La Cour des comptes évalue les alternatives à la prison

La Cour des comptes a évalué deux peines alternatives à l’incarcération : le travail d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Alors que le législateur et le ministère de la Justice ont voulu les développer, les résultats sont restés mitigés. La Cour a cherché des explications. Elle s’est aussi penchée sur les effets sur la récidive, avec, là-aussi, des résultats contrastés.

Depuis 2019, le travail d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) sont deux des alternatives fortement encouragées pour les pouvoirs publics. On compte un peu plus de 22 000 personnes suivies pour le TIG et 18 000 pour la DDSE. Mais ce volontarisme a eu des résultats limités : le nombre de TIG diminue depuis 2020.

La Cour des comptes a donc décidé d’évaluer ces deux peines, associant analyse statistique, questionnaires aux professionnels et enquêtes de terrain. L’objectif était de voir comment ces peines étaient appréhendées par les magistrats, si elles favorisent la réinsertion et si elles permettent de lutter contre la réitération.

Un prononcé insuffisant de ces alternatives

Le nombre de peines d’emprisonnement prononcées en première instance a baissé de 5 % entre 2018 et 2023. Toutefois, les peines sont moins aménagées qu’auparavant par les juges de l’application des peines (JAP). Les incarcérations sont donc restées stables (78 151 entrées en détention en 2023 contre 78 742 en 2019), et les peines étant plus lourdes, la surpopulation explose : les juges ont prononcé 10 000 années d’emprisonnements de plus entre 2019 et 2023 !

Concernant le TIG, la peine a fortement été encouragée, avec la création d’une agence dédiée (l’Atigip, Dalloz actualité, 20 nov. 2018, obs. T. Coustet) et la forte hausse du nombre de places disponibles (Dalloz actualité, 14 févr. 2020, interview de C. Mouhanna). Or, le nombre de TIG prononcés ne cesse de baisser… En dix ans, la chute est de 40 %, « particulièrement marquée depuis 2020 ». Les juges se sont mieux emparés de la peine de DDSE, mais pas suffisamment. Par rapport à l’incarcération (142 €/jour), les peines alternatives sont pourtant bien moins coûteuses. Le coût global d’un TIG est estimé à 1 862 € et celui d’une DDSE à 2 788 €.

Une des explications de cet échec du TIG est le développement des procédures de jugement rapides. De plus en plus, les sanctions sont décidées par le parquet ou des juges décidant seuls. Avec l’aménagement « ab initio », ce ne sont plus les JAP spécialisés qui décident de la peine effectuée. La Cour note que dans certaines juridictions, le choix de faire participer les JAP aux audiences correctionnelles a favorisé « la montée en puissance du TIG et de la DDSE ».

Autre problème, l’insuffisance des outils informatiques, qui empêchent les magistrats de disposer d’une connaissance précise de la situation pénale des mis en cause. Les enquêtes sociales rapides, qui permettent d’évaluer la pertinence d’un TIG ou d’une DDSE, sont également jugées trop souvent limitées ou caduques. Par ailleurs, contrairement à la DDSE, le TIG n’est pas vu comme une alternative réelle à de la prison ferme : les juges hésitent rarement entre ces deux sanctions.

Quels effets sur la récidive ?

La Cour s’est également penchée sur la réitération. À partir des données 2010-2020 du casier judiciaire, elle a calculé que le taux de réitération dans les cinq ans suivant le prononcé d’un TIG s’établissait autour de 60 %. Pour la Cour, « il n’existe pas, en moyenne et toutes choses égales par ailleurs, d’effet bénéfique du prononcé d’un TIG sur la récidive dans les cinq ans suivant la condamnation, comparativement à une courte peine d’emprisonnement ferme ». Les résultats sont plus positifs pour la DDSE : « à profil équivalent, les personnes ayant bénéficié d’une DDSE à la place de l’incarcération présentent des taux de récidive inférieurs de 13,5 points ».

Il y a plusieurs explications avancées. Les condamnés, qui cumulent les difficultés, ont besoin d’un suivi sérieux. D’après les réponses des CPIP à la Cour, 42 % des personnes en DDSE et 30 % des Tigistes devraient suivre des soins. Mais, « faute de places disponibles, les personnes condamnées ne peuvent pas toujours suivre le parcours de soins qui leur est imposé ». Même chose pour l’emploi. La Cour a calculé que 63 % des Tigistes et 53 % des personnes en DDSE sans activité n’ont toujours pas de perspective d’emploi ou de formation dans l’année.

Renforcer le suivi des mesures

Pour la Cour, « l’ensemble du dispositif de suivi et de contrôle, tel qu’il est mis en œuvre, se caractérise donc par une difficile gradation de la réponse apportée par le système judiciaire au comportement du probationnaire ». En moyenne, les Tigistes rencontrent leur conseiller d’insertion six mois après la condamnation et ne les voient que deux fois.

Le suivi des personnes sous bracelet est légèrement plus intensif (un rendez-vous tous les 2 à 3 mois), mais la pratique des visites à domicile par les conseillers s’est perdue. Surtout, le suivi est concentré sur la gestion des retards. Près de 8 000 alarmes retards sonnent chaque jour et toutes ne sont pas traitées. Les conseillers ne prennent souvent l’attache des condamnés « qu’au bout de trois voire cinq alarmes ». Le juge n’est informé par le CPIP qu’après une accumulation d’incidents. Pourtant, ils y consacrent un temps important. Selon leurs réponses au questionnaire de la Cour, les JAP se perçoivent plus comme le « juge de l’incident » que comme celui du suivi de l’exécution de la mesure.

Si ces condamnés sont peu suivis, c’est parce qu’ils ne sont pas considérés comme particulièrement « à risque », contrairement aux condamnés pour violences intrafamiliales. Pour la Cour, les contacts sont trop formels et la sanction d’un manquement reste la rédaction d’un rapport au JAP. Mais ceux-ci sont confrontés à un flux de dossiers importants, et leur marge de manœuvre pour sanctionner est réduite. Il faut donc renforcer les moyens dans le suivi des probationnaires mais également réorienter le profil des CPIP, en recrutant davantage de travailleurs sociaux et d’éducateurs. 

 

Rapport de la Cour des comptes, 4 mars 2025

© Lefebvre Dalloz