La décision d’appliquer le régime des classes de parties affectées : une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours… vraiment ?

Plusieurs enseignements sont à tirer de cet arrêt. Parmi eux, si la décision d’appliquer le régime des classes de parties affectées est une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours, la Haute juridiction prend le soin de préciser qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à l’accès au juge des parties affectées qui souhaiteraient la contester qui ne serait pas justifiée par les impératifs d’efficacité et de célérité du droit des entreprises en difficulté. Imparable, le raisonnement impose toutefois de se demander si, en amont, la décision en question est « véritablement » une mesure d’administration judiciaire…

Les arrêts de la Cour de cassation, rendus quant au régime des classes de parties affectées, se sont multipliés sur les derniers mois. À cet égard, il est intéressant de relever qu’au sein de ces différentes décisions, à chaque fois, la question posée à la Cour de cassation portait pour l’essentiel sur le régime des voies de recours ouvertes ou non aux parties affectées (Com. 5 mars 2025, n° 23-22.267 FS-B, Dalloz actualité, 12 mars 2025, obs. B. Ferrari ; D. 2025. 1148 , note D. Robine ; ibid. 1593, obs. P. Cagnoli et F.-X. Lucas ; RCJPP 2025, n° 02, p. 46, chron. F. Reille et P. Roussel Galle  ; BJE mai 2025, n° BJE201z9, note J. Théron ; JCP E 2025. 1190, note O. Maraud ; APC 2025. Repère 71, note N. Borga ; RPC 2025/2. Repère 2, note P. Roussel Galle ; 2 juill. 2025, n° 25-40.011 FS-P, Dalloz actualité, 15 sept. 2025, obs. B. Ferrari ; Rev. sociétés 2025. 570, obs. P. Roussel Galle ).

L’arrêt sous commentaire s’inscrit dans cette lignée et nous allons nous concentrer ici sur un seul aspect de la solution fournie par la Cour de cassation : la décision de constitution facultative des classes de parties affectées (les autres aspects de l’arrêt feront l’objet d’un autre écrit dans ces colonnes).

Domaine d’application du régime des classes de parties affectées

Dans quel contexte le régime des classes de parties affectées a-t-il vocation à être mobilisé ? C’est aborder la question des hypothèses où les classes doivent ou peuvent être constituées.

La constitution obligatoire des classes n’est réservée qu’à certaines entreprises en sauvegarde et en redressement judiciaire (C. com., art. L. 626-29). Il en va ainsi de celles qui atteignent différents seuils : 250 salariés et 20 millions d’euros de chiffre d’affaires ou bien de celles qui peuvent se prévaloir d’un chiffre d’affaires au moins égal à 40 millions d’euros (C. com., art. R. 626-52). La même règle vaut pour les sociétés qui en détiennent ou contrôlent une autre ou plusieurs autres et lorsque l’ensemble des personnes morales concernées dépassent les seuils précités. En somme, les classes de parties affectées sont aussi obligatoirement constituées lorsque l’entreprise opte pour une sauvegarde accélérée.

Au-delà, le code de commerce prévoit la possibilité en sauvegarde de recourir au régime des classes de parties affectées quand le débiteur, ne se trouvant pas dans l’une des situations mentionnées ci-dessus, soumet cette demande au juge-commissaire (C. com., art. L. 626-29, al. 4 ; A. Diesbecq et B. Gallo, Classes de parties affectées facultatives : droit ou aubaine ?, JCP E 2024. 1353). La même possibilité existe en redressement judiciaire, à ceci près que la demande peut, dans ce cas, être alternativement formée par le débiteur ou l’administrateur judiciaire (C. com., art. L. 631-1).

Cette décision, comme antérieurement celle d’appliquer les comités de créanciers, est qualifiée de « mesure d’administration judiciaire » (C. com., art. R. 626-54) et, à suivre le code de procédure civile, elle n’est sujette à « aucun recours » (C. pr. civ., art. 537). Cela étant, le droit positif ne reflète plus exactement la limpidité de la lettre de ce dernier code, si bien qu’il s’avère qu’en certaines hypothèses une mesure d’administration judiciaire peut désormais bien faire l’objet d’un recours…

L’affaire

En l’espèce, une SAS a été constituée pour investir dans diverses opérations immobilières dans le cadre d’un groupe. Elle a émis trois emprunts obligataires pour un montant de 27 500 000 €. Parmi ces derniers, la caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale et assimilés (la CAPSSA) a souscrit à l’un d’entre eux à hauteur de 8 000 000 €.

La société a rencontré certaines difficultés qui l’ont conduite en redressement judiciaire avec une autorisation de constituer des classes de parties affectées délivrée par le juge-commissaire. Dans ce dossier, l’administrateur a réuni sept classes et a inscrit la CAPSSA dans « la classe F des obligataires sans accès au capital ».

Un contentieux a été initié par ces créanciers quant à leur qualité de partie affectée et à leur répartition au sein d’une classe, mais celui-ci n’aboutira pas. Toutefois, il faut relever qu’en parallèle de cette première phase de la procédure, une médiation est intervenue et, au sein de cette dernière, la société mère du groupe a fait des propositions de rachat de leurs créances aux obligataires, qui les ont acceptés, à l’exception de la CAPSSA.

Par la suite, le projet de plan a été approuvé par l’ensemble des classes, à l’exception d’une qui ne s’est pas prononcée. De plus, la CAPSSA a été la seule, au sein de sa classe, où elle détenait 27 % des voix, à voter contre le projet de plan. Notons que ce projet prévoyait la création d’une société de défaisance ayant pour objet de poursuivre les démarches engagées pour recouvrer les créances relatives à différents projets et la conversation de la grande majorité des créances, dont celles des obligataires, en capital de la structure de défaisance.

À la suite du vote sur le projet de plan, la CAPSSA a présenté une requête au tribunal de commerce pour contester le vote des classes de parties affectées sur le fondement des articles R. 626-64, I et L. 626-33, I, du code de commerce. Aussi, lors de l’examen du plan, la CAPSSA a contesté les conditions de mise en œuvre de la règle du meilleur intérêt des créanciers et soutenu que le plan, en prévoyant la conversion de ses créances, la mettait dans une position la conduisant à violer ses obligations réglementaires en matière de solvabilité.

Malgré ces contestations, le tribunal a arrêté le plan et la CAPSSA a interjeté appel de ce jugement.

Devant les juges du second degré, la CAPSSA contestait, notamment, la décision de constitution des classes. Pour elle, faute de dépassement des seuils de l’article L. 626-29, une telle constitution n’était pas obligatoire et celle-ci n’avait eu que pour but de réduire les droits des créanciers. En somme, il s’en déduisait, pour l’appelante, une atteinte au droit à l’accès au juge notamment garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Solution

La Haute juridiction rejette sur ce point le pourvoi.

La Cour de cassation juge que si la qualification de mesure d’administration judiciaire attachée à la décision contestée prive tout créancier de la possibilité d’exercer un recours à son encontre, ils ne sont cependant pas privés de toute protection de leurs droits pendant le cours de la procédure et de la faculté d’exercer, au moment qui leur est réservé par les textes, un recours pour en assurer la garantie.

À ce propos, les juges du quai de l’Horloge prennent le soin de préciser ces recours : d’un côté, les parties affectées conservent le droit de contester cette qualification, leur répartition en classes et le calcul des voix dès que l’administrateur judiciaire leur notifie ces informations (C. com., art. L. 626-30 et R. 626-58-1) ; de l’autre, lorsqu’elles ont voté contre le plan, une possibilité de recours existe également et notamment sur le respect du critère du meilleur intérêt des créanciers (C. com., art. L. 626-31, 4° et L. 626-32, 5e et 10e al.).

Finalement, la Haute juridiction en conclut que l’absence de recours à l’encontre de la décision de constitution facultative des classes ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à l’accès au juge qui ne serait pas justifiée par les impératifs d’efficacité et de célérité du droit des entreprises en difficulté.

Analyse

L’enseignement fourni par la Cour de cassation sur ce point de l’arrêt est logique. En effet, la solution s’infère de la lettre combinée du code de commerce, mais également de celle du code de procédure civile. Plus encore, si la Haute juridiction pouvait se contenter d’une solution laconique, cette dernière prend au contraire le soin de justifier méticuleusement en quoi la présence d’une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours ne porte pas atteinte, dans le contexte du régime des classes de parties affectées, aux droits fondamentaux du procès.

En revanche, il nous semble que la véritable interrogation en la matière provient de la nature même de la décision d’appliquer les classes. La question est simple : s’agit-il véritablement d’une mesure d’administration judiciaire ? Nous ne le pensons pas.

Une solution logique et méticuleusement justifiée

Prenant appui sur la règle prévue à l’article R. 626-54 du code de commerce selon laquelle l’autorisation de constitution des classes est une mesure d’administration judiciaire, la Cour de cassation en déduit qu’elle est insusceptible de recours. En l’occurrence, le raisonnement n’est pas discutable. À lire l’article 537 du code de procédure civile, « les mesures d’administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours ».

À vrai dire, la Haute juridiction aurait pu s’arrêter là, mais face à la question de la conformité de la règle au droit à l’accès au juge garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne, elle prend le soin de préciser exactement les raisons, qui, selon elle, font que les conséquences attachées à l’article R. 626-54 ne contreviennent pas aux exigences conventionnelles.

Ces raisons sont de deux ordres.

D’un côté, il s’avère qu’à partir du moment où est prise la décision d’appliquer les classes, les parties affectées ne se trouvent pas démunies si elles entendent contester le traitement qui leur est réservé. C’est ainsi que la Cour de cassation vise, d’abord, le droit de contester la qualification même de partie affectée, la répartition en classes ainsi que le calcul des voix (C. com., art. L. 626-30 et R. 626-58-1) ; puis, la possibilité pour la partie affectée ayant voté contre le plan de contester notamment la mise en œuvre du respect du critère du meilleur intérêt des créanciers (C. com., art. R. 626-64, L. 626-31, 4° et L. 626-32, 5e et 10e al.).

D’un autre côté, l’absence d’atteinte au droit à l’accès au juge est également justifiée par la philosophie inhérente au traitement des difficultés des entreprises. Ainsi la Haute juridiction précise-t-elle que les impératifs d’efficacité et de célérité, liés au traitement d’une procédure collective, justifient une limitation des voies de recours, pouvant aller jusqu’à leur fermeture, et que, ce faisant, il n’y a pas là d’atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux. À cet égard, il est d’ailleurs possible de relever que, même lorsqu’ils sont ouverts, certains recours dans le régime des classes de parties affectées subissent un encadrement strict. Nous songeons là, par exemple, à la décision faisant suite à la notification de la composition des classes et des modalités de calcul des voix qui peut être frappée d’appel dans les cinq jours de sa notification (C. com., art. R. 626-58-1), mais pour laquelle la tierce opposition ou le pourvoi en cassation sont fermés (C. com., art. L. 661-7, 1°).

Nous le voyons, avec la plus grande précaution, la Cour de cassation montre bien que l’argument du droit à l’accès au juge pour contrarier la fermeture des recours sur la décision de constitution facultative des classes ne pouvait pas aboutir.

Cela étant, malgré la clarté de la solution et le fait qu’elle permette sans doute de garantir la pérennité de l’entreprise en difficulté, il n’en reste pas moins que cette dernière pouvait ne pas être frappée au coin de l’évidence.

La discussion provient de la justesse de la règle selon laquelle une mesure d’administration judiciaire est insusceptible de recours. En l’occurrence, à rebours de ce que prévoit l’article 537 du code de procédure civile, il s’avère aujourd’hui qu’une mesure d’administration peut, dans certaines hypothèses… faire l’objet d’un recours !

En sortant du droit des entreprises en difficulté, lorsqu’une mesure d’administration judiciaire porte atteinte au droit à l’accès au juge, la Cour de cassation a parfois ouvert, exceptionnellement, un recours pour excès de pouvoir. Ce cas s’est présenté à propos d’une décision de radiation du rôle en appel (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301 F-B, Dalloz actualité, 4 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 89 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2022. 21, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry ; Gaz. Pal. 28 avr. 2020, n° 16, p. 51, note J. Théron ; 3 oct. 2024, n° 22-13.998 NP) ou encore s’agissant d’une décision de réouverture des débats (Civ. 2e, 11 janv. 2024, nos 21-24.306 et 21-24.487, Gaz. Pal. 16 avr. 2024, n° 13, p. 71, note S. Amrani-Mekki).

La décision de constitution des classes pouvait-elle alors ouvrir à la partie affectée un recours pour excès de pouvoir sur le fondement des jurisprudences susmentionnées ? Pour l’admettre, il faudrait que l’existence d’un excès de pouvoir soit rattachée à l’absence de voies de recours en application de la lettre du code de procédure civile en considérant ici une atteinte au droit à l’accès au juge consacré par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Or, à suivre la précaution avec laquelle la Cour de cassation a exposé sa solution, il s’avère que la présence de voies de recours « ultérieures » à la décision d’appliquer les classes garantit suffisamment le droit à l’accès au juge des personnes concernées. Ce faisant, s’agissant d’un éventuel recours pour excès de pouvoir, il était difficile pour la Cour de cassation de trancher autrement la question qui lui était soumise, d’autant que, comme elle le souligne, la fermeture du recours ne suffit pas, en soi, à renverser le contrôle de proportionnalité opéré au regard des finalités de la matière.

Finalement, si la solution est logique, il nous semble tout de même que c’est, en amont des différents éléments exposés jusqu’à présent, que se situe le véritable cœur du problème. En effet, c’est la nature même de la décision d’appliquer les classes qui peut alimenter le débat : s’agit-il « véritablement » d’une mesure d’administration judiciaire malgré ce que prévoit l’article R. 626-54 ?

La décision d’appliquer les classes est-elle véritablement une mesure d’administration judiciaire ?

Ces colonnes ne nous permettent pas de nous étendre sur l’immense débat portant sur ce qu’est ou non une mesure d’administration judiciaire (pour un exposé complet de la problématique, O. Faugère, Le juge peut, le juge doit – Étude sur les pouvoirs d’office du juge civil, Thèse, Nice, 2024, spéc. nos 78 s.).

En quelques mots, plusieurs critères d’identification ont été proposés par la jurisprudence et la doctrine. Ainsi, historiquement, pour la Cour de cassation, une mesure d’administration judiciaire se définit-elle négativement, par rapport à l’acte juridictionnel, comme celle qui n’est pas susceptible d’affecter les droits et obligations des parties (Soc. 24 mai 1995, n° 92-10.483 P, RTD civ. 1995. 958, obs. R. Perrot ; Com. 8 sept. 2015, n° 14-11.393 P, D. 2015. 1839 ; ibid. 2016. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; APC 2015/16, n° 262, note P. Cagnoli ; JCP 2015. 1065, note J. Théron ; ibid. 1304, spéc. n° 8, note L. Mayer).

Cette vision a été critiquée. Du reste, distinguer les mesures dont les effets sont suffisamment importants pour être élues au rang d’acte juridictionnel de celles qui doivent être « déjuridictionnalisées » en raison de leur faible incidence sur les droits et obligations des parties peut sembler quelque peu arbitraire (O. Faugère, Le juge peut, le juge doit – Étude sur les pouvoirs d’office du juge civilop. cit., n° 81). Face à ce constat, il a été proposé de dépasser le critère du « grief » pour tenir compte de la réalité de la fonction de la mesure et du rôle endossé par le juge lorsqu’il la prononce (J. Théron, Mesure d’administration judiciaire, proposition d’un critère de qualification, D. 2010. 2246 ). Pour résumer, nous serions alors en présence d’une « vraie » mesure d’administration judiciaire lorsque celle-ci est « la marque d’actes accomplis par le juge en qualité d’administrateur dans le but d’assurer le bon fonctionnement du service public dont il a la charge ou encore le bon fonctionnement de l’instance » (J. Théron, art. préc.).

À l’aune de ces éléments, qu’en est-il alors de la décision d’appliquer le régime des classes ?

Que l’on s’en tienne à un critère classique d’incidence de la mesure sur les droits ou obligations des parties ou, au contraire, à celui de la vérification de la seule fonction « administrative » de la mesure, force est de reconnaître que la décision nous intéressant correspond mal aux différents « canons » de la mesure d’administration judiciaire.

S’agissant du critère du grief, il est difficile de ne pas voir dans la décision d’appliquer les classes, une mesure qui n’a aucune incidence sur les droits et obligations des parties. Elle a, d’abord, au contraire une forte incidence sur les droits substantiels des parties affectées (F. Pérochon, F. Reille, M. Laroche, V. Martineau-Bourgninaud, T. Favario et A. Donette, Entreprises en difficulté, 12e éd., LGDJ, 2024, n° 1574). Il suffit pour s’en convaincre d’avoir à l’esprit le fait qu’en « droit commun » des plans, le créancier refusant les propositions qui lui sont soumises peut seulement se voir imposer des délais uniformes de paiement (C. com., art. L. 626-5 et L. 626-18). À l’inverse, dans le système des classes, le créancier dissident subira la loi de la majorité des deux tiers de la classe à laquelle il appartient, ce qui peut le conduire à concéder d’importantes remises sous couvert qu’il serait moins bien traité dans l’hypothèse d’un scénario liquidatif. En outre, ce qui est valable pour les parties affectées l’est aussi, ensuite, dans un certain contexte s’agissant du débiteur. Du reste, si nous nous situons en redressement judiciaire, les parties affectées ont la possibilité de présenter un projet de plan concurrent à celui du débiteur (C. com., art. L. 631-19, I, al. 3 et R. 631-34) et le principe se prolonge ensuite dans le cas où le plan n’aurait pas été voté à l’unanimité des classes, car dans cette hypothèse une partie affectée pourra solliciter du tribunal une « adoption forcée interclasse » (C. com., art. L. 631-19, I, al. 5). Voilà, du reste, comment la demande de constituer des classes en redressement peut se retourner contre le débiteur qui subira les conséquences d’un plan qu’il n’aura pas proposé !

Dans ces conditions, non exhaustives, peut-on véritablement qualifier la décision d’appliquer les classes comme une simple mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours ? Il est permis d’en douter, mais notre opinion se heurte sans doute à la vision adoptée par le droit des entreprises en difficulté de ce qu’est ou non une mesure d’administration judiciaire.

Par exemple, la Haute juridiction a déjà eu l’occasion de juger que la décision d’appliquer les règles de la liquidation judiciaire simplifiée – devenue au fil des législations davantage une procédure à part entière qu’une simple variante de la liquidation judiciaire permettant de mieux organiser l’instance – était une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours (Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033 P, D. 2008. 847, obs. A. Lienhard ; ibid. 1231, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; RTD com. 2008. 631, obs. J.-L. Vallens ; 2 juin 2021, n° 19-25.556 FS-P, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 1077 ; Rev. sociétés 2021. 546, obs. P. Roussel Galle  ; RPC 2022/1. Comm. 4, note P. Cagnoli ; JCP E 2021. 1424, n° 8, note A. Tehrani).

Or, si selon nous, la décision d’appliquer les classes « fait grief aux parties », il en va de même, certes dans une moindre mesure, des modalités de la liquidation judiciaire simplifiée, lesquelles permettent la réalisation du gage des créanciers dans des conditions qui interdisent tout contrôle effectif (F. Pérochon et alii, op. cit., n° 2246 ; contra P.-M. Le Corre, Droit et pratiques des procédures collectives, 13e éd., Dalloz Action, 2025/2026, n° 565.25).

Mais nous le voyons : telle n’est pas a priori la tendance de notre matière !

Pourtant, notre propos nous paraît également se justifier s’agissant du critère de la fonction « administrative » remplie par une mesure d’administration judiciaire. En application de ce dernier et à suivre les textes du code de commerce, la décision d’appliquer les classes serait une mesure tendant à assurer le bon fonctionnement du service public dont le juge a la charge ou encore le bon fonctionnement de l’instance.

Ici encore, il est permis d’en douter. En principe, une mesure d’administration judiciaire n’ayant pas d’autorité de chose jugée et pouvant être remise en cause à tout moment n’a pas besoin d’être motivée (C. pr. civ., art. 455 et 499), ce qui est logique si l’on s’en tient à une « simple » mesure ayant pour objet de mieux organiser la conduite d’une instance. Pourtant, certains praticiens préconisent, s’agissant de la demande de constitution des classes de motiver « avec soin » la requête adressée au juge pour le convaincre « de l’intérêt de la mesure » et, à ce titre, il est recommandé d’annexer à cette demande le projet de plan que le débiteur ou l’administrateur a élaboré (A. Diesbecq et B. Gallo, art. préc.). Or, nous retrouvons là, certes par le biais d’une simple recommandation de la pratique, le même paradoxe qui existe quant à la décision d’appliquer la liquidation judiciaire simplifiée : l’article L. 644-6 impose du juge une décision spécialement motivée, ce qui est « étrange » pour ce qui n’est, en principe, qu’une simple mesure tendant à assurer, par exemple, le bon fonctionnement du service public de la justice et où rien n’est censé être « jugé ».

Finalement, au bénéfice de ces développements, nous pensons qu’à rebours de la lettre du code de commerce, la décision d’appliquer le régime des classes de parties affectées est qualifiée à tort de mesure d’administration judiciaire, car celle-ci revêt en substance tous les atours d’un acte juridictionnel… et ce faisant, elle devrait pouvoir faire l’objet d’un recours, et ce, malgré les contraintes de célérité qu’impose le droit des entreprises en difficulté.

Au demeurant, déjà riche sur ce premier aspect, l’arrêt du 1er octobre ici commenté comporte également d’autres enseignements relatifs à l’encadrement des voies de recours dans le contexte des classes de parties affectées… commentaire à suivre dans la prochaine édition !

 

Com. 1er oct. 2025, FS-B, n° 24-18.021

par Benjamin Ferrari, Maître de conférences en droit privé, co-directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Université Côte d'Azur, membre du CERDP (UPR nº 1201)

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