JLD et droit à un tribunal impartial : quelques précisions
Doit être cassé l’arrêt d’une cour d’appel dont un membre de la composition a statué, en qualité de juge des libertés et de la détention, à l’égard de personnes concernées par la procédure pour laquelle le prévenu a comparu devant cette juridiction, peu important que ces personnes ne soient plus présentes en cause d’appelv
 
                            En l’espèce, le tribunal correctionnel déclare un prévenu coupable de subornation de témoin. La cour d’appel rend un arrêt confirmatif, l’intéressé étant condamné, par les seconds juges, à deux d’emprisonnement dont un an avec sursis et cinq ans d’inéligibilité. Dans son pourvoi en cassation, le requérant invoque la violation d’un principe directeur du procès pénal : l’impartialité du juge.
Il rappelle en effet que cette exigence essentielle interdit qu’un juge appelé à prononcer sur la culpabilité d’un prévenu ait, antérieurement dans la procédure, déjà eu à se prononcer sur cet aspect. Il en résulte la conséquence suivante, prévue à l’article 137-1, alinéa 3, du code de procédure pénale : le juge de la liberté et de la détention ne peut pas participer au jugement des affaires pénales dont il a été en charge en cette qualité.
Or, en l’espèce, un juge des libertés et de la détention avait été amené à statuer à plusieurs reprises dans une procédure relative à des extorsions de fonds imputées à des placiers au sein d’un marché. Ce même magistrat est ensuite intervenu au sein de la cour d’appel, alors appelée à statuer au fond sur la culpabilité du requérant du chef de subornation de témoin. Devant cette juridiction, il était reproché à l’intéressé d’être intervenu pour qu’un commerçant ayant dénoncé les extorsions revienne sur son témoignage. Pour le requérant, il n’y a pas de doute possible : les interventions successives de ce même magistrat au sein de la procédure sont une cause de nullité.
Sans réelle surprise, le juge des libertés et de la détention ne pouvant, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu, la chambre criminelle partage son interprétation de l’article 137-1, alinéa 3, du code de procédure pénale. Pragmatiques, les Hauts magistrats constatent que ce magistrat, qui était d’abord intervenu dans la procédure en qualité de juge des libertés et de la détention, à propos de la détention provisoire d’autres personnes concernées par l’information, est ensuite intervenu devant la cour d’appel en qualité d’assesseur pour se prononcer sur la culpabilité du requérant du chef de subornation de témoin. Pour la chambre criminelle, cette situation contrevient au principe posé par l’article 137-1, alinéa 3, du code de procédure pénale. Particularité notable de cette affaire, en cause d’appel, les personnes à propos desquelles ce magistrat s’était prononcé en sa qualité de juge des libertés et de la détention n’étaient pas présentes. Cela n’a cependant pas empêché la chambre criminelle, par cet arrêt de cassation, de réaffirmer son solide attachement à l’article 137-1, alinéa 3, du code de procédure pénale.
Ce faisant, l’arrêt d’une cour d’appel dont un membre de la composition a statué, en qualité de juge des libertés et de la détention, à l’égard de personnes concernées par la procédure pour laquelle le prévenu a comparu devant cette juridiction, doit être censuré, peu important que ces personnes ne soient plus présentes en cause d’appel.
La chambre criminelle garante de l’effectivité du droit à un tribunal impartial
Par cette cassation, la chambre criminelle réaffirme son haut degré d’exigence à propos de l’effectivité du droit à un tribunal impartial. Ce droit se caractérise par une double acceptation dégagée par le célèbre arrêt Piersack rendu par la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, selon cet arrêt si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6, § 1, de la Convention européenne, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (CEDH 1er oct. 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79, § 30). Ce faisant, s’assurer du respect de l’impartialité du juge ne se résume pas à une démarche subjective mais impose une approche objective permettant de s’assurer de l’exclusion de tout doute légitime de partialité. Dans cette perspective, la question de l’impartialité fonctionnelle revêt un enjeu particulier, précisément lorsqu’un même magistrat intervient à plusieurs reprises dans une procédure. Pour éviter cette situation, le législateur a posé le principe de la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Il a également prévu, au travers de l’article 137-1, alinéa 3, du code de procédure pénale, que des cas de partialité fonctionnelle peuvent naître lorsque, dans une procédure, un juge participe au jugement d’une affaire qu’il a déjà connu.
La situation du juge des libertés et de la détention
Au visa de l’article 137-1, alinéa 3, du code de procédure pénale, la chambre criminelle a déjà plusieurs fois fait savoir que le juge des libertés et de la détention ne peut participer au jugement des affaires pénales dont il a connu (Crim. 8 déc. 2009, n° 09-85.623 P, Dalloz actualité, 9 févr. 2010, obs. M. Léna ; D. 2010. 2254, obs. J. Pradel  ; AJ pénal 2010. 86
 ; AJ pénal 2010. 86  ; 23 sept. 2010, n° 10-81.245 P, Dalloz actualité, 20 oct. 2010, obs. C. Girault ; D. 2011. 124, chron. L. Lazerges-Cousquer, A. Leprieur et E. Degorce
 ; 23 sept. 2010, n° 10-81.245 P, Dalloz actualité, 20 oct. 2010, obs. C. Girault ; D. 2011. 124, chron. L. Lazerges-Cousquer, A. Leprieur et E. Degorce  ). Ainsi, et fort logiquement, ne peut composer la chambre correctionnelle appelée à juger un prévenu le magistrat qui, en qualité de juge des libertés et de la détention, a statué auparavant sur une demande de mise en liberté formée par l’intéressé (Crim. 16 mai 2007, n° 06-85.347 P, AJ pénal 2007. 386, obs. C. Saas
). Ainsi, et fort logiquement, ne peut composer la chambre correctionnelle appelée à juger un prévenu le magistrat qui, en qualité de juge des libertés et de la détention, a statué auparavant sur une demande de mise en liberté formée par l’intéressé (Crim. 16 mai 2007, n° 06-85.347 P, AJ pénal 2007. 386, obs. C. Saas  ). Dans le même esprit, un magistrat qui a prononcé une condamnation par défaut et décerné un mandat d’arrêt ne peut, en qualité de juge des libertés et de la détention, statuer sur les suites données au mandat d’arrêt sans qu’il soit porté atteinte à l’exigence d’impartialité. (Crim. 30 mars 2011, n° 10-86.140 P, Dalloz actualité, 22 avr. 2011, obs. M. Léna ; D. 2011. 1083
). Dans le même esprit, un magistrat qui a prononcé une condamnation par défaut et décerné un mandat d’arrêt ne peut, en qualité de juge des libertés et de la détention, statuer sur les suites données au mandat d’arrêt sans qu’il soit porté atteinte à l’exigence d’impartialité. (Crim. 30 mars 2011, n° 10-86.140 P, Dalloz actualité, 22 avr. 2011, obs. M. Léna ; D. 2011. 1083  ; ibid. 1849, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle
 ; ibid. 1849, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle  ). Cependant, il n’est pas toujours interdit à un même juge d’intervenir plusieurs fois au cours d’une même procédure intéressant un même individu. Par exemple, il n’y a pas incompatibilité de fonctions à propos d’un magistrat qui participe à des procédures distinctes concernant les mêmes accusés pour des faits différents, quoique connexes (Crim. 10 juill.1997, n° 96-83.507, RSC 1998. 126, obs. A. Giudicelli
). Cependant, il n’est pas toujours interdit à un même juge d’intervenir plusieurs fois au cours d’une même procédure intéressant un même individu. Par exemple, il n’y a pas incompatibilité de fonctions à propos d’un magistrat qui participe à des procédures distinctes concernant les mêmes accusés pour des faits différents, quoique connexes (Crim. 10 juill.1997, n° 96-83.507, RSC 1998. 126, obs. A. Giudicelli  ) ou pour le juge de l’application des peines qui a précédemment révoqué une mesure de libération conditionnelle antérieure, dès lors que cette décision n’implique pas qu’il ait eu à se prononcer sur les faits dont est saisie la cour d’assises qu’il compose (Crim. 11 oct. 2000, n° 00-80.770, D. 2001. 1066
) ou pour le juge de l’application des peines qui a précédemment révoqué une mesure de libération conditionnelle antérieure, dès lors que cette décision n’implique pas qu’il ait eu à se prononcer sur les faits dont est saisie la cour d’assises qu’il compose (Crim. 11 oct. 2000, n° 00-80.770, D. 2001. 1066  , obs. C. Courtin
, obs. C. Courtin  ).
). 
En ce qui concerne le juge des libertés et de la détention, il a déjà été jugé qu’un juge d’instruction ayant apprécié l’existence d’indices graves ou concordants lors de la mise en examen ne peut pas intervenir, ensuite, en tant que juge des libertés et de la détention et être amené à statuer sur l’existence de ces indices dans le cadre du contentieux relatif à la détention provisoire (Crim. 28 juin 2022, n° 22-82.698, Dalloz actualité, 12 juill. 2022, obs. H. Diaz ; D. 2022. 1311  ; AJ pénal 2022. 382 et les obs.
 ; AJ pénal 2022. 382 et les obs.  ; ibid. 442 et les obs.
 ; ibid. 442 et les obs.  ; RSC 2022. 625, obs. P.-J. Delage
 ; RSC 2022. 625, obs. P.-J. Delage  ). Cet arrêt s’inscrit dans cette veine en confirmant qu’il est interdit à un magistrat de connaitre successivement d’une affaire en tant que juge des libertés puis en tant que juge d’appel statuant sur la culpabilité, y compris – c’est l’apport de l’arrêt – si les personnes dont il a connu la situation ne sont pas présentes en appel.
). Cet arrêt s’inscrit dans cette veine en confirmant qu’il est interdit à un magistrat de connaitre successivement d’une affaire en tant que juge des libertés puis en tant que juge d’appel statuant sur la culpabilité, y compris – c’est l’apport de l’arrêt – si les personnes dont il a connu la situation ne sont pas présentes en appel.
Crim. 24 juin 2025, F-B, n° 24-86.286
par Dorothée Goetz Charlon, Docteur en droit
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