La Cour administrative d’appel de Paris contrôle le refus de rapatrier des enfants retenus en Syrie

S’appuyant sur l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2022, la Cour administrative d’appel de Paris reconnaît sa compétence pour contrôler le refus de rapatriement de Français retenus dans le nord-est de la Syrie en cas de circonstances exceptionnelles.

La Cour administrative d’appel de Paris, en formation plénière, accepte de contrôler, dans le strict respect des conditions posées par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, gr. ch., 14 sept. 2022, nos 24384/19 et 44234/20, Dalloz actualité, 20 sept. 2022, obs. F. Merloz ; AJDA 2023. 83 , note X. Bioy et J. Schmitz ; ibid. 2022. 1711 ; ibid. 2023. 118, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2023. 1615, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2022. 461, obs. F. Capelier ; RTD civ. 2022. 852, obs. J.-P. Marguénaud ), le refus du gouvernement français de rapatrier une mère et ses quatre enfants retenus depuis plusieurs années dans le camp de Roj en Syrie.

La cour était saisie de plusieurs appels concernant des Français ou leurs enfants partis en Syrie entre 2014, et 2016 pour rejoindre la zone irako-syrienne, alors contrôlée par l’organisation terroriste État islamique, et désormais détenus dans des camps ou des prisons dans le nord-est de la Syrie, sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes.

La cour administrative d’appel rappelle que traditionnellement de telles requêtes échappent en principe à la compétence de toute juridiction. En effet, « la requête tendant à l’annulation d’une décision rejetant une demande de rapatriement d’un national français détenu à l’étranger, qui ne peut être rendu possible par la seule délivrance d’un titre lui permettant de franchir les frontières françaises mais nécessiterait l’engagement de négociations avec des autorités étrangères ou une intervention sur un territoire étranger, n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France ».

La présence de circonstances exceptionnelles

Toutefois, par un arrêt du 14 septembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France au motif que les demandes de proches de familles françaises détenues en Syrie n’ont pas fait l’objet d’un examen individuel approprié garantissant que le refus de leur retour sur le territoire national fût dépourvu d’arbitraire. En grande chambre, la juridiction européenne avait jugé qu’en présence de circonstances exceptionnelles, le rejet d’une demande de retour doit pouvoir faire l’objet d’un examen par un organe indépendant, permettant notamment de vérifier la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants et leur particulière vulnérabilité.

La juridiction d’appel en a tiré les conséquences dans les quatre espèces dont elle était saisie non sans avoir précisé que les modalités prévues par la Cour européenne des droits de l’homme « qui doivent conduire le juge à tenir compte des motifs tirés de considérations impérieuses d’intérêt public ou de difficultés d’ordre juridique, diplomatique et matériel que les autorités exécutives pourraient légitimement invoquer, ne portent atteinte à aucune règle ou à aucun principe de valeur constitutionnelle, notamment ni à l’article 20 de la Constitution ni l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

Trois d’entre elles concernaient le rapatriement d’hommes, âgés de dix-huit (n° 23PA05180, AJDA 2025. 415 ), vingt-et-un (n° 23PA05354, AJDA 2025. 415 ) et trente-et-un (n° 23PA05213, AJDA 2025. 415 ) ans, partis combattre volontairement en Syrie et faisant l’objet de mandats d’arrêt pour des faits d’association de malfaiteurs terroriste. La cour administrative d’appel relève à leur sujet que si leurs parents font valoir les conditions de détention, en dehors de tout cadre légal, « il n’en résulte pas que la situation de l’intéressé devrait être regardée comme relevant de circonstances exceptionnelles au sens de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ».

La requête n° 23PA04014 concernait, quant à elle, la demande de rapatriement de Mme A. et de ses quatre enfants, dont deux nés en Syrie. La cour relève qu’ils vivent depuis plusieurs années dans le camp de Roj, dans des conditions de dénuement, d’insalubrité et d’insécurité extrêmes, dans une zone de conflit armé du nord-est de la Syrie échappant à tout contrôle d’une autorité étatique. Des menaces directes pèsent sur l’intégrité physique et la vie des enfants qui se trouvent ainsi placés dans une situation de grande vulnérabilité. Enfin, ils sont dans l’impossibilité de quitter ce camp pour rejoindre le territoire national sans l’assistance des autorités françaises. « Dans ces conditions, l’exigence de “circonstances exceptionnellesˮ au sens de l’arrêt [de la CEDH] doit être regardée comme établie ». Par suite, Mme A. est fondée à soutenir que c’est à tort que le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Compétence de la Directrice des Français à l’étranger

Toutefois, la cour administrative d’appel rejette sa requête. Elle écarte le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas des exigences de l’arrêt de la Cour européenne que la décision rejetant une demande de rapatriement d’un Français retenu à l’étranger doive être prise par une autorité indépendante du gouvernement. De plus, en vertu des attributions qui lui sont conférées par l’effet de sa nomination, le ministre chargé des Affaires étrangères a compétence pour se prononcer sur une telle demande. Dès lors, par l’effet combiné des dispositions de l’article 8 du décret n° 2012-1511 du 28 décembre 2012 portant organisation de l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères, qui charge la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire de la protection des droits et des intérêts des Français hors de France, et de l’article 1er du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature, la Directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire était compétente à cette fin.

Enfin, « dès lors que, les conclusions de la requête doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 21 avril 2023 qui s’est substituée à la décision implicite de rejet initialement contestée, la requérante ne peut utilement soutenir que l’administration aurait méconnu les dispositions de l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration en ne lui communiquant pas les motifs de sa décision implicite dans le délai d’un mois qu’elles lui impartissent ».

 

CAA Paris, 27 févr. 2025, n° 23PA04014

CAA Paris, 27 févr. 2025, n° 23PA05354

CAA Paris, 27 févr. 2025, n° 23PA05213

CAA Paris, 27 févr. 2025, n° 23PA05180

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