La contestation des conditions indignes de détention ne porte pas uniquement sur les conditions matérielles

Le recours spécifique prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale permet de contester toute condition de détention portant atteinte à la dignité de la personne détenue, y compris lorsqu’elle ne résulte pas des conditions matérielles de détention. Un prévenu ne peut donc valablement se plaindre de conditions indignes ayant pour origine le comportement d’autres détenus, dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, cette contestation devant faire l’objet dudit recours.

En 2020, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 30 janv. 2020, J. M. B. c/ France, nos 9671/15 et a., Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064 , note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs. , note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré ), pour les traitements inhumains ou dégradants qui avaient pour origine les conditions dans lesquelles certaines personnes étaient détenues et pour l’absence de recours effectif permettant de les contester. Prenant acte de cette décision, la chambre criminelle de la Cour de cassation, à l’occasion d’un arrêt portant sur une décision de prolongation de détention provisoire, avait créé un recours prétorien permettant au détenu provisoire de contester ses conditions de détention (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. C. Margaine ; AJDA 2020. 1383 ; ibid. 1383 ; D. 2020. 1774 , note J. Falxa ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 404, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 517, obs. D. Zerouki-Cottin ; RTD civ. 2021. 83, obs. P. Deumier ). Puis, le juge constitutionnel avait reproché au législateur de n’avoir pas organisé de tels dispositifs juridiques permettant de faire cesser des conditions indignes de détention (Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. F. Engel ; AJDA 2020. 1881 ; ibid. 2158 , note J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun ; D. 2021. 57, et les obs. , note J. Roux ; ibid. 2020. 2056, entretien J. Falxa ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 580, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier ; RSC 2021. 475, obs. A. Botton ; RTD civ. 2021. 88, obs. P. Deumier ). Il déclara donc l’article 144-1 du code de procédure pénale, relatif à la détention provisoire, contraire à la Constitution. Le législateur, par une loi du 8 avril 2021 (Loi n° 2021-403 du 8 avr. 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention), a créé un nouveau recours prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale permettant, aussi bien pour le détenu provisoire que pour la personne condamnée, de contester les conditions de détention.

Le champ d’application de cet article continue d’être précisé par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 30 septembre 2025, vient d’en élargir considérablement le périmètre.

En l’espèce, un individu accusé de viol et d’agression sexuelle, en récidive, et d’atteinte à l’intimité de la vie privée, a été placé en détention provisoire. Le ministère public a demandé la prolongation exceptionnelle de celle-ci. Devant la chambre de l’instruction, le prévenu faisait valoir qu’il pesait sur lui un risque permanent de traitement inhumain ou dégradant ayant pour origine le comportement d’autres détenus. La chambre de l’instruction s’est déclarée incompétente pour connaître des conditions indignes de détention dont la contestation doit faire l’objet d’un recours spécifique fondé sur l’article 803-8 du code de procédure pénale.

L’accusé a formé un pourvoi en cassation en alléguant que le risque qu’il subisse des traitements inhumains ou dégradants n’entre pas dans les dispositions de l’article 803-8, dès lors que n’étaient pas en cause les conditions « matérielles » de sa détention. L’argumentation présentée par l’accusé consistait donc à faire reconnaître que le recours prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale ne concerne que les conditions matérielles de détention et non, de manière générale, les conditions indignes de détention. De la sorte, le risque lié au comportement d’autres détenus échapperait au contentieux monopolisé par ce texte, et s’analyserait comme un traitement inhumain ou dégradant constituant une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme à laquelle le juge judiciaire doit mettre fin.

La Cour de cassation ne souscrit pas à une telle analyse. Elle considère en effet que la contestation des conditions de détention « englobe la question de [l]a sécurité et des mesures de prévention et d’assistance à la charge de l’administration pénitentiaire » (§ 8) qui doit faire l’objet d’un recours spécifique prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale. Partant, elle rejette le pourvoi.

Article 803-8 du code de procédure pénale : un recours concernant les conditions indignes de détention

L’arrêt commenté est inédit. Il affirme pour la première fois que l’article 803-8 du code de procédure pénale est bien une voie de droit ouverte à la contestation des conditions indignes de détention. Plus précisément, ce recours ne porte pas seulement sur les conditions matérielles de détention, mais sur l’ensemble des conditions de détention susceptibles de porter atteinte à la dignité de la personne détenue.

La Cour de cassation doit sans doute être approuvée dans son analyse du code de procédure pénale. L’article 803-8 de ce code permet en effet au requérant de former un recours s’il « considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine ». Or, en vertu de l’adage ubi lex non dinstinguit nec nos distinguere debemus (Là où la loi ne distingue pas, il convient de ne pas distinguer), la Cour a jugé à bon droit que la disposition législative « ne distingue pas selon l’origine ou la nature des conditions indignes ». Dès lors, que l’indignité ait pour origine des conditions matérielles de détention ou une carence dans la sécurisation de la personne détenue, elle doit être soulevée dans le cadre du recours prévu à l’article 803-8.

Le premier enseignement de cet arrêt, et pas des moindres, consiste dans l’affirmation que ce recours « permet à toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire, qui considère que ses conditions de détention sont contraires à sa dignité en raison du comportement des autres détenus, d’exercer le recours prévu à cet article » (§ 9).

Reste que ce recours monopolise donc la contestation des conditions indignes de détention.

Le monopole de l’article 803-8 du code de procédure pénale

Le champ d’application de l’article 803-8 efface donc les moyens tirés de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dès lors que certaines prétentions du prévenu sont fondées sur une demande pouvant être formulée dans le cadre du premier recours, l’argument consistant à mettre fin à un traitement inhumain ou dégradant est irrecevable devant le juge des libertés et de la détention saisi d’une demande de prolongation de la détention provisoire. L’innocuité de l’argument tiré du caractère indigne des conditions de détention dans le cadre du contentieux de la détention provisoire avait déjà été reconnue par le passé. La Cour avait affirmé à trois reprises, de manière très claire, que « Cette voie de recours spécifique exclut toute demande en ce sens formée dans le cadre du contentieux de la détention provisoire » (2 arrêts reprenaient cette formulation, Crim. 22 oct. 2024, n° 24-84.540, Dalloz actualité, 6 déc. 2024, obs. F. Charlent ; 3 juin 2025, n° 25-82.239). Cette solution pourrait avoir pour effet de multiplier les recours exercés devant la chambre de l’instruction.

Paradoxalement, la consécration législative d’un recours permettant de faire cesser des conditions indignes de détention retire le pouvoir au juge des libertés et de la détention d’évoquer de tels éléments lorsqu’il a à connaître d’un renouvellement de détention provisoire. Il faut se rappeler que dans son arrêt du 8 juillet 2020 (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, préc.), la Cour de cassation avait bien tiré les enseignements de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la violation de l’article 13 de la Convention. La Haute juridiction citait les juges de Strasbourg qui considéraient, s’agissant du juge administratif, que « le pouvoir d’injonction conféré à ce juge ne lui permet pas de mettre réellement fin à des conditions de détention contraires à la Convention ». Elle avait donc créé un recours ad hoc qu’elle savait devoir être effectif afin de mettre la France en conformité avec les dispositions conventionnelles.

Or, la consécration législative de ce recours à l’article 803-8 du code de procédure pénale prive le juge des libertés et de la détention, au moment où il se prononce sur le renouvellement d’une détention provisoire, de prendre en compte le caractère indigne des conditions de détention. Cette solution semble toutefois cohérente puisque la consécration législative de ce recours lui donne une forme juridique propre malmenant le flou qui lui conférait alors une portée argumentative non définie. De la sorte, le juge qui ne serait pas saisi d’une telle demande se prononcerait ultra petita s’il venait à prendre en compte un tel argument. De plus, la création prétorienne d’un recours semblable par l’arrêt du 8 juillet 2020 avait été guidée par le constat qu’une personne placée dans des conditions indignes de détention ne bénéficiait d’aucune voie de droit, préventive et effective, permettant d’empêcher la continuation de la violation de l’article 3 de la Convention (Crim. 8 juill. 2020, n° 20-81.739, préc., § 22). Si l’existence d’un recours préventif est maintenant certaine, reste à savoir s’il est effectif.

Le détenu provisoire moins protégé que le détenu condamné

Dans un arrêt du 22 janvier 2025 (Crim. 22 janv. 2025, n° 23-86.433, Dalloz actualité, 20 févr. 2025, obs. A. Coste ; D. 2025. 1092, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et E. Péchillon ; AJ pénal 2025. 154, obs. É. Noël ), la chambre criminelle avait affirmé que le juge d’application des peines saisi d’une demande de suspension de peine devait rechercher si le maintien en détention constituait un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention, « indépendamment du recours [que la personne condamnée] pourrait exercer sur le fondement de l’article 803-8 du code de procédure pénale ». Autrement dit, le juge d’application des peines saisi d’une demande en aménagement de peine reste le garant de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette solution se justifie par le fait que la prise en compte des conditions de détention innerve l’ensemble du contentieux de l’application des peines. L’article 707 du code de procédure pénale, en son « III », dispose ainsi que « Toute personne condamnée incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire ». Notons qu’il s’agit ici des conditions « matérielles » de détention. La décision serait-elle la même si la personne condamnée venait à se plaindre de conditions indignes de détention n’ayant pas de rapport avec les conditions matérielles de détention ?

Toujours est-il que, même si les différentes solutions de la Cour de cassation peuvent être justifiées par une lecture rigoureuse des textes, elles aboutissent à ce que le détenu provisoire évolue dans une procédure plus rigoureuse que le détenu condamné. Le recours prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale entre en concurrence avec l’office du juge des libertés et de la détention qui en est considérablement réduit, là où l’article 707 du code de procédure pénale légitime l’intégration, dans le raisonnement du juge d’application des peines, du caractère indigne des conditions de détention. Or, le détenu provisoire est présumé innocent et pourra in fine être relaxé ou acquitté par les juridictions de fond.

 

Crim. 30 sept. 2025, F-B, n° 25-84.883

par Dorian Gandolfo, Doctorant contractuel à la Faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille Université

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