Justification d’un préavis réduit en zone tendue : l’esprit plutôt que la lettre
Lorsque le bien loué est situé en zone tendue, le fait pour le locataire de mentionner l’adresse de ce bien dans son congé et de revendiquer le bénéfice d’un préavis réduit au visa des dispositions de la loi ALUR suffit à préciser et à justifier le motif invoqué de réduction du délai de préavis.
Par cet arrêt de rejet, la Haute juridiction affirme, pour la première fois, que, pour bénéficier du délai de préavis réduit, il suffit au locataire d’un logement situé en zone tendue de mentionner l’adresse du bien et de revendiquer ce droit qu’il tient de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dans sa rédaction issue de la loi ALUR.
Cette solution qui, en s’écartant de la lettre du texte en épouse l’esprit, mérite approbation.
On rappellera qu’en matière de congé délivré par le locataire, il existe un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles celui-ci peut revendiquer l’application d’un délai de préavis réduit d’un mois (au lieu de 3).
En l’état de notre droit positif, ce régime particulier est ouvert au locataire dans les six cas de figure énumérés aux 1° à 5° de l’article 15-I de la loi de 1989 (l’énumération comportant un 3° bis).
Cinq d’entre eux dépendent de la situation personnelle dans laquelle se trouve le preneur lorsqu’il délivre un congé (mutation professionnelle, nouvel emploi consécutif à une perte d’emploi, état de santé nécessitant de changer de domicile, attribution d’un logement social, bénéfice du RSA, …), tandis que le sixième (le 1° de l’énumération) est inhérent à la localisation de l’immeuble, lequel doit être situé en « zone tendue » au sens du premier alinéa du I de l’article 17 de la loi du 6 juillet 1989.
La justification du régime d’exception
La difficulté d’application de ce régime d’exception favorable au locataire tient en ce que, depuis la réécriture partielle de l’article 15 de la loi de 1989 par la loi ALUR du 24 mars 2014, le preneur souhaitant en bénéficier doit, dans tous les cas de figure, « précis[er] le motif invoqué et le justifie[r] au moment de l’envoi de la lettre de congé » (comp., auparavant, en l’absence de précision du texte, s’accommodant d’une justification tardive, not. au regard de l’ordre public qui entoure le statut des baux d’habitation, Civ. 3e, 7 juill. 2004, n° 03-14.439, AJDI 2004. 889
, obs. Y. Rouquet
; 2 mai 2012, n° 11-15.096, AJDI 2013. 43
, obs. C. Dreveau
; 13 déc. 2005, n° 04-19.585, AJDI 2006. 568
, obs. F. de La Vaissière
; 30 juin 2010, n° 09-16.244, Dalloz actualité, 9 juill. 2010, obs. Y. Rouquet ; D. 2010. 1788, obs. Y. Rouquet
; ibid. 2011. 1181, obs. N. Damas
; AJDI 2011. 287
, obs. N. Damas
; ibid. 294
, obs. N. Damas
; 8 déc. 1999, n° 98-10.206, D. 2000. 17
; RDI 2000. 97, obs. F. Collart-Dutilleul
).
Le texte prévoit désormais la sanction en cas d’omission de justification, puisqu’il ajoute qu’« à défaut, le délai de préavis applicable à ce congé est de trois mois » (v. Civ. 3e, 11 avr. 2019, n° 18-14.256, Dalloz actualité, 29 avr. 2019, obs. Y. Rouquet; D. 2019. 819
; ibid. 2020. 1148, obs. N. Damas
; AJDI 2020. 116
, obs. N. Damas
; Rev. prat. rec. 2020. 45, chron. D. Gantschnig
).
Ainsi, depuis la réforme de 2014, le locataire ne saurait, dans le congé qu’il délivre, se contenter d’exciper de l’existence d’un motif lui permettant de réduire le délai de son préavis : il doit, de surcroît, prouver ses dires (en annexant au congé le courrier de son employeur attestant de sa mutation, le certificat médical justifiant de la nécessité, pour lui, de changer de domicile, le document établissant qu’il est allocataire du RSA, …).
Le cas particulier du local situé en zone tendue
Il reste toutefois l’hypothèse de la localisation de l’immeuble en zone tendue, étrangère à la situation du locataire et, par définition, intangible et nécessairement connue du bailleur, ne serait-ce parce qu’elle a des incidences sur la fixation du loyer.
En l’espèce, comme on le verra un peu plus loin, de surcroît le bailleur était propriétaire de plusieurs locaux dans la même localité.
Nous nous étions interrogés (v. nos obs. préc. ss. Civ. 3e, 11 avr. 2019 ; v. égal., les obs. préc. de N. Damas ss. le même arrêt) sur le point de savoir si, dans cette situation, le locataire restait tenu de justifier de son éligibilité au dispositif, dès lors qu’il affirmait dans son congé, vouloir en bénéficier.
Certes, la lettre du texte ne distingue pas entre, d’une part les motifs inhérents au locataire et, d’autre part, celui, objectif, qui s’impose aux parties en ce qu’il se rattache à la localisation de l’immeuble, mais l’esprit du texte, qui vise à défendre les intérêts de la partie réputée la plus faible, nous semble commander cette solution.
Au cas particulier, dans son congé, un locataire avait rappelé l’adresse du bien loué et indiqué bénéficier d’un délai de préavis réduit à un mois, « conformément aux dispositions figurant dans la loi ALUR, article 1er, du décret n° 2015-1284 du 13 octobre 2015 » (modifiant la liste des communes situées en zones tendues) et en raison de sa décision de quitter le logement pour un rapprochement professionnel.
Arguant de l’inexistence légale d’un motif de préavis dérogatoire pour rapprochement professionnel et de la référence abrupte à la loi ALUR (« sans autre précision » : ce n’est que postérieurement que le locataire s’était explicitement référé à la situation du logement en zone tendue), le bailleur avait réclamé à son cocontractant trois mois de loyer.
Ce dernier s’était exécuté, avant de demander en justice le remboursement du trop-perçu, ainsi que l’octroi de dommages et intérêts à raison du paiement d’un double loyer pendant deux mois.
Il obtient gain de cause tant en première instance (Tribunal de proximité de Villejuif, 19 avr. 2022) que devant les magistrats du quai de l’Horloge.
Selon le juge du droit, lorsque le bien loué est situé sur l’un des territoires mentionnés au premier alinéa du I de l’article 17 de la loi du 6 juillet 1989, auquel renvoie le 1° de l’article 15 de la même loi, le fait pour le locataire de mentionner l’adresse de ce bien dans son congé et de revendiquer le bénéfice d’un préavis réduit au visa des dispositions de la loi ALUR suffit à préciser et à justifier le motif invoqué de réduction du délai de préavis.
En creux, la Haute juridiction (après le juge de première instance) reprochait au bailleur sa mauvaise foi : celui-ci ne pouvait ignorer que le logement était situé en zone tendue et, partant, que le locataire pouvait bénéficier d’un délai réduit de préavis.
La mauvaise foi du bailleur et l’octroi de dommages et intérêts au locataire
Cette mauvaise foi était au cœur des débats concernant la contestation, par le bailleur, de l’octroi de dommages et intérêts à son cocontractant.
Arguant que sa mauvaise foi n’était pas établie, le bailleur estimait, au visa du dernier paragraphe de l’article 1231-6 du code civil qu’il n’était pas redevable de dommages et intérêts (on rappellera qu’en vertu de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire).
Après avoir rappelé que c’est souverainement que le premier juge a retenu que le contrat de location n’avait pas été exécuté de bonne foi au moment du congé puisque le bailleur, propriétaire de plusieurs logements dans la même localité, ne pouvait ignorer que cette commune était située en zone tendue et qu’elle avait, par sa mauvaise foi, causé au locataire un préjudice financier distinct du retard dans le paiement des sommes dues, caractérisé par le paiement d’un double loyer durant deux mois, la Cour juge que le tribunal a légalement justifié sa décision.
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