La délicate appréciation du caractère régularisable ou non d’une autorisation d’urbanisme
Le Conseil d’État reprend l’apport de son avis Barrieu et rappelle qu’un bouleversement de l’économie générale du projet n’est pas un obstacle à la régularisation et que le juge ne saurait se substituer au service instructeur.
Le juge administratif ne saurait substituer son appréciation à celle de l’administration chargée de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme ou d’une déclaration préalable, et ce, même dans le contentieux propre de la régularisation engagée sur le fondement des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Ces dispositions autorisent le juge à surseoir à statuer sur une requête en annulation en invitant les parties, le bénéficiaire ou l’auteur de l’acte attaqué, à régulariser les vices identifiés, par le biais d’un permis de construire modificatif ou non.
La tentation est pourtant grande pour les juges du fond soucieux de rendre une justice efficace dans des délais raisonnables et qui voient d’un mauvais œil la multiplication de jugements avant-dire droit, en l’occurrence des sursis à statuer, dont il faudra suivre l’exécution sur de longs mois, alors qu’il ne faut pas être grand clerc pour deviner que dans bien des cas le bénéficiaire n’envisage pas autre chose que le projet qu’il avait initialement envisagé et qu’aucune mesure de régularisation ne sera déposée.
Dans sa décision Commune de Nouméa, le Conseil d’État donne toute sa mesure à l’avis du 2 octobre 2020, M. Barrieu, par lequel il avait été énoncé qu’« un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CE 2 oct. 2020, n° 438318, Lebon
; AJDA 2020. 1879
; ibid. 2016
, chron. C. Malverti et C. Beaufils
; RDI 2021. 51, obs. M. Revert
; AJCT 2021. 51, obs. H. Bouillon
; RFDA 2021. 146, concl. O. Fuchs
).
La possibilité de la régularisation ne s’apprécie pas par rapport au seul projet existant
La Cour administrative d’appel de Paris avait été très sévère dans l’appréciation du respect des dispositions propres au stationnement qui d’ailleurs avaient échappé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie en considérant que le permis de construire qui portait sur une piscine destinée à accueillir des cours de natations était à rapprocher d’un établissement recevant du public et que par conséquent, cinq places de stationnement au lieu de quatre prévues au projet, étaient nécessaires.
Si la Cour avait considéré que l’ajout d’une place de stationnement ne pouvait faire l’objet d’un permis de régularisation, c’est qu’elle avait estimé que la création de la place supplémentaire « n’apparaissait pas envisageable compte tenu de la taille du terrain et de la nécessité d’y prévoir des espaces plantés ». Ce faisant, elle a commis une erreur de droit en oubliant l’apport de l’avis M. Barrieu, qui était précisément de faire fi du critère du bouleversement de l’économie générale dans la limite néanmoins du changement de sa nature et c’est ainsi que le Conseil d’État juge que : « en fondant ainsi son appréciation sur le seul projet existant, sans tenir compte de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer celui-ci et d’en revoir, le cas échéant, l’économie générale sans en changer la nature, la cour a commis une erreur de droit ».
Les dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme sont une arme de régularisation massive dont la portée ne cesse d’augmenter et l’on peut s’étonner d’une telle restriction dans la vision de la Cour administrative d’appel de Paris qui s’est bornée à prendre en compte le projet existant et à rechercher s’il était possible de créer une place de stationnement dans cet ensemble existant, entre la piscine, la maison d’habitation et le carré de gazon.
Le Conseil d’État invite ainsi le juge administratif à porter une appréciation globale sur le projet en s’interrogeant sur les possibilités de faire évoluer le projet pour que le vice constaté n’en soit plus un. En l’occurrence il ne s’agit pas de s’interroger sur la possibilité de réaliser une cinquième place de stationnement mais sur la possibilité de régulariser, d’une manière générale et par tous les moyens possibles qui peuvent être les suivants : dérogation aux règles du document d’urbanisme, réduction de l’emprise au sol de la piscine, démolition d’une emprise au sol existante, abandon de la destination projetée impliquant la réalisation des fameuses places, etc.
Ce faisant, le juge ne doit pas être focalisé sur le vice identifié, mais uniquement sur la faisabilité d’un projet qui serait différent dans son économie générale.
Inviter à régulariser n’est pas encore régulariser
La Cour administrative d’appel de Paris avait également commis une erreur de droit en se substituant de manière évidente à l’administration chargée d’instruire les autorisations d’urbanisme qui lui sont soumises.
En l’occurrence, depuis la date de délivrance du permis de construire litigieux, les règles d’urbanisme avaient évolué en ce qui concerne les obligations de stationnement et il était dorénavant loisible au porteur du projet de justifier dans sa demande, d’une part, qu’il justifiait d’un nombre suffisant de places par rapport à l’activité envisagée, d’autre part, de l’existence de places de stationnement dédiées au projet dans un environnement proche.
Mais, au lieu de faire jouer les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, la cour a considéré que : « la commune de Nouméa n’apportait pas de précision sur la possibilité, contestée en défense, de réaliser des places de stationnement dans l’environnement immédiat de la construction ». Autrement dit, la cour n’étant pas convaincue de la possibilité pratique d’un permis de régularisation sur ce point, ne s’embarrasse pas d’un sursis à statuer dont elle imagine que le bénéficiaire n’en fera rien.
Le Conseil d’État juge alors que : « Toutefois, en exigeant qu’une telle possibilité soit établie devant elle dès ce stade de la procédure, alors qu’une telle analyse suppose de prendre en compte les évolutions susceptibles d’être apportées au projet et la recherche, le cas échéant, d’accords de tiers pour assurer un stationnement dans l’environnement du projet, elle a également commis une erreur de droit ».
Au stade du sursis à statuer, la discussion doit être nécessairement très ouverte puisqu’en définitive, s’ouvre pour le porteur du projet le champ des possibles et le juge ne saurait s’engager dans la voie d’une pré-instruction d’un hypothétique permis de régularisation qui pourrait lui être soumis en vue de mettre fin au litige. Au stade du sursis à statuer, on ignore tout des idées du bénéficiaire quant aux modifications qu’il envisage de solliciter pour faire aboutir son projet ; a fortiori on ignore tout de la volonté des tiers susceptibles de faciliter ou non la réalisation du projet.
En l’occurrence, la Cour n’avait pas à juger qu’il semblait impossible d’obtenir des stationnements dans l’environnement du projet. Au contraire, laissons le porteur du projet solliciter le permis de régularisation et attendons qu’il le produise en justice pour en tirer les conséquences.
CE 11 mars 2024, Cne de Nouméa, n° 463413
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