement, un bien immobilier situé à Nouméa, en vue de bénéficier de la réduction d’impôt sur le revenu prévue par le dispositif Scellier en faveur des investissements locatifs, dans sa version applicable à l’outre-mer (CGI, art. 199 septvicies). Pour rappel, le dispositif Scellier a pris fin en 2012, conformément à la loi de finances pour 2013. La réduction d’impôt sur le revenu qu’il prévoit s’applique aux contribuables domiciliés en France qui acquièrent ou font construire des logements neufs du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2012 et qui s’engagent à les donner en location nue à usage d’habitation principale du locataire pour une durée minimale fixée à neuf ans, à une personne autre qu’un membre de leur foyer fiscal. Pendant toute la période couverte par l’engagement de location, le loyer ne doit pas être supérieur à certains plafonds fixés par décret. La loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer a aménagé cet avantage fiscal en prévoyant des dispositions spécifiques pour les investissements locatifs situés outre-mer. Ce dispositif est connu sous la dénomination de « Scellier outre-mer ». Cette loi a étendu le champ d’application géographique de la réduction d’impôt aux investissements réalisés à Mayotte et dans les collectivités d’outre-mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint Pierre-et-Miquelon, Nouvelle Calédonie, Polynésie française, îles Wallis et Futuna). Elle a adapté les plafonds de loyers et de ressources des locataires pour les investissements réalisés dans les départements et les collectivités d’outre-mer, ainsi que les taux de la réduction d’impôt pour les investissements réalisés outre-mer.

En l’espèce, l’acquisition a été réalisée sous le bénéfice du régime du droit fixe d’enregistrement prévu aux articles Lp. 290-2 et R. 270 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie. Mais le 12 mars 2019, la Direction des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie a remis en cause le bénéfice de ce régime de faveur, au motif que les époux n’avaient pas respecté l’engagement de louer le bien pendant une durée minimale de cinq ans. Après le rejet de leur contestation, soutenant que l’avantage fiscal n’avait pas été remis en cause par l’administration fiscale métropolitaine, les époux ont assigné le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en annulation de la décision de rejet.

Leur demande est rejetée par la Cour d’appel de Nouméa qui les condamne à payer au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie la somme de 3 294 530 F CFP au titre de ce redressement. Ils se pourvoient alors en cassation. Dans leur pourvoi, ils estiment que l’appréciation du bénéfice d’un régime fiscal, tel que le dispositif Scellier en faveur des investissements locatifs relève de la compétence exclusive des services fiscaux métropolitains, le territoire de Nouvelle-Calédonie constituant un territoire étranger en matière fiscale. La cour d’appel aurait méconnu le caractère extraterritorial du territoire de la Nouvelle-Calédonie en matière fiscale qui interdisait de remettre en cause le bénéfice d’un régime fiscal accordé à un résident fiscal français par le code général des impôts et permettait à ce dernier de bénéficier du régime de faveur des droits d’enregistrement prévus par la loi de pays.

La Cour de cassation leur donne raison, censurant l’arrêt d’appel au visa de l’article Lp. 290-2, IV, alinéa 1er, du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction issue de la loi du pays n° 2010-14 du 31 décembre 2010 portant diverses dispositions d’ordre fiscal. Elle en rappelle d’abord la teneur : aux termes de ce texte, en cas de remise en cause de la réduction d’impôt, selon les cas prévus à l’article 199 septvicies du code général des impôts, l’acquéreur qui a bénéficié du droit fixe est tenu d’acquitter les droits et taxes de mutation dont la perception a été différée.

Il en résulte, ajoute-t-elle, que « le bénéfice du droit fixe d’enregistrement ne peut être remis en cause en l’absence de remise en cause préalable de la réduction d’impôt sur le revenu accordée sur le fondement de l’article 199 septvicies du code général des impôts aux acquéreurs du bien en cause » (§ 8). Elle estime que dès lors que la Cour d’appel de Nouméa a relevé que l’administration fiscale métropolitaine, informée par les contribuables de la vacance des locaux, n’avait pas remis en cause la réduction d’impôt sur le revenu accordée aux époux, la direction des services fiscaux de la Nouvelle-Calédonie ne pouvait valablement mettre en recouvrement les droits et taxes de mutation dont la perception avait été différée. En jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article Lp. 290-2, IV, alinéa 1er, du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie.

 

Com. 18 sept. 2024, F-B, n° 23-12.182

Lefebvre Dalloz