La dignité est prétendument rétablie au centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine

Le juge des référés cergyssois rejette l’ensemble des demandes formées par les organismes de défense des droits des détenus, parce que les injonctions précédemment ordonnées ont fait leur œuvre, parce que les mesures demandées ont un caractère structurel ou encore parce qu’elles ne constituent pas une atteinte manifestement illégale au droit au respect de la dignité en détention.

L’état de délabrement du centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine ne faisait, jusqu’à maintenant, plus aucun doute. On pourrait croire que tel est encore le cas, notamment parce que la maison d’arrêt intégrée à ce centre pénitentiaire était dotée d’une densité carcérale de 170 % au 1er avril 2024 (Répartition des personnes détenues par établissement – Direction interrégionale de Paris, tableau 19, in Statistiques des personnes détenues et écrouées en France, 1er avr. 2024), et que l’établissement dans son ensemble dépassait, à cette date, la mesure de l’incarcération, estimée à 150,4 % en moyenne (ibid., La mesure de l’incarcération : indicateurs clés au 1er avril 2024, p. 1).

Loin s’en faut, la question des conditions de détention au centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine n’est pas nouvelle. En 2010 et 2016, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) y dénonçait « la surpopulation endémique » et « la dégradation des conditions matérielles de détention ». Ensuite, le bâtonnier de l’ordre des avocats au Barreau des Hauts-de-Seine avait relevé, lors d’une visite inopinée, « l’état accablant » de l’infrastructure (OIP, Conditions de détention à la prison de Nanterre : la justice ordonne des mesures d’urgence, Communiqué de presse, 6 déc. 2022). C’était enfin au tour du juge des référés de connaître de la question de l’indignité des conditions de détention dans cet établissement : en 2020 (TA Cergy-Pontoise,16 nov. 2020, n° 2011433 ; CE 16 déc. 2020, n° 447141, AJ pénal 2021. 275, obs. B. David ), en 2022 (TA Cergy-Pontoise, 2 déc. 2022, n° 2215650, Dalloz actualité, 8 déc. 2022, obs. M. Dominati), puis en 2023 (TA Cergy-Pontoise, 30 juin 2023, n° 2307209, Dalloz actualité, 5 juill. 2023, obs. M. Dominati ; AJ pénal 2023. 412 et les obs. ). Plus récemment encore, le 8 avril 2024, une lettre ouverte à l’initiative du Barreau des Hauts-de-Seine dénonçait une nouvelle fois les conditions de détention indignes, cette fois-ci sur l’ensemble du territoire national, et invitait le garde des Sceaux à se saisir de l’opportunité des Jeux olympiques à venir pour désemplir les établissements surpeuplés.

Le 26 avril 2024, l’Observatoire international des prisons (OIP), l’Association pour la défense des droits des détenus (A3D), et l’Ordre des avocats au Barreau des Hauts-de-Seine saisissaient donc le juge du référé-liberté afin que celui-ci règle la situation prétendument désastreuse au sein de ces locaux.

Sur l’exécution des injonctions précédemment ordonnées

Les organismes requérants soutenaient que les injonctions prononcées par le juge des référés le 30 juin 2023 n’avaient pas été exécutées (TA Cergy-Pontoise, 30 juin 2023, n° 2307209, préc.). Ils demandaient alors à ce que le juge des référés use du pouvoir qui lui est dévolu par l’article L. 911-4 du code de justice administrative, pour s’assurer de l’exécution de ses injonctions (§ 12). Sans surprise, le juge des référés estime qu’il ne lui « appartient pas de prononcer des mesures destinées à assurer l’exécution des injonctions qu’il ordonne » (§ 13). Cette réponse est d’autant plus critiquable qu’elle affaiblit directement l’effectivité du référé-liberté. Il en reste qu’une telle « incapacité » pourrait pourtant être résolue, si le législateur entendait les appels des spécialistes qui demandent à ce que soit consacré un « référé-exécution » (F. Blanco, Pour un « référé-exécution » devant les juridictions administratives, AJDA, 2023. 2137 ; v. aussi, F. Blanco, L’exécution des décisions de condamnations dans le contentieux des conditions de détention, in S. Niquège [dir.], Le contentieux de la dignité des conditions de détention, Mare&Martin, 2023, p. 99 s.).

Les organismes demandaient au juge des référés d’assurer l’exécution de l’injonction « de procéder à l’ensemble des réparations identifiées comme nécessaires lors de l’audit électrique pour faire cesser tout danger pour la sécurité des personnes détenues » (§ 14). En effet, malgré l’audit réalisé, les organismes requérants produisaient des photographies de fils élctriques nus et apparents. Sur ce point, le juge constate néanmoins que « sur les cent vingt réserves relatives aux installations électriques cent cinq ont été traitées et que les réserves restantes sont en voie de traitement », et que pour régler les problématiquées liées aux fils électriques restant, il suffirait « d’interdire l’usage des détenus d’appareils autres que le téléviseur » (§ 15).

Ensuite, les requérants requérants soutenaient que l’administration pénitentiaire n’a pas exécuté l’injonction ordonnée le 30 juin 2023 de procéder à la réparation des cent soixante-neuf bouches d’aération identifiées comme défectueuses lors de l’audit technique (§ 16). Or, le juge constate, une nouvelle fois, que le plan dont le comité de pilotage du 12 janvier 2024 a acté l’exécution totale en décembre 2023 des travaux de remplacement des bouches et gaines techniques, tout en constatant que les gaines techniques peuvent facilement être ouvertes par les détenus, a envisagé une solution à court terme d’installation de serrures pour sécuriser ces gaines (§ 17).

Sur les demandes complémentaires

Les mesures utiles en vue de faire cesser la sur-occupation, l’équipement des cellules et l’accès au travail et à des activités

Les organismes requérants demandaient au juge des référés de prendre toute mesure utile afin de permettre un désencombrement de l’établissement pénitentiaire (§§ 18, 20 et 21). Sans toutefois rejeter le bien-fondé de ces différentes demandes, qui participent pourtant à la sauvegarde de la dignité des détenus ou à leur réinsertion, le juge des référés rappelle que les mesures qui permettraient d’en résoudre les atteintes sont d’ordre structurel, et donc qu’elles dépassent la limite de son office (CE 28 juill. 2017, n° 410677, Dalloz actualité, 31 juill. 2017, obs. M. B ; Lebon avec les conclusions ; AJDA 2017. 1589 ; ibid. 2540 , note O. Le Bot ; D. 2018. 1175, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2017. 456, obs. J.-P. Céré ). Cet argument est également le même, en ce qui concerne la séparation de l’espace sanitaire du reste de l’espace de la cellule (§ 27), et pour la demande tendant au renforcement de l’efficacité de la lutte contre les nuisibles (§ 32). On notera sur ce point que le juge des référés s’estime incompétent pour prononcer une mesure tendant à éliminer les rongeurs de l’établissement, car leur présence serait causée par une « cause structurelle ».

En ce qui concerne la mise aux normes des gaines électriques

Les organismes requérants avaient apporté pour preuve des photographies, qui démontraient bien « la vetusté de certaines installations » (§ 22). Néanmoins, le juge constatait que celles-ci étaient « en voie de réparation » (§ 23). Sans rentrer dans le détail de cette question, on pourra s’interroger ici sur l’opportunité de former un référé-liberté. Car en filigrane, on comprend que les réparations, ordonnées en juin 2023, ne sont pas achevées au 22 mai 2024.

En ce qui concerne les détériorations des murs, sols et plafonds de certaines cellules

Le juge administratif convenait qu’il existait bien une carence, mais qu’elle ne concernait que certaines cellules, ce qui ne suffit pas à « caractériser une atteinte grave et manifestement illégale aux exigences tirées de l’article 3 » (§ 23). Au surplus, la demande devait être rejetée car l’administration pénitentiaire a mis en place un processus de signalement et de remédiation ponctuelle par des travaux de réparation (§ 23).

En ce qui concerne la réparation des fenêtres des cellules

L’argumentaire est le même que le précédent. Bien que certaines fenêtres ne « ferment pas correctement », il ne s’agit pas pour le juge des référés d’une atteinte à l’article 3 de la Convention européenne (§ 24). Il en va de même s’agissant du nettoyage régulier et suffisant des douches, à leur rénovation, notamment en réparant le sol et les murs abîmés (§ 25), du recensement des toilettes et autres équipements de plomberie défectueux et la réalisation des réparations nécessaires (§ 26), et de la gestion des déchets (§ 30).

À la lecture de cette ordonnance, un point mérite particulièrement d’être soulevé : le « standard minimum » permettant de dire que les conditions de détention sont dignes en établissement pénitentiaire. Là où la Cour européenne des droits de l’homme a une conception extensive des atteintes à l’article 3, notamment lorsqu’elle étudie le niveau de qualité des conditions de détention, le sentiment donné par cette décision est mitigé (v. par ex., sur la luminosité des cellules, CEDH 20 janv. 2011, Payet c/ France, n° 19606/08, Dalloz actualité, 27 janv. 2011, obs. S. Lavric ; AJDA 2011. 139 ; ibid. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 643, obs. S. Lavric , note J.-P. Céré ; ibid. 1306, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 88 , note M. Herzog-Evans ; RFDA 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; RSC 2011. 718, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2012. 208, chron. P. Poncela ; Dr. pénal 2012. Chron. 3, obs. E. Dreyer ; ou s’agissant de l’intimité dans les espaces sanitaires, CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. c/ France, n° 9671/15, Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064 , note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs. , note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré ; RDLF 2020. Chron. 46, comm. J. Schmitz ; GADS, 3e éd., Dalloz, 2021, n° 108).

Peut-on vraiment dire que les conditions de détention sont dignes, malgré la présence pérenne de rats dans l’établissement ? De la même manière, faut-il se contenter de « réparations inachevées » pour dire qu’il n’existe pas d’atteinte à la dignité en détention, alors que le référé-liberté a vocation à les faire cesser de manière quasi instantanée ? Rien n’est moins sûr. Le référé-liberté n’apparaît plus aujourd’hui comme « l’arme procédurale la plus pertinente pour permettre au juge d’intervenir en temps utile » (M. Guyomar, Les perspectives d’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État, in Défendre en justice la cause des personnes détenues, Doc. fr. 2014, p. 245). D’autant plus que si le juge administratif a intégré à sa jurisprudence les « lourdes contraintes de gestion qui pèsent sur l’administration », dans certaines hypothèses (comme celle décrite dans l’arrêt à l’étude), on peut s’interroger sur l’appréciation du « juste équilibre » entre celles-ci et la garantie des droits des détenus (M. Guyomar, Le juge administratif, juge pénitentiaire, in Terres du droit. Mélanges en l’honneur d’Yves Jégouzo, Dalloz, 2009, p. 477).

 

TA Cergy-Pontoise, 22 mai 2024, n° 2406006

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