Isolement en soins psychiatriques : irrégularité antérieure et instance postérieure

Dans un arrêt rendu le 24 septembre 2025, la première chambre civile précise qu’aucune irrégularité de la procédure d’isolement, antérieure à une audience à la suite de laquelle le juge s’est prononcé sur la mesure ne peut être soulevée lors d’une instance ultérieure.

La complexité des soins psychiatriques sans consentement est connue. Elle est, d’ailleurs, génératrice d’un contentieux âpre qui reste fréquemment l’objet de pourvois en cassation. C’est ainsi que chaque année, nous croisons dans ces colonnes des décisions importantes publiées au Bulletin qui viennent préciser les textes du code de la santé publique (v. réc., Civ. 1re, 9 avr. 2025, n° 23-23.219, Dalloz actualité, 6 mai 2025, obs. C. Hélaine ; 19 mars 2025, n° 24-10.643 F-B, Dalloz actualité, 14 avr. 2025, obs. E. Roumeau ; D. 2025. 537 ; 19 mars 2025, n° 23-23.255 F-B, Dalloz actualité, 27 mars 2025, obs. C. Hélaine ; Cons. const. 5 mars 2025, n° 2024-1127 QPC, Dalloz actualité, 11 mars 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 673 , note V. Tellier-Cayrol ; ibid. 1223, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ).

À cette première couche de difficulté se superpose un second manteau de règles quand le patient soigné sans son consentement doit être isolé ou lorsqu’il doit faire l’objet d’une contention. L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est la clef de voûte du dispositif de contrôle prévu en la matière qui a d’ailleurs fait l’objet d’une attention législative toute particulière il y a quelques années en raison de deux abrogations en cascade (v. sur les décisions de 2020, Civ. 1re, QPC, 5 mars 2020, n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; Cons. const. 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. D. Goetz ; AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1559, et les obs. , note K. Sferlazzo-Boubli ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer ; sur les décisions de 2021, Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2021. 380, obs. A.-M. Leroyer ; Cons. const. 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC, AJDA 2021. 1176 ; D. 2021. 1324, et les obs. , note K. Sferlazzo-Boubli ; RTD civ. 2021. 619, obs. A.-M. Leroyer ). La loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 a forgé dans le code de la santé publique le nouvel article L. 3222-5-1 que nous connaissons, lequel a été complété par un décret d’application pris quelques mois plus tard le 23 mars 2022 (sur ces textes, v. Décr. n° 2022-419 du 23 mars 2022, JO 25 mars, Dalloz actualité, 29 mars 2022, obs. C. Hélaine). Le texte sera, enfin, retouché par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 afin de prévoir le transfert de compétence du juge des libertés et de la détention au profit du magistrat du siège du tribunal judiciaire (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, JO 21 nov., Dalloz actualité, 27 nov. 2023, obs. La Rédaction ; AJ pénal 2023. 467 et les obs. ). La mouture de 2022 de cette disposition a, par ailleurs, été très partiellement abrogée en raison d’une insuffisance quant à l’information de la personne chargée de la mesure de protection du patient le cas échéant (Cons. const. 5 mars 2025, n° 2024-1127 QPC, préc. comp. Civ. 1re 24 sept. 2024, n° 24-15.779, Dalloz actualité, 1er oct. 2025, obs. C. Hélaine).

Nous retrouvons aujourd’hui un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 24 septembre 2025 qui continue de préciser le régime de l’isolement en soins psychiatriques sans consentement. Son angle procédural particulier implique que l’on prête une attention fine aux faits de l’espèce et à la stratégie procédurale déployée afin d’en comprendre tous les contours.

Une personne est admise en soins psychiatriques sous contrainte le 20 février 2024 et ce par décision du directeur d’établissement. L’intéressée est placée à l’isolement. Le 22 février suivant, le directeur saisit le juge des libertés et de la détention alors compétent pour contrôler ledit isolement.

Par ordonnance du 23 février 2024, le magistrat autorise le maintien de la mesure d’isolement. Cette décision n’a pas été frappée d’appel, la précision étant importante pour la suite du raisonnement.

Le 26 février 2024, le directeur demande le renouvellement de l’isolement compte tenu de la situation de la patiente. Cependant, cette fois-ci, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 27 février suivant prononce la mainlevée de la mesure.

Le directeur de l’établissement interjette alors appel pour faire grief à la décision de ne pas avoir respecté le droit applicable en utilisant l’irrégularité initiale de la mesure d’isolement pour justifier la mainlevée de celle-ci.

L’ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel saisie infirme la décision du 27 février 2024 (Douai, 27 févr. 2024, n° 24/0018, disponible en libre accès sur Judilibre). Elle estime qu’il n’est pas possible d’invoquer l’irrégularité initiale d’une mesure dans une instance ultérieure lorsque le juge a déjà statué sur la mesure d’isolement qui comportait ladite irrégularité.

La patiente se pourvoit en cassation en reprochant à ce raisonnement une violation de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique.

L’arrêt rendu le 24 septembre 2025 aboutit au rejet du pourvoi. Sa solution doit être pleinement approuvée tant sous l’angle procédural que sous celui spécifiquement dédié à l’isolement et à la contention. Étudions pourquoi.

Une harmonisation bienvenue

La première chambre civile règle la question posée par l’affaire examinée aujourd’hui à l’aide d’une motivation qui n’avait pas encore été au cœur d’une décision publiée au Bulletin spécifiquement dédiée à l’isolement ou à la contention. Elle précise qu’« à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité de la procédure d’isolement, antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention s’est prononcé sur la mesure, ne peut être soulevée lors d’une instance ultérieure devant ce même juge » (pt n° 7, nous soulignons).

En procédant de la sorte, la Cour de cassation aligne sa jurisprudence concernant l’architecture générale des soins psychiatriques sans consentement avec le degré spécifique représenté par l’isolement et la contention (v. Civ. 1re, 19 oct. 2016, n° 16-18.849, Dalloz actualité, 8 nov. 2016, obs. R. Mesa ; D. 2016. 2170 ). La motivation employée dans l’arrêt sous commentaire est d’ailleurs reprise quasiment mot pour mot de la décision du 19 octobre 2016 précitée. Encore faut-il évidemment que l’ordonnance en question soit irrévocable sans quoi la purge des irrégularités ne peut pas se produire (v. par ex., Civ. 1re, 5 juin 2020, n° 20-10.121 : « en statuant ainsi, alors qu’aucune décision irrévocable n’ayant purgé les irrégularités soulevées dans la présente instance, lesquelles pouvaient l’être pour la première fois en cause d’appel, le premier président a violé les textes susvisés », pt n° 8, nous soulignons).

Il aurait été difficile de justifier un choix contraire conduisant à spécialiser l’isolement ou la contention sur ce point. Comme le souligne le Professeur Mélina Douchy-Oudot, les textes du code de la santé publique ne donnent « pas de précision sur le moment où il y a lieu de soulever les irrégularités de la procédure » (M. Douchy-Oudot, Maintien d’une hospitalisation d’office : l’ordonnance du JLD vaut purge !, JCP 2016. Act. 1212). Dès lors, le découpage par instance semble le plus adéquat pour éviter de reporter des problématiques passées sur les enjeux actuels de la mesure analysée par le juge.

Ce séquençage de l’analyse des temps d’isolement conduit, par conséquent, à opérer une sorte de remise à zéro des compteurs pour chaque procédure quand une instance a déjà purgé (ou non) les irrégularités. En d’autres termes, l’avocat qui n’aurait pas relevé une anomalie ne peut pas utiliser celle-ci dans le cadre d’une instance postérieure.

Une absence de distinction entre les types d’irrégularités

La lecture de l’arrêt rendu par la première chambre civile permet d’observer que cette dernière n’a pas donné droit de cité à un argument intéressant développé par la demanderesse au pourvoi. Le moyen était, en effet rédigé, en précisant que « l’irrégularité invoquée ne tenait pas à la procédure mais au fond du droit » (pt n° 6, in fine). Cette distinction entre irrégularité procédurale et irrégularité au fond ne se retrouve pas explicitement au sein de la décision examinée probablement pour deux raisons principales.

La première – de forme – concerne les mots choisis à dessein par l’arrêt du 24 septembre 2025 qui étend sa solution au maximum puisque « aucune irrégularité » (pt n° 7, nous soulignons) antérieure ne peut se reporter sur la procédure en cours. Dès lors, cette généralité englobe nécessairement le fond comme la procédure. Il s’agit certainement de la principale justification qui explique l’absence de référence explicite à la distinction au sein de la motivation employée.

La seconde raison – qui touche à la pertinence du moyen en lui-même – est liée au caractère finalement peu opératoire de la dualité proposée. On perçoit assez mal comment l’irrégularité de fond d’une mesure d’isolement devrait rebondir sur une audience postérieure contrairement au défaut seulement procédural qui, quant à lui, resterait cantonné au premier lien d’instance.

La première chambre civile n’a pas voulu, utilement, en dire davantage concernant la distinction entre le fond et la procédure. Même si elle avait plus clairement battu en brèche celle-ci, elle aurait finalement été moins percutante que l’utilisation de l’expression « aucune irrégularité de la procédure d’isolement » utilisée par sa motivation. La rédaction de la solution demeure heureuse afin d’éviter l’ajout d’une subtilité à un corps de règles déjà fort complexe.

On relèvera, enfin, que le juge dispose de la faculté de soulever d’office la problématique ; ce qui est loin d’être anodin. Une partie peut, en effet, assez rapidement oublier que l’irrégularité n’a jamais été discutée au sein de la première instance et que, ce faisant, celle-ci a été purgée par la décision irrévocable rendue par le juge antérieurement.

Prudence, donc pour éviter de perdre un précieux outil pouvant, au moment opportun, provoquer la mainlevée de l’isolement !

 

Civ. 1re, 24 sept. 2025, F-B, n° 24-13.643

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille

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