Juridictions d’application des peines spécialisées en matière terroriste : compétence pour connaître des faits connexes

Les personnes condamnées par les juridictions de jugement spécialisées en matière terroriste relèvent de la compétence des juridictions d’application des peines spécialisées. Il en est de même lorsqu’un individu a été condamné par lesdites juridictions pour des infractions connexes à des actes de terrorisme.

Depuis la loi du 9 septembre 1986 (Loi n° 86-1020 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État, art. 1), les infractions à caractère terroriste, ainsi que leurs infractions connexes, sont instruites et jugées par les juridictions parisiennes qui exercent une compétence concurrente à celles des juridictions compétentes territorialement. La juridiction de jugement qui a à connaître des crimes à caractère terroriste est la Cour d’assises de Paris spécialement composée (C. pr. pén., art. 706-25), la composition du jury étant calquée sur celle des juridictions militaires (C. pr. pén., art. 698-8). En 2006 (Loi n° 2006-64 du 23 janv. 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, art. 14 ; D. 2006. 1409, obs. P. Chrestia ), le législateur est à nouveau intervenu afin de consacrer la spécialisation des juridictions en matière terroriste au stade post-sentenciel. L’objectif était de développer une jurisprudence « homogène » à l’égard du public visé (Rép. pén.,  Juridictions de l’application des peines, par L. de Graëve, n° 343). Toutefois, il ne s’agissait pas d’une compétence concurrente dans la mesure où les juridictions parisiennes étaient seules pour connaître du sort des personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Afin de nuancer ce monopole, le législateur est intervenu par la loi du 3 juin 2016 (Loi n° 2016-731, Dalloz actualité, 14 juin 2016, S. Fucini ; renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ; Rép. pén.,  Juridictions de l’application des peines, par L. de Graëve, préc. ; v. aussi, M. Herzog-Evans, Lois du 3 juin et du 21 juillet 2016 et exécution des peines : communication, (im)précisions, et répression, AJ pénal 2016. 470 ) pour rendre compétentes les juridictions d’application des peines parisiennes que lorsqu’un individu a été condamné par une juridiction spécialisée. Depuis lors, l’article 706-22-1 du code de procédure pénale dispose que « sont seuls compétents le juge de l’application des peines du Tribunal judiciaire de Paris, le Tribunal de l’application des peines de Paris et la chambre de l’application des peines de la Cour d’appel de Paris pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées par le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le juge des enfants, le Tribunal pour enfants ou la Cour d’assises des mineurs de Paris statuant en application de l’article 706-17, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné ».

Cette disposition mérite d’être reproduite in extenso dans la mesure où son interprétation, et par voie de conséquence le champ de compétence de ces juridictions, a fait l’objet d’un litige qu’a eu à connaître la chambre criminelle de la Cour de cassation qui s’est prononcée dans un arrêt du 18 juin 2025 publié au Bulletin.

En l’espèce, un individu a été condamné le 3 décembre 2023 à six ans d’emprisonnement, pour participation à une association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes. Ces infractions, connexes à des faits terroristes, ont été jugées par la Cour d’assises de Paris spécialement composée. La personne condamnée a formé une demande de permission de sortir qui a été transmise au juge de l’application des peines de Paris, compétent en matière de terrorisme. Or, ce dernier a relevé son incompétence. Le ministère public a fait appel de cette décision qui a toutefois été confirmée par la chambre d’application des peines de Paris au motif que l’individu n’avait pas été condamné pour des faits de terrorisme, mais seulement par la juridiction spécialisée en cette matière. Le ministère public a formé un pourvoi en cassation.

Au visa des articles 706-16, 706-17 et 706-22-1 du code de procédure pénale, la chambre criminelle casse et annule l’ordonnance de la chambre de l’application des peines de Paris. Elle affirme que « la juridiction d’application des peines spécialisée en matière de terrorisme est compétente à l’égard de toutes les personnes condamnées par les juridictions spécialisées en matière de terrorisme, même en raison de faits connexes à des infractions terroristes » (§ 13).

L’inclusion des faits connexes

Pour confirmer l’incompétence du juge de l’application des peines, la chambre de l’application des peines avançait que la compétence spéciale des juridictions parisiennes ne s’étendait pas aux individus condamnés pour des faits connexes à des actes de terrorisme.

La lecture combinée de trois dispositions du code de procédure pénale la faisait aboutir à un tel raisonnement. L’article 706-22-1 donne compétence aux juridictions post-sentencielles parisiennes pour connaître des personnes condamnées par les juridictions spécialisées en matière de terrorisme, statuant en application de l’article 706-17 du même code. Selon cette dernière disposition, les juridictions spécialisées sont compétentes lorsqu’elles ont à juger les infractions décrites par l’article 706-16. De la sorte, le champ de compétence de l’article 706-22-1 est indirectement tiré du champ d’application détaillé par l’article 706-16, qui consacre une procédure dérogatoire pour les actes de terrorisme incriminés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, ainsi que pour les infractions connexes. Or, l’article 706-22-1 du code de procédure pénale, consacrant une compétence spéciale, est dérogatoire « à la règle générale de compétence des juridictions de l’application des peines » (§ 9). Ainsi, tirant argument du fait que cette exception au droit commun doit être « appréciée strictement » (§ 9), la chambre de l’application des peines affirmait, alors même qu’elle admettait que les textes (not., C. pr. pén., art. 706-1) n’opèrent pas de distinction suivant la nature des infractions (faits de terrorisme ou connexes à ceux-ci), que la « connexité ne peut être retenue au stade de l’exécution de la peine, car le juge de l’application des peines n’assure pas le suivi d’une affaire déterminée mais le suivi individuel des personnes condamnées » (§ 10).

La chambre criminelle invalide ce raisonnement. Elle considère au contraire que les juridictions d’application des peines spécialisées en matière de terrorisme ne tirent leur compétence qu’autant qu’elles s’inscrivent dans le sillon entamé par les juridictions de jugement. La nature des infractions pour lesquelles un individu est condamné par les juridictions spécialisées est donc indifférente à l’application du régime dérogatoire réservé aux infracteurs terroristes. Pour le dire autrement, la compétence des juridictions de jugement spécialisées en matière terroriste entraîne automatiquement la compétence des juridictions d’application des peines également spécialisées en cette matière.

La Haute juridiction semble donc faire une stricte application des dispositions légales. Alors que le législateur calque la compétence des juridictions d’application des peines sur celle des juridictions de jugement, la Cour de cassation lit les dispositions spécifiques aux premières par le prisme des articles réservés aux secondes, là où les juges du fond ont essayé de remonter aux dispositions fondant le champ d’application matérielle de la procédure dérogatoire réservée aux faits de terrorisme, en les interprétant.

L’appréhension organique

L’interprétation des juges du fond semble donc davantage être motivée par un jugement d’opportunité. En effet, l’ensemble des personnes condamnées par une juridiction spécialisée en matière de terrorisme voient leur contentieux de l’application des peines être monopolisé par les juridictions parisiennes, quel que soit le lieu où elles exécutent leur peine. Cela a l’inconvénient d’alourdir la procédure puisque les juridictions parisiennes devront recevoir un avis du juge d’application des peines territorialement compétent (C. pr. pén., art. 702-22-1) qui, si la décision de la Cour de cassation avait été inverse, aurait pu se prononcer directement sur l’affaire. De plus, l’argument selon lequel les juridictions spécialisées permettent d’homogénéiser les décisions rendues en matière terroriste perd de son intérêt lorsque l’individu n’a pas été condamné pour des infractions de cette matière. Rappelons que la connexité est davantage perçue comme une technique concourant à la bonne administration de la justice plutôt que comme un lien étroit avec l’infraction à laquelle elle se rapporte.

C’est sans doute ce qu’il faut comprendre lorsque les juges du fond ajoutaient que la « connexité ne peut être retenue au stade de l’exécution de la peine, car le juge de l’application des peines n’assure pas le suivi d’une affaire déterminée mais le suivi individuel des personnes condamnées » (§ 10). En effet, le droit de l’application des peines, qui suit une logique propre, favorise le suivi d’une personne et non d’une affaire. Il est d’ailleurs intéressant de voir que le pouvoir réglementaire est intervenu sur ce point en insistant sur la personnalisation de l’application des peines en matière terroriste. L’article D. 49-78 du code de procédure pénale (Décr. n° 2016-1455 du 28 oct. 2016, art. 9) a été modifié et stipule désormais que le juge de l’application des peines de Paris peut présider les séances de la commission de l’application des peines concernant les personnes condamnées « dont il assure le suivi ». Suivant cette logique, il était convaincant d’affirmer qu’il était opportun que le juge d’application des peines « local » continue d’assurer le suivi d’une personne exécutant une peine dans le ressort de son territoire.

De surcroît, les juges du fond ajoutaient que « la compétence du juge de l’application des peines de Paris spécialisé en matière de terrorisme est limitée aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme pour lesquels des dispositions particulières, liées à la nature de l’infraction, ont été érigées au stade de l’application des peines, notamment en matière de réductions de peine et de mesures de sûreté » (§ 11). C’est encore une manière d’affirmer que le suivi, par des juridictions spécialisées, des personnes condamnées pour des faits de terrorisme n’est opportun que lorsqu’il a pour but d’apporter une plus-value tirée de sa spécialisation. Or, les dispositions spécifiques relatives à une personne condamnée pour des faits de terrorisme ne pouvant s’appliquer à une personne condamnée pour des infractions de droit commun, la participation des juridictions spécialisées semble moins opportune.

Néanmoins, fidèle aux textes, la Haute juridiction retient un critère exclusivement organique : la juridiction de jugement entraîne la compétence des juridictions d’application des peines spécialisées.

 

Crim. 18 juin 2025, F-B, n° 24-83.671

par Dorian Gandolfo, Doctorant contractuel à la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université

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