La communication téléphonique en détention vue par le CGLPL
Treize ans après un premier avis relatif à l’accès au téléphone au sein des établissements pénitentiaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) se positionne à nouveau sur ce point.
Le droit au respect de la vie familiale des personnes détenues bénéficie d’une assise législative et jurisprudentielle certaine. Dès lors, un droit de recevoir des visites (Loi pénit. n° 2009-1436, art. 35 ; RPE, règle 24.1 ; C. pénit., art. L. 341-1 s. ; CEDH 7 févr. 2017, Labaca Larrea c/ France, n° 56710/13) mais également un droit à la communication téléphonique (Loi pénit., art. 39 ; RPE, règle 24.1 ; C. pénit., art. L. 345-5 ; CEDH 22 avr. 2014, Nusret Kaya c/ Turquie, nos 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08 ; CE 23 juill. 2014, n° 379875, Garde des sceaux, Ministre de la justice c/ Section française de l’observatoire international des prisons (OIP-SF), AJDA 2014. 1587
) et écrite (Loi pénit., art. 40 ; C. pénit., art. L. 345-2) sont assurés aux personnes détenues. Bien que prenant la peine d’écarter la consécration d’un droit aux autorisations de sortie pour raisons familiales, les juges européens s’attachent à énoncer que « dans un domaine aussi intime que celui de la séparation définitive d’avec un proche [décès] », il n’y a pas lieu de se prononcer sur « la manière dont l’intéressé a choisi les modalités de cette séparation » (CEDH 28 févr. 2017, Vonica c/ Roumanie, n° 78344/14, § 59 ; v. aussi, CEDH 25 mars 2014, Banaszkowski c/ Pologne, n° 40950/12). Aux termes des recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux de personnes privées de liberté, publiées au Journal officiel le 4 juin 2020, le CGLPL liste les impératifs en la matière (règles 143 à 159).
Par son avis du 3 décembre 2024, publié le 17 février dernier, le CGLPL s’intéresse spécifiquement à la question des contacts téléphoniques. L’existence d’obstacles à la communication est à nouveau pointée du doigt. Le CGLPL sollicite notamment un élargissement des moyens de communication utilisés, ainsi qu’un alignement des coûts sur ceux accessibles à la population libre.
La persistance d’obstacles à la communication déplorée par le CGLPL
L’avis relatif à l’accès au téléphone dans les établissements pénitentiaires du 3 décembre 2024 fait état d’un accès inégalitaire à la téléphonie selon les profils de détenus et identifie plusieurs difficultés dans la mise en œuvre de ce droit pour les individus privés de liberté.
Un accès inégalitaire de la population carcérale
L’autorité indépendante déplore une différenciation dans l’accès à la téléphonie selon les catégories de personnes détenues. Les personnes faisant l’objet d’une sanction disciplinaire ou affectées dans certains quartiers spécifiques en raison d’une dangerosité potentielle (quartier d’évaluation ou de prise en charge de la radicalisation, unités pour détenus violents notamment) voient cet accès restreint comparativement aux autres détenus. Le CGLPL affirme à cet égard que les contraintes d’organisation du personnel ne sauraient motiver des restrictions à l’accès au téléphone, a fortiori de ceux dont la prise en charge implique une séparation du reste de la détention.
Ce constat est en adéquation avec la tendance constatée depuis quelques années à la consécration d’un statut propre à la personne détenue violente et notamment extrémiste violente, lequel se caractérise par un amoindrissement des droits et libertés. Force est de constater que la dangerosité, concept issu initialement des théories des positivistes italiens de la seconde moitié du XIXe siècle, réapparaît comme une notion centrale dans le cadre du milieu carcéral.
Le CGLPL évoque ensuite également la situation des personnes placées en semi-liberté. Cette mesure consiste en un aménagement de peine accordé par le juge de l’application des peines et permettant au bénéficiaire de quitter l’établissement pénitentiaire sur des plages horaires préalablement fixées. Il résulte de l’avis commenté que ces quartiers sont généralement dépourvus de points-phone, privant les détenus de contact avec l’extérieur lorsqu’ils réintègrent l’établissement. Bien que ces personnes aient la possibilité de quitter l’établissement en général quelques heures par jour et d’accéder à cette occasion à leur téléphone portable, elles conservent le statut de détenu lorsqu’elles se trouvent en milieu carcéral. De fait, la critique formulée par le CGLPL concernant cette catégorie de personnes est fondée et nécessite un examen.
Une mise en œuvre de la communication téléphonique rendue difficile par les contraintes inhérentes à la détention
Le CGLPL déplore l’absence d’intimité et de confidentialité des détenus lors des échanges téléphoniques du fait, entre autres, de la surpopulation carcérale. Il est évident que cette surpopulation entraîne des incidences néfastes à tous les niveaux et aussi bien pour les personnes détenues que pour le personnel pénitentiaire. Force est de constater que cette problématique de la surpopulation carcérale existe depuis plusieurs dizaines d’années sans que les autorités ne parviennent à trouver une solution viable pour y remédier.
La longueur des procédures d’autorisation est ensuite soulevée, laquelle nécessite la communication de documents que le CGLPL appréhende comme injustifiés. En effet, les contacts téléphoniques, comme les visites, sont conditionnés à l’octroi d’une autorisation préalable, ce qui est évidement justifié notamment par les besoins de l’enquête pour les prévenus et la nécessité de mettre un terme au comportement délictuel ou d’éviter toute pression.
L’autorité indépendante requiert que lors de la procédure d’écrou, les arrivants puissent appeler un proche dans un délai de douze heures, y compris les week-ends et jours fériés et consulter leurs mobiles afin d’enregistrer les numéros utiles. Cette demande est tout à fait légitime et fondée et limiterait le fameux choc de l’incarcération. Le CGLPL affirme ensuite que la preuve de la titularité d’une ligne téléphonique doit pouvoir être rapportée par tout moyen pour l’examen d’une demande de permis de communiquer. Il est néanmoins nécessaire de prendre en considération les contraintes de vérification, lesquelles exigent des délais de traitement. Le CGLPL fait état d’un constat selon lequel les demandes d’appels téléphoniques des conjoints victimes sont systématiquement rejetées dans certains établissements. Or, l’interdiction de contact relève de la compétence des magistrats et comme le souligne justement l’autorité indépendante, un examen individualisé par l’administration pénitentiaire doit être réalisé en l’absence d’interdiction judiciaire de contact.
L’élargissement et l’alignement souhaités des moyens de communication utilisés
Par son avis publié au Journal officiel le 10 janvier 2011, le CGLPL avait déploré l’installation des cabines téléphoniques généralement en cours de promenade ou salle d’activité, ce qui posait des difficultés de pression éventuelle et d’absence confidentialité. Treize ans plus tard, l’autorité indépendante relève l’installation de points-phone directement en cellule depuis 2019. Cette évolution permet assurément de favoriser le maintien des liens familiaux et l’exercice des droits de la défense. Cette évolution n’est cependant pas suffisante pour le CGLPL : il milite pour le recours à la visiophonie, l’autorisation du téléphone portable, mais également pour la réduction des coûts pour les personnes détenues.
Le développement encouragé du recours à la visiophonie et à l’accès au téléphone portable en cellule
L’usage de ce mode de communication, permettant des appels téléphoniques et vidéos, apparaît intéressant pour les détenus ne pouvant bénéficier de parloirs avec leurs proches du fait d’un éloignement géographique, ainsi que pour ceux pratiquant, du fait de leur surdité, le langage des signes. Cette proposition apparaît comme pertinente et doit être encouragée.
Le CGLPL s’intéresse ensuite à la question du téléphone mobile en détention. Cette proposition est plus contestable en ce que la garantie d’un accès contrôlé semble difficilement possible.
La demande d’alignement des coûts des appels
L’avis commenté fait état de la problématique du coût de la téléphonie en détention. Le CGLPL déplore le recours à un prestataire exclusif qui pratique une facturation des appels à la minute. Dans un monde où les forfaits proposés offrent majoritairement des appels illimités, ce mode de fonctionnement est inadapté. D’autant plus lorsque l’on prend en considération le fait que les personnes détenues ne possèdent généralement que peu de ressources. En effet, d’une part, les offres de travail au sein du milieu carcéral ne sont pas en adéquation avec le nombre de personne incarcérées et, d’autre part, les salaires perçus sont dérisoires. Ce qui aboutit en définitive à mettre à la charge des proches le coût des appels. L’autorité indépendante sollicite que des mesures soient prises pour rapprocher le coût des appels téléphoniques et de la visiophonie du prix moyen du marché accessible à la population libre. Nous ne pouvons que nous rallier à ce positionnement, dont la mise en œuvre apparaît facilement accessible. Le CGLPL sollicite par ailleurs la gratuité des appels pour les personnes détenues mineures.
Néanmoins, il est intéressant de relever que le Conseil d’État a eu l’occasion de juger que le droit de téléphoner « s’exerce dans les limites inhérentes à la détention et dans les conditions particulières en résultant, notamment l’absence de libre choix de l’opérateur de téléphonie. Eu égard à la différence de situation objective existant entre les personnes détenues qui souhaitent téléphoner et les autres usagers d’un service de téléphonie, la circonstance que le tarif des communications téléphoniques, tel qu’il est fixé par les clauses réglementaires du contrat litigieux, est établi à un niveau plus élevé que celui dont bénéficient, en moyenne, les autres usagers du téléphone ne caractérise pas une rupture du principe d’égalité dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que cette différence de tarif soit manifestement disproportionnée. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les modalités spécifiques retenues pour le calcul de ce tarif caractérisent, par elles-mêmes, une rupture du principe d’égalité, les structures de coût du réseau exploité dans le cadre de la concession litigieuse n’étant pas comparables à celles des autres opérateurs de téléphonie » (CE 14 nov. 2018, n° 418788, Dalloz actualité, 21 nov. 2018, obs. J.-M. Pastor ; Lebon
; AJDA 2019. 475
, note J. Mouchette
; ibid. 2018. 2270
; D. 2019. 1074, obs. J.-P. Céré, M. Evans et E. Péchillon
; Constitutions 2018. 557, chron. L. Domingo
).
par Fanny Charlent, Docteur en Droit, Avocat inscrit au Barreau des Alpes de Haute-Provence
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