Irresponsabilité pénale : focus sur l’impossibilité pour la chambre de l’instruction d’entendre un expert

Par cet arrêt relatif à la procédure applicable en matière d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la chambre criminelle fournit une illustration d’impossibilité, pour la chambre de l’instruction, d’entendre un expert.

Lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur le fondement de l’article 706-120 du code de procédure pénale parce que le juge d’instruction a estimé qu’il existait contre la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés mais qu’il y a des raisons plausibles de la déclarer pénalement irresponsable parce qu’elle était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, elle doit, selon l’article 706-122 du code de procédure pénale, entendre les experts ayant examiné la personne mise en examen, conformément à l’article 168 du même code. Ce texte prévoit que les experts exposent à l’audience, s’il y a lieu, le résultat des opérations techniques auxquelles ils ont procédé et que des questions peuvent leur être posées par le président, le ministère public et les avocats des parties.

En l’espèce, le pourvoi est formé par un individu renvoyé devant la juridiction criminelle des chefs de tentative de meurtre, viols, violences, dégradations aggravées et proxénétisme. Il lui est reproché d’avoir, le 1er septembre 2021, porté des coups de couteau à sa concubine avant d’incendier l’appartement du couple. Durant l’enquête, la victime a parallèlement dénoncé des faits de viols et de proxénétisme et plusieurs de ses anciennes compagnes ont également évoqué des faits de viols, de proxénétisme et de violences.

S’agissant des faits commis le 1er septembre 2021, l’intéressé a fait valoir que son discernement avait été aboli. À l’issue de l’information, le magistrat instructeur a ordonné la disjonction des faits de tentative de meurtre et de dégradations et a considéré qu’il existait des charges suffisantes contre le mis en examen d’avoir commis ces faits. Dans ce contexte, la chambre de l’instruction saisie pour se prononcer sur sa responsabilité pénale a estimé qu’il était pénalement responsable.

L’indispensable audition des experts par la chambre de l’instruction

Dans son pourvoi, l’intéressé affirme que la procédure prévue par le législateur aux articles 706-119 à 706-140 du code de procédure pénale en matière d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n’a pas été respectée. Il rappelle qu’en application de l’article 706-120 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction doit entendre les experts ayant examiné le mis en examen afin qu’ils exposent le résultat des opérations auxquelles ils ont procédé. Or, il constate que la chambre de l’instruction a statué sans entendre un des médecins qui l’avait examiné, et ce, sans justifier l’impossibilité d’entendre cet expert. La chambre de l’instruction s’était, selon lui, limitée à indiquer qu’elle n’avait pas pu entendre ce médecin, qui était désormais à la retraite. Ce faisant, il rappelle que lorsque la chambre de l’instruction est saisie d’un recours contre une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, les experts ayant examiné la personne mise en examen doivent être entendus par la chambre de l’instruction. Il est vrai que la chambre criminelle n’hésite pas à censurer les arrêts dont les mentions ne permettent pas à la Cour de cassation de s’assurer que l’un des experts, au moins, a été entendu (Crim. 8 juill. 2020, n° 19-85.954, Dalloz actualité, 7 sept. 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 1463  ; AJ pénal 2020. 414, obs. J.-B. Thierry  ; RSC 2020. 686, obs. P.-J. Delage ).

La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi. Elle confirme que cet expert ayant examiné le mis en examen n’a pas été entendu par la chambre de l’instruction. Cependant, elle constate que le requérant avait fait l’objet de trois expertises destinées à apprécier sa responsabilité pénale et qu’au moins un des experts ayant procédé à chacune des deux contre-expertises a été entendu. En l’espèce, l’expert qui n’a pas été entendu, et qui avait réalisé la première expertise, est désormais à la retraite et a été vainement recherché. En contrôlant les pièces de la procédure, la chambre criminelle constate que la convocation envoyée à cet expert par mail n’a pas pu être délivrée, l’adresse électronique n’étant plus valide. Elle relève également que le greffe a laissé sans succès plusieurs messages sur son répondeur téléphonique et a sollicité l’hôpital où exerçait ce médecin afin d’obtenir ses coordonnées. L’établissement hospitalier a cependant indiqué que ce médecin était parti à la retraite sans laisser ses coordonnées.

Le pragmatisme de la Cour de cassation

Ces diligences figurant dans la procédure ont logiquement contribué à convaincre la chambre criminelle que la chambre de l’instruction n’avait pas méconnu la procédure applicable en matière d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental en ce qu’elle a caractérisé l’impossibilité de joindre l’expert. Par le passé, la Haute juridiction a déjà considéré, de manière pragmatique, qu’en cas de double désignation d’experts, l’audition d’un seul des deux experts suffit (Crim. 29 nov. 2017, n° 16-85.490 P, Dalloz actualité, 4 janv. 2018, obs. V. Morgante ; D. 2017. 2479  ; AJ pénal 2018. 87, obs. J.-B. Thierry  ; Dr. pénal 2018, n° 16, obs. A. Maron et M. Haas). Ainsi, lorsque les experts travaillent en commun en étant tous désignés pour exécuter une mission commune, chacun d’eux a qualité pour exposer, à l’audience, même en l’absence des autres, le résultat de l’ensemble des opérations auxquelles ils ont procédé (Crim. 30 sept. 1998, n° 97-86.532 ; 27 mars 2008, n° 07-84.840).

Cette situation ne correspond cependant pas aux faits de l’espèce. En outre, un arrêt plus récent a pu instiller le doute – et encourager le requérant dans sa démarche de former un pourvoi – en indiquant qu’il appartient à la chambre de l’instruction d’entendre chacun des experts représentant une mission commune, de sorte que bien qu’un troisième expert ait conclu, comme le deuxième, à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, il doit être entendu (Crim. 15 mars 2023, n° 22-87.318 P, Dalloz actualité, 17 avr. 2023, obs. E. Delacoure ; AJ pénal 2023. 242 et les obs.  ; RSC 2023. 376, obs. J.-P. Valat ).

Si le rejet du pourvoi se justifie pleinement, en l’espèce, en raison de l’impossibilité, pour la chambre de l’instruction, de joindre l’expert, il ravive cependant le débat sur l’effectivité du procès équitable et sur le débat contradictoire organisé autour des rapports d’expertise. En effet, les modalités de convocation des experts ne sont pas prévues par l’article 706-122 du code de procédure pénale. L’article 197 du code de procédure pénale, récemment modifié par la loi du 13 juin 2025, qui indique que le procureur général notifie par lettre recommandée à chacune des parties et à leurs avocats la date à laquelle l’affaire sera appelée à l’audience, est inapplicable aux experts. En outre, – et c’est pour cette raison que la chambre de l’instruction a contacté l’expert par courrier électronique – la chambre criminelle juge, à propos des experts, que le simple avis par courriel suffit (Crim. 15 mars 2023, n° 22-87.318, préc.). Est-ce cependant vraiment suffisant pour assurer l’effectivité du procès équitable ?

 

Crim. 3 sept. 2025, F-B, n° 25-84.138

par Dorothée Goetz Charlon, Docteur en droit pénal et sciences criminelles, DA n° 44670821267, auprès du Préfet de la région Grand Est

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