La créance du garant financier doit être déclarée même si la garantie n’est pas encore appelée

La créance d’un organisme de garantie collective qui s’est porté garant d’une agence de voyage est née du contrat qu’il a conclu, et doit donc être déclarée dans les deux mois de la publication au BODACC du jugement d’ouverture de la procédure collective de l’agence de voyage, lorsque le contrat de garantie financière est antérieur au jugement d’ouverture, peu important que la garantie n’ait pas encore été appelée.

À l’heure où les Français commencent à songer à leur lieu de villégiature estivale, il n’est pas inutile de se demander ce qu’il se passerait si, par malchance, leur agence de voyage se trouvait en situation d’insolvabilité, avec le spectre de l’affaire Thomas Cook en toile de fond… Il existe en effet un système de garantie contre l’insolvabilité qui doit protéger les voyageurs, clients de l’agence dans cette hypothèse – il ne s’applique cependant pas aux sites en ligne qui se bornent à comparer des offres de forfaits touristiques ou des services de voyage (Rép. min. n° 12502, JOAN, 21 mai 2019, p. 4704). Ce système peut soulever certaines difficultés lorsqu’il rencontre celui des procédures collectives et, en particulier, le mécanisme de la déclaration des créances.

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 février 2024, l’agence de voyage Quality voyage a été mise en sauvegarde par un jugement du 3 décembre 2019, publié au BODACC cinq jours plus tard. Cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du 17 décembre 2019 et publié les 25 et 26 décembre 2019. L’Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST), qui avait fourni à l’agence de voyage la garantie financière exigée pour son immatriculation au registre des opérateurs de tourisme, a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de l’agence Quality Voyage par lettre recommandée avec avis de réception du 24 février 2020 pour un montant de 292 400 € à titre provisoire. Le liquidateur lui ayant opposé le caractère tardif de cette déclaration, le garant financier, après y avoir été invité par le juge-commissaire qui avait constaté l’existence d’une contestation sérieuse, a assigné l’agence de voyage et le liquidateur devant le tribunal de la procédure collective pour obtenir le relevé de la forclusion et l’admission de sa créance.

La Cour d’appel de Reims a déclaré le garant financier forclos en sa déclaration de créance et a rejeté sa demande de relevé de forclusion, ce qui n’était pas sans disconvenir au garant, qui a formé un pourvoi en cassation. Pouvait-il être tenu de déclarer sa créance, alors que la garantie n’avait pas encore été appelée ?

La Cour de cassation répond par la positive et rejette le pourvoi en se référant à l’article L. 622-24 du code de commerce. C’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la créance du garant financier est née du contrat qu’elle a conclu, avant l’ouverture de la sauvegarde, avec l’agence de voyage, pour procurer à cette dernière la garantie obligatoire exigée à l’article L. 211-18 du code du tourisme. Les juges d’appel en ont exactement déduit que cette créance devait, indépendamment de son exigibilité, être déclarée dans les deux mois de la publication du jugement d’ouverture, intervenue le 8 décembre 2019, et la forclusion de la déclaration de créance du garant financier effectuée le 24 février 2020. On notera que la conversion en liquidation judiciaire, publiée les 25 et 26 décembre 2019, demeure sans effet sur le point de départ du délai de déclaration de la créance, qui, ayant été effectuée le 24 février 2020, était bien tardive (Com. 15 févr. 2011, n° 09-14.318).

L’arrêt examiné précise nettement le critère de la date de naissance de la créance du garant d’une agence de voyage, mais cela ne répond pas à toutes les difficultés.

La date de naissance de la créance du garant d’une agence de voyage

Toute agence de voyage doit être immatriculée sur un registre tenu par l’Agence de développement touristique de la France, qui est un groupement d’intérêt économique nommé « Atout France » (C. tourisme, art. L. 141-3). Pour être immatriculée, une agence de voyage doit justifier, à l’égard des voyageurs, d’une « garantie financière suffisante », (C. tourisme, art. L. 211-18), spécialement « affectée au remboursement de l’intégralité des fonds reçus par l’opérateur de voyages et de séjours au titre des engagements qu’il a contractés à l’égard du consommateur final pour des prestations en cours ou à servir et permet d’assurer, notamment en cas de cessation de paiements ayant entraîné un dépôt de bilan, le rapatriement des voyageurs et la prise en charge des frais de séjour supplémentaires qui résulteraient directement de l’organisation du rapatriement » (C. tourisme, art. R. 211-26).

Depuis le 1er janvier 2016, date d’entrée en vigueur du décret n° 2015-1111 du 2 septembre 2015 relatif à la garantie financière et à la responsabilité civile professionnelle des agents de voyage et autres opérateurs de la vente de voyages et de séjours, la garantie financière doit être illimitée pour tous les opérateurs de marché (C. tourisme, art. R. 211-30). En effet, la « garantie suffisante » de l’article L. 211-18 est définie comme « la garantie de la totalité des fonds reçus du consommateur final au titre des forfaits touristiques et des prestations énumérées à l’article L. 211-1 qui ne portent pas uniquement sur des titres de transport » (idem).

Cette garantie, qualifiée de « garantie contre l’insolvabilité » par l’article L. 211-18-1 du code du tourisme, doit résulter de l’engagement d’un organisme de garantie collective, d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’assurance établis sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou d’une société de financement. L’APST, garant financier de l’agence de voyage dans l’arrêt examiné, fait partie des acteurs principaux du secteur.

Pour soutenir qu’elle échappait à l’obligation de déclarer sa créance de restitution des fonds susceptibles d’être versés en exécution de la garantie, l’association professionnelle faisait valoir que l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, étant exclusive d’un état de cessation des paiements, elle ne pouvait constituer un cas de défaillance justifiant la mise en œuvre de la garantie financière prévue par l’article L. 211-18 du code du tourisme. L’argument, écarté car critiquant un motif surabondant de l’arrêt d’appel, était fondé sur l’idée que la créance du garant financier découlait de la mise en œuvre de la garantie financière, et non de la conclusion du contrat de garantie. Ce même argument est avancé plus frontalement dans la troisième branche du moyen : selon le garant, le délai de déclaration ne devait pas commencer à courir à la date de publication du jugement d’ouverture au BODACC, mais à compter de la date de mise en œuvre de la garantie financière au profit des clients lésés par la défaillance de l’agence de voyage.

C’était oublier la différence entre la date de naissance de la créance et sa date d’exigibilité, et le pourvoi est à juste titre rejeté. Concrètement, si la garantie est accordée, elle n’est mise en œuvre que dans le cas où des clients seraient lésés par la défaillance de l’agence de voyage. Le mécanisme est donc similaire à l’obligation de couverture d’une caution, par opposition à l’obligation de règlement, suivant la distinction célèbre théorisée par Christian Mouly (C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, thèse, 1977, Litec) et reprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés. Pour poursuivre l’analogie avec un cautionnement – l’article R. 211-32 du code du tourisme ne renvoie-t-il pas directement à l’article 2309 du code civil, propre au contrat de cautionnement ? – le garant financier jouerait le rôle de la caution, l’agence de voyage serait le débiteur, et le client serait le créancier. Le client achète un forfait touristique auprès de l’agence de voyage, qui est donc engagée auprès du client. Si elle n’exécute pas sa prestation, elle est tenue au remboursement des fonds versés par le client, qui a donc une créance contre l’agence de voyage. C’est pour couvrir le remboursement de cette somme que le garant financier intervient. S’il est appelé en paiement, il dispose naturellement d’un recours contre l’agence de voyage, pour avoir payé sa dette. Telle était la créance au cœur des débats, et dont il s’agissait de savoir si elle devait être déclarée au passif de la procédure collective de l’agence de voyage.

La Cour de cassation s’appuie très logiquement sur l’article L. 622-24 du code de commerce, pour rappeler que sont tenus à déclaration les créanciers dont la créance est née avant le jugement d’ouverture, peu important sa date d’exigibilité. La distinction est classique, et elle n’est pas sans rappeler la jurisprudence applicable en matière de créance éventuelle. On sait, en effet, que les créances éventuelles doivent être déclarées (Com. 9 oct. 2019, n° 18-18.818, RTD com. 2020. 463, obs. A. Martin-Serf  ; Gaz. Pal. 14 janv. 2020, n° 368e2, p. 68, obs. J.-L. Vallens ; BJE janv. 2020, n° 117n0, p. 19, obs. M. Houssin), et les cas ne sont pas rares. Ainsi, le créancier d’une SCI doit déclarer sa créance éventuelle au passif de la procédure collective de l’associé de la société, peu important que les créanciers ne puissent pas justifier de vaines poursuites préalables à l’encontre de la société (Civ. 3e, 23 mai 2007, n° 06-14.988 P, D. 2007. 1513, et les obs.  ; v. aussi, pour une SCP, Com. 30 juin 2004, n° 02-15.345, D. 2004. 2155, et les obs.  ; Rev. sociétés 2004. 952, note J.-F. Barbièri  ; RTD com. 2005. 171, obs. A. Martin-Serf ). En matière de garanties, on sait également que, sous le régime antérieur à l’ordonnance du 15 septembre 2021, la caution pouvait, même avant d’avoir payé, agir contre le débiteur principal dans les cas prévus par l’ancien article 2309 du code civil, et elle était alors fondée, au titre de son recours anticipé en indemnisation prévue par ce texte, à déclarer sa créance dans la procédure collective du débiteur, « sans qu’il soit exigé qu’elle ait été appelée au préalable ni qu’elle ait exécuté son engagement » (Com. 30 janv. 2019, n° 17-22.743, Rev. sociétés 2019. 215, obs. L.-C. Henry  ; BJE mai 2019, n° 116y5, p. 34, obs. S. Atsarias). Ainsi, les créanciers titulaires d’une créance de garantie doivent déclarer celle-ci au passif, alors même que la garantie n’est pas activée.

A priori, dans l’arrêt examiné, la Cour de cassation aurait pu qualifier la créance d’éventuelle. En réalité, l’arrêt d’appel nous apprend que l’APST « avait été contrainte de mettre en œuvre sa garantie financière en service ainsi qu’en deniers et a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire de l’agence Quality Voyage par lettre recommandée avec avis de réception du 24 février 2020 pour un montant de 292 400 € à titre provisoire ». Cela ne permet pas d’affirmer avec certitude que l’appel en garantie était antérieur ou postérieur à la déclaration de créance provisoire. Quoi qu’il en soit, en retenant que la créance devait être déclarée en s’appuyant sur le critère de la date de naissance de la créance, plutôt que sur la qualité de la créance (éventuelle), la Cour de cassation retient un critère plus objectif et plus simple.

D’ailleurs, nous avions observé dans ces colonnes que « le régime de la déclaration de créance devrait dépendre, non de la nature (éventuelle ou non) de la créance – notion aux contours finalement assez incertains, certains la définissant comme la créance à naître, là où la Cour de cassation la qualifie de créance déjà née… – mais plutôt de la date de naissance de la créance. D’ailleurs, l’article L. 622-24 du code de commerce ne dit pas autre chose puisqu’il ne soumet à la déclaration que la créance « née » antérieurement au jugement d’ouverture » (M. Houssin, Déclarer les créances éventuelles : oui, mais lesquelles ?, BJE janv. 2020, n° 117n0, p. 19). Il nous semblait alors pertinent d’abandonner la notion de créance éventuelle, dans la déclaration des créances, au bénéfice de la date de naissance des créances, seul critère porté par le texte.

La présente solution paraît s’inscrire en ce sens. La solution en matière assurantielle est identique, puisque l’origine de la créance de l’assureur – le contrat d’assurance – fait de la franchise une créance antérieure au jugement d’ouverture, peu importe à quelle date l’assureur aura à garantir le sinistre (Com. 30 sept. 2008, n° 07-16.687, RTD com. 2009. 211, obs. A. Martin-Serf ).

Néanmoins, décider que la créance du garant financier est née à la date de l’adhésion de l’agence de voyage à l’APST pose d’autres difficultés.

L’évaluation de la créance du garant d’une agence de voyage

En pratique, il est fréquent qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective de l’agence de voyage, l’APST ne connaisse pas encore le montant au titre duquel elle sera appelée. En effet, les clients lésés de l’agence de voyage sont tenus de faire état de leurs réclamations auprès de l’APST dans un délai de trois mois à compter de l’avis annonçant la cessation de la garantie publié sur Atout France (C. tourisme, art. R. 211-33), ce qui signifie qu’elle ne connaît pas nécessairement le montant définitif auquel elle sera appelée à la fin du délai de déclaration. Cette difficulté n’est pas insurmontable et elle se rencontre classiquement en matière de créances éventuelles.

Pour contourner l’obstacle, l’APST déclare une créance à titre provisoire, avant d’adresser une déclaration de créance modificative de montant plus faible, lorsqu’elle connaît le montant définitif (v. en ce sens, Paris, 30 avr. 2014, n° 13/01690 ; Montpellier, 17 mai 2022, n° 21/07516 ; Dijon, 18 janv. 2024, n° 21/01521). Cette pratique semble admise par les juridictions du fond, qui se bornent à critiquer l’utilisation du terme de déclaration « provisionnelle », réservée aux créances du Trésor public et des organismes de prévoyance et de sécurité sociale, en retenant que la créance est faite sur la base d’une évaluation en conformité avec l’article L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce (v. ainsi, Montpellier, 17 mai 2022, préc.). Il résulte en outre des articles R. 211-32 du code du tourisme et 2309 du code civil que le garant, subrogé dans les droits et actions du client final qu’il a indemnisé, peut se prévaloir de la déclaration de créance faite par ce dernier, avant le versement de l’indemnisation, à la procédure collective de l’agence de voyage, ce qui pourrait limiter les effets d’une défaut de créance par l’APST, encore que le client n’aura pas nécessairement pris cette précaution, se contentant de sa démarche auprès de l’APST directement. Ce faisant, la Cour de cassation ne fait que consacrer une solution dégagée par les juges du fond dans une autre affaire, dont le raisonnement est particulièrement complet (Montpellier, 17 mai 2022, préc.).

Cette solution ne résout cependant pas toutes les difficultés, puisque chacun sait que la notion de naissance d’une créance peut elle-même être assez complexe. Il y aurait peut-être lieu, notamment depuis l’ordonnance du 15 septembre 2021, d’appliquer la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de règlement, mais du point de vue du créancier : il serait titulaire d’une créance de couverture et d’une créance de règlement. Il pourrait ainsi déclarer la première dès la publication du jugement d’ouverture. Puis, dans le cas où l’obligation de règlement serait déclenchée (par ex., l’agence de voyage serait en défaut), il procèderait à une déclaration de créance modificative, fondée sur le même contrat (il n’y aurait donc pas de modification du fondement de la déclaration), en précisant simplement le montant précis de sa créance de règlement.

Cela permettrait de maîtriser le risque d’une déclaration maximaliste, attaché à la déclaration des créances éventuelles, tout en contournant l’interdiction des créances provisionnelles. À défaut, il conviendrait d’aligner les délais de déclaration des créances de l’article L. 622-24 du code de commerce avec ceux de l’information de l’APST prévus par l’article R. 211-32 du code du tourisme. Il ne s’agirait alors que d’une question de … correspondance… Quant au client, les choses sont plus simples, puisque l’article R. 211-32 du code du tourisme ne subordonne pas la mise en œuvre de la garantie à l’obligation de déclarer préalablement sa créance ni à celle de produire un certificat d’irrécouvrabilité : les clients de l’agence de voyage disposent d’une action directe contre le garant de celle-ci. Alors, qu’attendez-vous pour réserver ?

 

Com. 7 févr. 2024, F-B, n° 22-21.052

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