La concentration des prétentions devant la cour d’appel de renvoi
Devant la cour d’appel de renvoi après cassation, les prétentions nouvelles sont recevables si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique diffère, ou si elles en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. Il appartient dès lors à la cour d’appel de renvoi de rechercher, au besoin d’office, si les demandes qui lui sont soumises ne tendent pas aux mêmes fins que la demande initiale sur laquelle il avait été statué par le chef de l’arrêt atteint par la cassation ou n’en constituent pas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
La concentration des prétentions devant la cour d’appel de renvoi est à l’honneur. Au moyen du présent arrêt, la deuxième chambre civile apporte de nouvelles précisions intéressantes.
Un particulier contracte un contrat d’assurance-vie. À une certaine date et sous une certaine condition, il est prévu que l’assuré pourrait solliciter de l’assureur le paiement d’une somme précise augmentée de diverses valorisations et autres bonus. L’assureur lui indique in fine un capital exigible qui se trouve en-deçà du montant prévu. L’assuré, contestant ce montant, assigne l’assureur en paiement ainsi qu’en dommages-intérêts pour résistance abusive.
Par jugement du 5 septembre 2017, un tribunal de grande instance rejette ces demandes. Ce jugement est confirmé par l’arrêt d’une cour d’appel le 12 septembre 2019. Sur pourvoi, cet arrêt est partiellement cassé par un arrêt du 8 juillet 2021 (n° 19-24.199). La cassation n’atteint que les chefs de jugement ayant rejeté les demandes de l’assuré tendant à la condamnation de l’assureur à lui verser une certaine somme au titre du contrat d’assurance-vie et une autre au titre de la résistance abusive. L’assuré saisit alors une cour d’appel renvoi.
Devant la cour d’appel de renvoi, l’assuré formule une demande tendant au paiement d’une pension annuelle à compter d’une certaine date ainsi qu’au versement sur le compte assurance vie d’une certaine somme. La cour d’appel de renvoi juge ces prétentions nouvelles et, en conséquence, irrecevables, sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile, au motif qu’il ne s’agissait pas de l’une des demandes visées par le moyen de cassation et soumise à la Cour de cassation.
Un nouveau pourvoi est formé par l’assuré pris du défaut de base légale au regard des articles 565, 566 et 633 du code de procédure civile. Selon lui, il appartenait à la cour d’appel de renvoi de vérifier, au besoin d’office, si la prétention, quoique nouvelle, n’échappait pas à l’impératif de concentration en application des articles 565 (demandes tendant aux mêmes fins) ou 566 (demandes accessoires, conséquentielles ou complémentaires) rendus applicables par l’article 633 du code de procédure civile.
La deuxième chambre civile lui donne raison, non seulement quant à l’office général de la cour d’appel de renvoi dans le maniement de l’impératif de concentration, mais également et plus notablement dans la compréhension même qu’il faut avoir de l’article 564 du code de procédure civile devant la cour d’appel de renvoi.
Au visa combiné des articles 625, alinéa 1er, 633, 565 et 566 du code de procédure civile, la Cour énonce que « devant la cour d’appel de renvoi après cassation, les prétentions nouvelles sont recevables si elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, ou si elles en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire » (§ 10). Ce conclusif se comprend – et même s’éclaire – à la lecture conjointe du paragraphe en faisant application : en se déterminant comme elle l’a fait, « sans rechercher, même d’office, si les demandes qui lui étaient soumises ne tendaient pas aux mêmes fins que la demande initiale sur laquelle il avait été statué par le chef de l’arrêt atteint par la cassation ou n’en constituaient pas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (§ 12).
Cet arrêt appelle quelques observations sur l’office du juge d’abord, sur l’impératif de concentration lui-même ensuite.
L’office du juge
De jurisprudence constante, le juge d’appel qui statue sur la nouveauté d’une prétention en cause d’appel sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile se doit, au besoin d’office, de vérifier que les aménagements et exceptions prévus aux articles suivants ne s’appliquent pas (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-17.449, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 1842
), et ceci qu’il relève d’office la nouveauté de la demande ou qu’elle soit excipée par une partie adverse (étant rappelé qu’il peut relever d’office mais n’en a pas l’obligation, v. Civ. 2e, 10 janv. 2013, n° 12-11.667, Dalloz actualité, 5 févr. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 182
; ibid. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac
; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero
). Comme on a pu l’écrire, les articles 564 à 566 forment un système soudé de principe et exceptions : le juge qui entend mobilier le premier doit d’office vérifier l’éventuelle application des secondes (M. Barba et T. Le Bars, Épilogue jurisprudentiel : seule la cour connaît de la recevabilité des demandes nouvelles en appel, D. 2022. 2015
).
Assez formellement, la question demeurait de savoir si l’office du juge d’appel après renvoi était identiquement configuré. Il est vrai que, selon l’article 633 du code de procédure civile, la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s’appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée ; de sorte que l’impératif de concentration énoncé à l’article 564 du même code trouve à s’appliquer devant la cour d’appel de renvoi. En revanche, on aurait pu imaginer un office différent de la cour d’appel de renvoi contrastant avec l’office fort imposé à la cour d’appel initiale.
Au moyen du présent arrêt, la deuxième chambre civile lève l’hésitation en indiquant très clairement que l’office de la cour d’appel de renvoi est identique à celui de la cour d’appel initiale : il appartient à la première comme à la seconde de vérifier d’office la mise en œuvre des articles 565 et 566 du code de procédure civile lorsque l’application de l’article 564 du même code est envisagée ex officio ou sur demande d’une partie. La position est opportune : on ne perçoit pas les raisons qui auraient pu conduire à instaurer un office différencié.
Bien senti quant à l’office du juge d’appel de renvoi, l’arrêt l’est aussi quant à la mise en œuvre de l’impératif de concentration.
L’impératif de concentration
Nous le disions : l’application de l’article 564 du code de procédure civile devant la cour d’appel de renvoi faisait peu de doutes par le jeu de l’article 633 du même code. Au moyen de cet arrêt, la deuxième chambre civile le confirme (§ 10). Elle n’en apporte pas moins une importante précision : encore faut-il prendre en considération la portée de la cassation, déterminante de l’effet dévolutif devant la cour d’appel de renvoi. En l’espèce, il était en effet attendu de la cour d’appel de renvoi qu’elle vérifie si les demandes soumises n’étaient pas accessoires, complémentaires ou conséquentielles à la demande initiale ou ne tendaient pas aux mêmes fins que la demande initiale « sur laquelle il avait été statué par le chef de l’arrêt atteint par la cassation » (§ 11).
L’impératif de concentration énoncé par l’article 564 du code de procédure civile est ainsi aménagé au stade du renvoi après cassation, en bonne logique : la cour d’appel de renvoi doit non seulement regarder les demandes formées devant le juge de première instance – pour jauger la nouveauté de la prétention formulée devant elle – mais aussi regarder le dispositif de l’arrêt de cassation sur le fondement duquel elle est saisie – pour vérifier qu’elle peut bien statuer à l’endroit de la prétention arguée de nouveauté. De fait, si la cassation n’atteint pas le chef de l’arrêt ayant statué sur la demande initiale formulée devant le premier juge, le juge de renvoi ne saurait connaître de la prétention arguée de nouveauté qui s’y rattache possiblement : elle est hors de l’orbite de sa saisine. C’est bien l’arrêt de cassation qui fixe l’effet dévolutif devant la cour d’appel de renvoi et non la déclaration de saisine ou les conclusions des parties : la cour d’appel de renvoi ne peut statuer à nouveau, en fait et en droit, que dans les limites des chefs atteints par la cassation ; elle ne saurait statuer sur un chef distinct n’ayant pas été atteint par la cassation (C. pr. civ., art. 624 et 638).
Ainsi s’explique, au sein de l’arrêt commenté, le visa de l’article 625, alinéa 1er, du code de procédure civile aux termes duquel la cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt cassé sur les points qu’elle atteint ; article 625 qui aurait avantageusement pu être accompagné de son prédécesseur immédiat.
Un regard vers le bas pour jauger la nouveauté de la demande (première instance), un regard vers le haut pour déterminer l’effet dévolutif (instance de cassation) : c’est là ce qui est attendu de la cour d’appel de renvoi qui statue sur la recevabilité des prétentions arguées de nouveauté sur le fondement des articles 564 et suivants du code de procédure civile. La solution est en vérité classique même si la doctrine s’y est peu attardée (Civ. 2e, 21 déc. 2006, n° 06-12.293, « étaient recevables les demandes, bien que formées par une partie qui ne s’était pas pourvue en cassation contre le précédent arrêt, qui étaient l’accessoire, la conséquence ou le complément d’une demande initiale sur laquelle il avait été statué par un chef de l’arrêt atteint par la cassation » ; l’art. 624 fut alors visé).
En outre, la cour d’appel de renvoi doit également jeter un regard vers l’arrière, dans le rétroviseur dirait-on, car en cause d’appel, l’impératif de concentration est dédoublé : il s’exprime certes à travers l’article 564 mais se trouve encore au cœur de l’article 910-4 du code de procédure civile, lequel impose la concentration des prétentions sur le fond au dispositif des premières conclusions déposées dans les délais Magendie.
Or rappelons deux choses après la Cour de cassation : d’une part, l’article 910-4 s’applique devant la cour d’appel de renvoi en considération des premières conclusions déposées devant la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé (Civ. 2e, 12 janv. 2023, n° 21-18.762, Dalloz actualité, 23 févr. 2023, obs. R. Laffly ; D. 2023. 76
) ; d’autre part, si l’article 910-4 ne fait pas obstacle aux moyens nouveaux dans des conclusions postérieures (Civ. 2e, 2 févr. 2023, n° 21-18.382, Dalloz actualité, 15 mars 2023, obs. R. Laffly ; D. 2023. 302
), il fait en revanche obstacle aux prétentions nouvelles quand bien même elles se rattacheraient aux prétentions initiales pour tendre aux mêmes fins, en être l’accessoire, le complément ou la conséquence (Soc. 28 févr. 2024, n° 23-10.295, Dalloz actualité, 14 mars 2024, obs. M. Barba ; RDT 2024. 200, chron. F. Guiomard
). C’est dire, au cas présent, que la seconde cour d’appel de renvoi, pourrait bien prononcer l’irrecevabilité des demandes nouvellement formées par l’appelant sur le fondement de l’article 910-4 du code de procédure civile (il lui faudra alors regarder très en arrière, jusqu’aux premières conclusions déposées devant la cour d’appel initiale dont l’arrêt fut cassé en 2021). Pour mémoire, la cour d’appel a la faculté, et non l’obligation, de relever d’office l’irrecevabilité tirée de l’article 910-4 du code de procédure civile (Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-25.108, Dalloz actualité, 15 janv. 2024, obs. M. Barba ; AJ fam. 2024. 64, obs. F. Eudier
).
Un regard vers le bas, un regard vers le haut, un regard vers l’arrière et même très en arrière : l’impératif de concentration des prétentions impose décidément à la cour d’appel de renvoi bien des contorsions qui pourraient in fine œuvrer… à la déconcentrer.
Par Maxime Barba, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Codirecteur de l’IEJ de Grenoble
Civ. 2e, 28 mars 2024, F-B, n° 22-13.419
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