Justice : trois missions pour inspirer les futures réformes

Quand il était place Vendôme, Didier Migaud, avait lancé trois missions d’urgence, sur la déjudiciarisation, l’audiencement et l’exécution des peines. Remis en mars à son successeur, les trois rapports formulent au total une centaine de propositions. Certaines ont été retenues par Gérald Darmanin, tandis que d’autres pourraient nourrir les réformes à venir

Si le ministre de la Justice a changé, les urgences demeurent. C’est le sens des trois missions d’urgence qu’avait lancées Gérald Darmanin, confiées à des hauts magistrats et fonctionnaires. La centaine de propositions des trois rapports (déjudiciarisation, l’audiencement et l’exécution des peines) vont souvent dans le sens des réformes des dernières années. Dans sa récente lettre, le ministre en a repris quelques-unes.

Déjudiciariser

Le rapport sur la déjudiciarisation propose d’abord de complexifier l’accès à la justice, en rétablissant un droit de timbre ou en restreignant la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile (recours préalable obligatoire au procureur, assistance d’un avocat). Comme l’a repris le ministre, il souhaite instaurer de nouvelles procédures préalables obligatoires sur certains litiges. Sur l’appel, le rapport ne formule pas de propositions, mais évoque certaines pistes dont une (la possibilité de filtre) a été reprise par le ministre.

Le groupe recommande d’étudier l’extension de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) à d’autres contentieux (travail, consommation, concurrence). En revanche, il souhaite une pause dans l’extension des amendes forfaitaires délictuelles, dont il souhaite une expertise.

Le rapport souhaite dépénaliser plusieurs infractions, au profit des amendes administratives. La diffamation et l’injure entre particuliers, sauf circonstance aggravante, pourraient également être dépénalisées, au profit d’une voie civile avec obligation d’avocat. Les successions vacantes et en déshérence seraient confiées à l’administration des domaines. Le notaire pourrait se charger des adoptions simples de l’enfant du conjoint et d’un mandat de protection future rénové.

Le rapport veut permettre le recours à l’acte de procédure d’avocat en matière de responsabilité parentale et de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux au sein de la famille. La loi pourrait aussi favoriser le développement de la procédure d’instruction conventionnelle. La mission propose de recourir aux règles de la procédure civile en matière d’indemnisation des victimes d’infractions pénales.

Audiencement

Le rapport sur l’audiencement tire un constat, et des propositions parfois très proches, du rapport d’inspection sur l’embolie de la justice criminelle. Les solutions viendront en partie de la résolution de problèmes d’effectifs et de locaux (salles d’audiences adaptées).

Le rapport propose deux procédures d’« audience criminelle sur faits reconnus ». La première serait une homologation de peine et serait conditionnée par l’absence d’opposition de la partie civile. Lors de l’audience, le juge homologuerait la peine et la réparation des préjudices. La seconde possibilité serait une audience allégée où seuls seraient entendus les témoins et experts nécessaire pour éclairer sur les faits commis et la personnalité de l’accusé.

S’il ne propose pas d’étendre le champ de compétence des cours criminelles départementales à toute la criminalité, le rapport préconise de l’ouvrir aux accusés en état de récidive légale, ainsi que de modifier sa composition, en intégrant deux assesseurs citoyens aux côtés de trois magistrats. Les crimes contre l’humanité et crimes de guerre seraient jugés par la cour d’assises spécialement composée. En matière délictuelle, la mission propose d’élever la peine maximale encourue en matière de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à cinq ans et une extension du champ d’application du dispositif de la rétribution garantie des avocats aux CRPC sur convocation.

Concernant l’embolie des chambres de l’instruction, dans la continuité de la loi narcotrafic, le rapport veut renforcer le formalisme et réduire le délai pour former une requête en nullité et une demande de mise en liberté. La réunion préparatoire criminelle pourrait être modifiée, et deviendrait optionnelle. La mission propose de créer un nouveau mode sécurisé de convocation par voie électronique, réputée contradictoire et adressée sur une adresse ou un numéro déclarés au cours de l’enquête.

Exécution des peines

Face à la surpopulation, le troisième rapport propose d’adopter une disposition législative d’urgence pour endiguer la situation, sur le modèle de la gestion de la crise covid-19 en 2020. Un dispositif plus pérenne pourrait aussi être créé. Le ministre a déjà rejeté cette idée. La mission soutient, en revanche, l’idée de multiplier les structures à sécurité allégée pour faciliter une incarcération liée au profil et lutter contre la surpopulation.

Sur la simplification de l’échelle des peines, souhaitée par Gérald Darmanin, la mission est très suspicieuse. « L’état d’épuisement et de saturation des professionnels de l’exécution des peines ne paraît pas compatible avec une réforme présentant autant d’incertitudes ». La mission propose plutôt de revenir sur les réformes récentes, avec un seuil d’aménagement des peines à partir de deux ans de prison (identique à celui applicable pour les personnes détenues) ou de rétablir le système des crédits de réduction de peine, supprimé en 2021. Il faut éviter de faire du juge de l’application des peines, le juge de la gestion des incidents.

Concernant l’idée de rétablir les poursuites des courtes peines de moins d’un mois, la mission n’est pas favorable, parlant de « bénéfices incertains dans un contexte défavorable ». Pour le rapport, la notion de « choc carcéral » demeure « plus associée au facteur d’aggravation du risque suicidaire qu’à ses vertus dissuasives ».

Afin d’améliorer l’exécution des peines, la mission développe l’idée d’expérimenter des plateaux techniques pluridisciplinaires, qui permettrait une gestion globale des condamnés, dès la fin de l’audience. Elle propose aussi la création d’« agents de probation » pour suppléer les conseillers pénitentiaires d’insertion et probation dans leurs missions de contrôle.

 

© Lefebvre Dalloz