La destruction d’une fresque porte atteinte au droit moral de ses auteurs

Doit être condamné pour atteinte au droit moral d’auteur le propriétaire d’un immeuble qui a fait déposer une fresque murale dans le cadre de travaux de rénovation du bâtiment, alors qu’il n’est pas justifié que la dépose était « strictement nécessaire » au but poursuivi.

Comment résoudre un conflit entre droit de propriété matérielle et droit de propriété intellectuelle ? La conciliation des prérogatives de droit moral avec les nécessités techniques n’est pas toujours évidente, comme en témoigne cette décision rendue dans une affaire opposant le propriétaire d’un immeuble aux ayants droit des auteurs d’une fresque qui l’ornait depuis plusieurs années.

Une fresque protégeable par le droit d’auteur

L’affaire en question concernait un bâtiment d’une ancienne faculté de médecine, reconverti dans les années 1960 en centre régional de documentation pédagogique et qui avait été orné en 1970 d’une fresque en céramique intitulée Innocent Printemps.

Ce bâtiment autrefois public avait été cédé par la commune en 2015 à une société Finapar, qui avait entamé des travaux de rénovation sous la houlette d’un cabinet d’analyse chargé de se prononcer sur la présence d’amiante sur la fresque. Au vu des résultats de l’analyse, confirmant la présence d’amiante, il avait été décidé de purement et simplement enlever la fresque en question dans un souci de protection de la santé des habitants.

Les ayants droit des auteurs de la fresque s’étaient alors émus de la suppression totale de cette œuvre et avaient sollicité une indemnisation au titre de l’atteinte à leur droit moral. Rappelons à cet égard que le droit moral est imprescriptible et qu’il est transmissible aux héritiers. Ainsi, en l’absence d’accord amiable, le litige fut porté devant le Tribunal judiciaire de Lille, qui était entré en voie de condamnation à l’encontre de la société Finapar, reconnaissant l’atteinte au droit moral et lui ordonnant de payer 100 000 € de dommages et intérêts aux demandeurs.

La société propriétaire de l’immeuble avait alors interjeté appel du jugement. En premier lieu, elle contestait l’originalité de la fresque, qui constituait selon elle une œuvre collective réalisée par un groupe d’élèves d’une école, ce qui, en soi, n’est pas un obstacle à la protection par le droit d’auteur.

Surtout, il était répondu que l’œuvre était originale et singulière, notamment en raison de choix créatifs personnels des auteurs, tenant en particulier dans « le jeu de contrastes, l’alternance de couleurs, les rapports de proportion entre l’immensité de l’espace et la petitesse des sujets et motifs représentés, ainsi que les jeux de textures entre les différents matériaux utilisés ».

Par ailleurs, les intimés invoquaient des stipulations du cahier des charges de la vente de l’immeuble, qui mentionnaient expressément la présence de la fresque, en commandant sa préservation, consigne que le nouveau propriétaire n’avait donc pas respectée.

C’est ainsi que, selon l’arrêt, « cette fresque a été faite à partir de dessins d’enfants » qui, toutefois, « n’étaient qu’un premier support afin de créer la fresque finale, de sorte que l’intervention des enfants est inopérante dans l’analyse du caractère original de cette dernière ». En revanche, l’originalité résulte de la création d’une « scénographie imaginée par le monde minéral et les expéditions polaires », « choix accompagné d’une colorimétrie qui leur est propre », à telle enseigne que la fresque était belle et bien originale et, partant, protégeable au titre de la propriété littéraire et artistique.

La présence d’amiante en son sein peut-elle justifier la destruction d’une œuvre ?

Au-delà de la question de l’originalité de l’œuvre, l’intérêt de la décision tient dans l’appréciation des limites des prérogatives du propriétaire d’un bien matériel lorsque celui-ci est orné ou composé d’une œuvre de l’esprit. Cette question n’est pas nouvelle, la jurisprudence relative, par exemple, aux œuvres architecturales étant assez fournie. Cet arrêt apporte toutefois une pierre à l’édifice.

Ainsi, il est classiquement jugé que le droit de propriété intellectuelle doit être concilié avec les droits de propriété matérielle qui portent sur un bâtiment. Et, notamment, un architecte, qui peut certes revendiquer des droits d’auteur et, partant, des prérogatives de droit moral comme le droit à l’intégrité de l’œuvre sur un bâtiment qu’il aurait dessiné, doit parfois voir ses droits céder face à des considérations pratiques tenant à la vocation utilitaire de l’immeuble.

A titre d’illustration, la Cour d’appel de Rennes a jugé le 2 mars 2021 que « la vocation utilitaire d’un bâtiment s’oppose à ce que l’architecte puisse se prévaloir de l’intangibilité de son œuvre. Notamment s’il est nécessaire d’adapter le bâtiment à des contraintes techniques, à des impératifs de mise aux normes ou de renforcement de la sécurité résultant de conditions nouvelles, le bâtiment, œuvre de l’architecte, peut être modifié » (Rennes, 2 mars 2021, n° 19/01348).

Cette solution se situe dans la ligne d’une jurisprudence de la Cour de cassation du 11 juin 2009, énonçant la nécessité de trouver un équilibre entre les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire, celui-ci pouvant valablement mettre en œuvre des modifications qui n’excèdent pas « ce qui est strictement nécessaire » au but poursuivi (Civ. 1re, 11 juin 2009, n° 08-14.138).

En l’espèce, précisément, la société propriétaire de l’immeuble tentait de tirer argument de contraintes techniques, et même de contraintes de santé, résultant de la présence d’amiante au sein de la fresque litigieuse. La société Finapar soutenait ainsi que l’amiante constituait « un cas de force majeure » (sic) nécessitant l’enlèvement pur et simple de la fresque, en s’appuyant sur divers avis techniques démontrant la dangerosité de l’œuvre. Selon elle, il aurait été impossible de déposer la fresque sans libérer des poussières d’amiante.

Cependant, la cour d’appel a refusé de suivre le propriétaire de l’immeuble dans cette démonstration. Alors que les ayants droit soutenaient que l’œuvre aurait pu être déplacée et reposée, les juges ont considéré que la destruction de la fresque était disproportionnée avec le but poursuivi.

Selon l’arrêt, s’il est exact qu’il n’est pas possible d’imposer une intangibilité absolue d’une œuvre à laquelle le propriétaire est en droit d’apporter des modifications lorsque celles-ci sont « nécessaires », il appartient à ce dernier de rapporter la preuve d’une telle « nécessité ».

Or, en l’espèce, la Cour considère que la fresque contenait bien de l’amiante, mais dans des proportions non étayées. Ainsi, l’appelant ne démontrait pas que la présence d’amiante constituait ici un véritable danger pour la santé, alors que des mesures de « confinement » de l’amiante auraient pu être mises en œuvre. Par ailleurs, les juges ont conclu de diverses photographies produites au dossier que la fresque n’était pas collée au support et qu’un retrait des carreaux aurait été possible. En somme, l’appelante ne démontrait pas « que la dépose était strictement nécessaire, dès lors que des possibilités de confinement et de dépose [étaient] démontrées », de sorte que « la dépose totale [était] disproportionnée ».

Cette solution confirme la nécessité de respecter une proportion entre les mesures envisagées et l’intégrité de l’œuvre. En 2018, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait jugé que l’architecte auteur du Stade Vélodrome de Marseille devait, en raison de la nature utilitaire de l’enceinte, accepter certains changements rendus nécessaires par des motifs de sécurité des personnes et des biens « en l’absence d’alternative plus respectueuse de l’œuvre » (Aix-en-Provence, 22 nov. 2018, n° 16/06209).

Tel n’était pas le cas en l’espèce. C’est précisément parce qu’il aurait existé en l’espèce une alternative plus respectueuse de l’œuvre (qui a été totalement détruite) que la décision du propriétaire de l’immeuble était critiquable.

Sur le préjudice résultant de l’atteinte au droit moral

L’atteinte au droit moral est souvent difficile à quantifier. L’analyse des décisions dans ce domaine montre que les condamnations peuvent relever du symbole et s’élever à quelques dizaines de milliers d’euros.

Dans cette affaire, en revanche, le Tribunal de Lille avait fixé les dommages et intérêts à la somme forfaitaire et très élevée de 100 000 €, ce qui semble constituer une exception peut-être difficile à justifier eu égard à la notoriété modeste des auteurs.

En appel, le montant est revu à la baisse, de manière assez substantielle, puisque les juges évaluent le préjudice à la somme de 66 500 €, correspondant au coût de la reconstruction à l’identique, selon un devis obtenu par les ayants droit, en dehors de toute prise en compte de la cotation des auteurs sur le marché de l’art, et à 4 000 € de dommage moral. Si l’appel était donc pertinent, la condamnation détonne tout de même au regard de ce qui est généralement accordé dans ce type de différend.

Conclusion

Les propriétaires d’immeubles peuvent bien s’enorgueillir de la présence d’œuvres d’art qui ornent le bâtiment. Mais, attention, les travaux de rénovation qui peuvent se révéler nécessaires doivent tenir compte des prérogatives de droit moral qui appartiennent aussi bien aux auteurs qu’à leurs ayants droit. Et ce n’est que si les travaux sont absolument nécessaires que les aménagements peuvent être acceptés. Il conviendra donc de rechercher toute alternative plus respectueuse de l’œuvre pour pouvoir espérer échapper à une condamnation.

 

Douai, 30 mai 2024, n° 22/01806

© Lefebvre Dalloz