La faute dolosive privative de la garantie d’assurance serait-elle sciemment en cage ?

La Cour de cassation reprend sa définition de la faute dolosive qui s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage. Elle censure encore les juges du fond qui, pour faire jouer l’exclusion légale, n’ont pas entrepris une telle recherche imposée par un contrôle strict.

L’article L. 113-1 du code des assurances est soumis au mouvement perpétuel pour fixer ce qu’est la faute inassurable émanant de l’assuré comme en témoigne le dernier quinquennat en cours. Dans ces colonnes la question a pu être posée : « Ultimes précisions sur la définition de la faute dolosive ? » (R. Bigot et A. Cayol, note ss. Civ. 2e, 6 juill. 2023, n° 21-24.833, Dalloz actualité, 20 sept. 2023; RDI 2023. 546, obs. D. Noguéro ). Sans surprise, sa « conception resserrée », davantage protectrice des intérêts des assurés victimes, envisagée par ces auteurs, se maintient.

La résurgence de l’autonomie affichée de la faute dolosive est connue depuis des affaires retentissantes de suicide de l’assuré (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-14.306 B, D. 2020. 1106  ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle  ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier  ; 20 mai 2020, n° 19-11.538 B, Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot; D. 2020. 1107  ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle  ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier  ; « la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » ; D. Noguéro, L’exclusion légale de la faute dolosive en cas de suicide, Gaz. Pal. 27 oct. 2020, n° 389r9, p. 46). L’assureur supporte la charge de la preuve de l’exclusion légale (Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868 B, Dalloz actualité, 25 févr. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 336  ; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre  ; AJ contrat 2020. 289  ; Gaz. Pal. 16 juin 2020, n° 380d2, p. 60, note P. Giraudel).

Fermement depuis 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clairement proclamé l’indépendance de la faute dolosive dans son interprétation de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, tout en la définissant. En définitive, en 2023, la troisième chambre civile – qui connaît de l’assurance construction – s’est alignée (Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084 B, Dalloz actualité, 12 avr. 2023, obs. S. Porcher ; P. Brun, La troisième chambre civile de la Cour de cassation rejoint la position de la deuxième sur l’autonomie de la faute dolosive, RCA 2023. Étude 7 ; D. 2023. 1941 , note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia  ; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre  ; ibid. 1293, note A. Pélissier  ; Gaz. Pal. 11 juill. 2023, n° GPL451x3, p. 39, note D. Noguéro ; P. Dessuet, L’autonomie du dol par rapport à la faute intentionnelle. Quelles conséquences en matière de construction ?, RDI 2023. 388  ; D. 2023. 1941 , note B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia) sur l’autonomie défendue par la chambre spécialisée du droit des assurances et la définition donnée de cette faute, exclusion légale de garantie à côté de la faute intentionnelle. Par une étude commune des deux chambres réunies, ce mouvement a été récapitulé dans sa chronologie et le « point d’arrivée » salué (Cour de cassation, par L. Leroy-Gissinger, F. Besson, S. Ittah et J.-F. Zedda, Les exclusions de garantie en droit des assurances, étude des 2e et 3e chambres civiles, Recueil annuel des études, juill. 2023, p. 51, spéc. p. 74 s., et p. 83 pour la généralisation aux autres chambres). Les juges ne s’appesantissent pas sur les hoquets de la construction progressive. L’effet demeure identique de ce genre de faute : la privation de la garantie du contrat d’assurance lorsque l’exclusion légale – faute intentionnelle ou dolosive – a vocation à s’appliquer, avec un rayonnement erga omnes. Il en va ainsi sauf renonciation non équivoque de l’assureur (Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 19-10.371, AJDI 2020. 505  ; BJDA.fr 2020, n° 69, obs. B. Néraudau et P. Guillot) qui, en fait, demeure assez improbable.

Le genre de l’exclusion légale connaît une variété d’espèces depuis que la faute dolosive n’est plus assimilée à celle intentionnelle. La reconnaissance du dualisme des fautes accueilli avec faveur, l’analyse générale consiste à souligner que l’on s’est ainsi évadé de l’approche restrictive de l’exclusion légale qui consiste à retenir, sous l’appellation de la faute intentionnelle subjective, la recherche du dommage tel qu’il s’est réalisé. Dans cette conception, l’intention ne doit pas dévier du résultat obtenu. Le défaut de correspondance stricte conduit à la mise à l’écart brutale de l’exclusion. Partant, en ouvrant l’exclusion légale à l’autonomie avec une autre définition, l’idée serait de disposer d’une arme plus efficace à l’encontre d’assurés adoptant des comportements véritablement critiquables, au profit des assureurs plus aisément libérés de leur obligation de règlement du sinistre.

Pensons aux effets induits. Cela peut permettre aux assureurs d’avoir moins besoin de contourner la définition prétorienne étroite de l’exclusion légale en tentant de transiter par l’appréhension de situations parfois hautement problématiques par le biais de clauses d’exclusion de garantie (D. Noguéro, L’exclusion légale de la faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances, in Mélanges en l’honneur du professeur Suzanne Carval, IRJS, 2021, p. 647) au succès point forcément garantie, tant s’en faut (par ex., Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245 B, D. 2022. 166  ; ibid. 1117, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre  ; ibid. 1993, chron. F. Jollec, C. Bohnert, C. Dudit, J. Vigneras, S. Ittah et X. Pradel  ; RDI 2022. 224, obs. D. Noguéro ; 20 janv. 2022, n° 20-10.529 B, D. 2022. 1993, chron. F. Jollec, C. Bohnert, C. Dudit, J. Vigneras, S. Ittah et X. Pradel  ; v. Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 78). Par parenthèse, signalons simplement que, dans son dispositif, la présente décision de cassation partielle approuve la juridiction du second degré d’avoir déclaré inapplicable une clause d’exclusion de garantie (non détaillée) dont l’assureur se prévalait, faute de respecter le caractère limité exigé à l’article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances.

Dans cette optique, sur le terrain de l’exclusion légale dans sa version « faute dolosive », nul besoin, du côté de l’assuré, de vouloir rechercher un résultat précis (par ex., Civ. 3e, 30 mars 2023, n° 21-21.084, préc., « l’assurée avait commis une faute dolosive, laquelle n’impliquait pas la volonté de son auteur de créer le dommage »). La définition qui est actuellement arrêtée est la suivante : « La faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245, préc.). Elle est dite « stabilisée » par la Cour de cassation (Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 82).

Par suite, les praticiens ne peuvent qu’être légitimement curieux des cas d’application de la faute dolosive. Existe-t-il un changement radical d’orientation quant à l’accueil concret de l’exclusion légale ? Si le suicide retenu pour la faute dolosive a pu provoquer des réactions diverses, jusqu’à l’hostilité, il semble que, depuis 2022, la Cour de cassation n’a pas installé des portes de saloon afin d’accueillir largement la faute dolosive. La présente décision commentée, publiée au Bulletin, en témoigne une fois encore. Après l’ouverture notionnelle, il semble que l’on glisse vers la fermure des espoirs révolutionnaires d’un regain d’application de l’exclusion légale au profit des assureurs.

L’ouverture apparente par la définition répétée de la faute dolosive

Une nouvelle affaire donne l’occasion à la deuxième chambre civile de se prononcer sur la faute dolosive. Il convient de rappeler les faits pour cerner le contexte dans lequel il y a eu invocation de l’exclusion. Il s’agit d’une assurance de responsabilité civile.

L’exploitante d’une ferme pédagogique, où elle exerce également en qualité de dompteuse de fauves, a obtenu la couverture de ses activités par la société Allianz IARD. Les dommages se sont produits en son absence. En effet, le 21 septembre 2013, une personne bénévole de l’exploitation, non formée aux soins requis par des animaux sauvages, a été grièvement blessée par un tigre. Par parenthèse, le lecteur appréciera l’effet rétroactif attaché à l’interprétation évolutive par la jurisprudence d’un texte de loi s’appliquant par hypothèse à des faits antérieurs à cette même interprétation. Même une personne végane invétérée doit savoir que ce mammifère, indécrottable carnivore, est susceptible de mordre et griffer. La personne attaquée par un tel prédateur demeure victime en subissant un dommage corporel. L’exploitante a été déclarée coupable des faits de blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, ainsi que d’exploitation irrégulière d’établissement détenant des animaux domestiques. L’absent a visiblement toujours tort ! L’assureur a opposé la faute dolosive de l’assurée pour dénier sa garantie. Celle-ci l’a assigné afin d’obtenir sa condamnation à la garantir de toutes les condamnations pouvant être prononcées à son encontre au titre de ce sinistre.

Pour débouter l’assurée de sa demande de garantie, la Cour d’appel de Paris a jugé que l’exploitante avait commis une faute dolosive « retirant tout caractère aléatoire au risque de survenue de l’accident » (§ 5 de l’arrêt). La motivation de l’arrêt d’appel du 5 avril 2022 – postérieur à l’évolution de la deuxième chambre civile sur la faute dolosive – va être critiquée par le moyen du pourvoi de l’assurée.

Sur la disparition de l’aléa (§ 10), il s’agit assurément de l’effet de l’exclusion légale – et son explication technique –, tant pour la faute intentionnelle que pour celle dolosive. Aussi, l’intégration du caractère aléatoire qui serait atteint dans la définition même de l’exclusion n’est en rien un discriminant pertinent pour tracer les contours de la faute dolosive. La Cour de cassation a fini, à juste titre, par gommer de sa définition la référence à l’aléa (auparavant, Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 19-12.659 et n° 19-12.660 ; avant son alignement en 2023, Civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-10.774, RDI 2021. 433, obs. C. Charbonneau  ; RGDA 2021, 200h0, p. 23, note A. Pélissier ; Lexbase hebdo éd. privée, 22 juill. 2021, n° 874, obs. R. Bigot et A. Cayol ; LPA 31 oct. 2021, n° 201d3, p. 34, note D. Noguéro ; RCA 2021, n° 163, note S. Bertolaso ; RDC 2021-4, 200g9, p. 42, note F. Leduc). Les juges du fond ont peut-être le sentiment de renforcer leur argumentation avec de tels rappels au sujet de l’aléa disparu entièrement. Il vaut probablement mieux s’attacher à motiver la décision adoptée à partir des critères idoines.

Relevons, de façon générale, que même une infraction pénale intentionnelle n’entraîne pas ipso facto la qualification de l’exclusion légale en droit des assurances. Il faut encore que les critères de cette dernière soient bien réunis dans le cas considéré. Par exemple, il est jugé que « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu et n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction » (Civ. 2e, 16 sept. 2021, n° 19-25.678, Dalloz actualité, 29 sept. 2021, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2021. 1718  ; 16 janv. 2020, n° 18-18.909, AJ contrat 2020. 289, obs. P. Guillot ). La recherche est donc à entreprendre afin de qualifier ou non une faute dolosive (Civ. 2e, 10 mars 2022, 5 arrêts, n° 20-19.052, n° 20-19.053, n° 20-19.054, n° 20-19.056 et n° 20-19.057, BJDA.fr 2022, n° 80, note R. Bigot et A. Cayol, en marge même de la faute intentionnelle dans des affaires d’incendie).

Afin de retenir une faute délibérée, dans le cadre indiqué, il convient de vérifier que l’obligation de prudence ou de sécurité présente bien un caractère particulier au regard de la prévision d’un texte dictant un modèle de conduite circonstancié. Sur la responsabilité pénale, l’article 121-3, alinéas 3 et 4, du code pénal énonce successivement : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » ; « dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». Dans cette perspective, l’exploitante était bien auteur indirect.

Pour la Cour parisienne, « l’absence de l’assurée, qui avait laissé à la victime, non formée et seule sur le site, la surveillance des fauves, a contribué, « en dépit des consignes rappelées à la victime » à créer une situation « propice à une imprudence » » (§ 5). Sa motivation est rappelée sur ce point : « ainsi que l’a exposé le juge pénal, Mme [F.] a manqué à ses obligations professionnelles, notamment déterminées par l’arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détentions et d’utilisation des animaux vivants d’espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants » (§ 8 ; v. not., arr., art. 3 et annexes II.2 et III.2, pour le panthera tigris, art. 5 et 8 pour le personnel et art. 6, 11 et 24, pour la surveillance ; C. envir., art. L. 413-3). Le texte particulier est identifié pour établir le manquement.

Des précisions sont fournies : « si l’initiative de la victime est la cause directe de l’accident, l’absence de Mme [F.], exploitante et titulaire du certificat de capacité ad hoc, accompagnée du bénévole formé aux soins des fauves, et en dépit des consignes rappelées à Mme [J.], non formée à cette surveillance spécifique, restée seule sur le site, a contribué à créer une situation d’isolement, sans garde-fou, propice à une imprudence et à la réalisation de l’accident » (§ 8). En parallèle, on subodore l’excuse absolutoire d’un enfant spectateur ! Parfois, dans le but d’indemniser à tout prix, la situation d’abandon reprochée à un garant que l’on espère surtout solvable, peut conduire à une forme d’indulgence forte… Peut-être que la qualité de bénévole a plus ou moins influencé l’appréciation du côté de la faute de la victime. À l’extrême, l’inexpérience doublée de la tutelle défaillante pourrait faire prendre la bête pour une peluche ou une réalité virtuelle : du tigre à Tigroo.

Il reste que la faute de l’exploitante est caractérisée lorsque la décision d’appel « ajoute que selon l’arrêt correctionnel, l’omission, délibérée, de Mme [F.] de respecter l’obligation qui lui était faite par l’arrêté du 18 mars 2011 précité, de déléguer en son absence à une personne compétente les opérations de surveillance des animaux, a participé, indirectement, à la réalisation du dommage » (§ 9). Une telle « omission délibérée » a rendu « inéluctable la réalisation du dommage » (§ 10), selon la cour d’appel libérant l’assureur.

Le pourvoi a rappelé la définition jurisprudentielle habituelle de la faute dolosive (§ 5) pour défendre, au contraire des juges du fond, que la situation n’y correspondait pas, en vue de revendiquer la couverture assurantielle. L’assurée s’est appuyée sur des constatations de l’arrêt correctionnel rendu dans cette affaire. Elle a mis ainsi en avant que « l’initiative de la victime est "la cause directe de l’accident sans laquelle celui-ci n’aurait pas eu lieu" ». Il en a été déduit que « le manquement délibéré à l’obligation de prudence et de sécurité, tel qu’il est reproché à l’assurée par les constatations de faits propres à l’arrêt attaqué et reprises de l’arrêt correctionnel, ne rendait pas inéluctable la réalisation du risque causé par l’initiative de la victime, ne suffit pas à établir la conscience qu’avait l’assurée qu’il surviendrait tel qu’il s’est produit ni à exclure tout aléa » (§ 5). Si l’exploitant doit tenir à jour un registre des accidents et des situations survenant dans l’établissement (Arr. du 18 mars 2011, art. 13), c’est qu’il connaît les risques objectivement réalisables dont la prévention est exigée. Pour autant, autre chose est sa conscience subjective de telle difficulté qui peut naître en fonction de telles circonstances.

L’allusion à l’exclusion de tout aléa, en réponse à la motivation d’appel, vient neutraliser le débat sur un aléa simplement réduit ou altéré ou faussé, qui est insuffisant (Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 81-82 et 86). Plus intéressante, est l’analyse fondée sur la prévision d’une conséquence dommageable telle qu’elle s’est produite. En définitive, il semble que l’on retrouve la définition de la faute intentionnelle au travers de la conscience exigée pour la faute dolosive ! Malgré des définitions différentes, ce serait un rapprochement qui conduirait à une espèce de fusion des fautes. Il peut advenir qu’une application assouplie de la faute intentionnelle permette de parvenir au résultat du jeu de l’exclusion légale (Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-19.782 et n° 18-19.832, AJDI 2020. 203 ). Toutefois, en l’occurrence, l’assurée cherchait surtout à échapper à la rigueur de la faute dolosive à son égard.

Quelle a été la réception par la Cour de cassation invitée à exercer son contrôle sur la notion de faute dolosive par le grief de violation de la loi ? Classiquement, par suite du visa de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, la deuxième chambre civile a indiqué que « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » (§ 6). Elle a réitéré sa définition désormais habituelle, dont le moyen s’était prévalu : « Au sens de ce texte, la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » (§ 7). Derrière une définition, il y a toujours la mise en œuvre qui en est faite. De la théorie à la pratique. Il convient de souligner que saisie sur le fondement de la faute dolosive, la Cour n’examine pas, en parallèle, si une faute intentionnelle existe ou non. En ce sens, on peut penser que l’impact est négligeable car la définition de la faute dolosive serait a priori plus souple. Il faudrait voir ce qu’il en serait dans l’hypothèse inverse où les juges ne seraient saisis que sur la faute intentionnelle. L’exclusion légale d’ordre public va toutefois conduire les assureurs à se situer souvent sur le terrain de la faute dolosive et l’assuré bâtira par suite sa défense sur ce terrain.

S’agissant de l’acte délibéré, qui est une action que l’on fait de manière intentionnelle, les auteurs ont pu souligner que cela pouvait également être par abstention. L’omission doit logiquement être comprise dans la formulation. L’arrêt commenté en est une illustration. A priori, le résultat obtenu n’a pas à être, en correspondance précise, celui recherché. C’est une distinction conceptuelle de la faute intentionnelle.

Visiblement, la Cour de cassation n’a pas (encore) abandonné l’utilisation de la faute intentionnelle, si bien que l’exclusion légale semble bien comprendre les deux notions, y compris pour la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 16 sept. 2021, n° 19-25.678, préc. ; 25 janv. 2024, n° 21-17.365, « La faute intentionnelle est entendue comme la faute volontaire commise avec l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu ») à l’initiative de la promotion des deux fautes distinguées. Mieux, la jurisprudence a montré, encore récemment, la force de la définition légale qu’elle maîtrise par son contrôle, en réfutant le contournement contractuel. En assurance maritime, la chambre commerciale a pu juger que « La faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » ; « Il en résulte que, pour dénier sa garantie en se fondant sur une clause d’exclusion visant les dommages causés ou provoqués intentionnellement par l’assuré, l’assureur doit prouver que l’assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » (Com. 13 déc. 2023, n° 22-12.744, visa de l’art. L. 172-13 c. assur., traitant des fautes intentionnelles ou inexcusables de l’assuré). La conception moniste subjective de la faute intentionnelle n’est plus la reine de la jungle qu’est le contentieux abondant de l’exclusion légale, mais elle n’est pas en voie de disparition pour autant. Reste à déterminer les champs respectifs des deux notions si jamais elles sont respectivement reconnues et ont des frontières.

Par conséquent, si elle coexiste avec la faute intentionnelle, la faute dolosive doit être vérifiée par le juge à partir des critères de sa définition. Il en va ainsi, à l’évidence, lorsque les plaideurs s’en prévalent ; alors les juges doivent rechercher si l’assuré « n’avait pas eu conscience de ce qu’une explosion provoquée dans son appartement entraînerait inéluctablement des conséquences dommageables dans l’ensemble de l’immeuble et n’avait pas, dès lors, commis une faute dolosive » (Civ. 2e, 10 mars 2022, n° 20-19.052, BJDA.fr 2022, n° 80, note R. Bigot et A. Cayol ; D. 2022. Pan. 1117, spéc., p. 1118, obs. R. Bigot ; B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Les conséquences sur les tiers d’un suicide ou d’une tentative de suicide, en droit des assurances. Où en est la jurisprudence ?, D. 2022. 2105 ).

Ici, la cour d’appel a bien fait application de la faute dolosive sollicitée par l’assureur, mais sa mise en œuvre demeure soumise au contrôle de cassation, ce qui assure normalement une harmonisation de son contenu.

La fermeture tangible par la recherche imposée de la conscience des dommages inéluctables

Chacun peut s’entendre sur une même définition de la faute dolosive qui serait adoptée. Il reste que seule l’application concrète de l’exclusion ainsi entendue permet réellement de peser l’avantage qui serait procuré par rapport à la faute intentionnelle subjective. L’ouverture serait-elle un trompe-l’œil sous cet aspect ? Depuis l’affirmation de l’autonomie de la faute dolosive, rares sont les hypothèses dans lesquelles, en s’appuyant sur la définition de la faute dolosive, la Cour de cassation a accepté d’en entériner le jeu, en pratique, au détriment de l’assuré.

Qu’est-ce qui est traduit par cette situation ? On peut, avec certitude, se reporter à l’avertissement donné par la Haute juridiction elle-même dans son étude de 2023 consacrée aux exclusions de garantie, qui faisait suite à sa prudence lors de l’alignement de la troisième chambre civile quelques mois plus tôt. Il est précisé : « Si cette nouvelle définition de la faute dolosive, dont la Cour de cassation vérifie l’application par un contrôle lourd, élargit le domaine de la faute volontaire inassurable, elle est néanmoins précise et restrictive et assure un équilibre entre la nécessité de ne pas encourager ou, du moins, de ne pas assurer de garantie, à des comportements inéluctablement générateurs de dommages (…) » (Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 83). « Les risques, identifiés ci-dessus, qui pourraient résulter d’une acception trop large de la faute dolosive, devraient conduire la Cour de cassation à contrôler la qualification de la faute retenue par les juges du fond, afin que le caractère subjectif de la faute dolosive soit préservé » (ibid., p. 86).

Tout débordement d’enthousiasme pour les assureurs y est donc sérieusement tempéré. L’objectif poursuivi par l’élargissement est-il, par cette politique, réellement atteint ? Plus loin, peut-on estimer que la faute dolosive est introuvable ? Si tel n’est pas vraiment le cas, on peut a minima faire valoir qu’elle ne sera caractérisée que dans des espèces exceptionnelles. Et on sera prudent en s’abstenant de prétendre fournir un guide sûr. La Cour fait sa régulation à sa guise. Avec une faute dolosive à dose homéopathique, elle distribuera parcimonieusement sa prescription pour écarter la couverture assurantielle. L’approche restrictive de l’exclusion légale n’est pas dévorée par l’émergence de la faute dolosive. La porte n’est pas grande ouverte, comme certains pourraient le croire, mais à peine entrebâillée, probablement dans des hypothèses assez particulières qui restent encore à clairement identifier. On serait bien en peine d’en donner des illustrations absolument garanties. Des affaires passées n’ont pas forcément emporté la conviction de tous. Mais, un certain flou entretenu derrière des formulations générales autorise une marge de manœuvre judiciaire et une adaptation au cas par cas, à l’occasion comme une espèce de troisième degré de juridiction. Ne soyons pas dupes de certaines démarches.

La cour d’appel a jugé « que « ce manquement » de l’assurée « a eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque » et qu’« en la laissant à Mme [J.] (la victime) seule la surveillance des fauves, Mme [F.] (l’assurée) a commis une omission délibérée dont elle ne pouvait ignorer la survenance d’un dommage » (§ 5). La motivation du juge du second degré est restituée à ce propos. « Il en déduit que ce manquement est constitutif d’une faute dolosive, en ce qu’en laissant à Mme [J.], seule, la surveillance des fauves, Mme [F.] a commis une omission délibérée dont elle ne pouvait ignorer qu’elle entraînerait la survenance d’un dommage, et qui a eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de retirer au contrat d’assurance son caractère aléatoire » (§ 10).

La cour d’appel fait un choix de vocabulaire (« ne pouvait ignorer ») que la Cour de cassation elle-même a pu faire par le passé récent (outre la « connaissance »), ce qui a généré des débats doctrinaux, avant que ne soit clairement sélectionnée la référence à la conscience. Dans la définition actuelle, cela ne laisse plus de place au doute ni aux discussions parfois byzantines.

La Cour de cassation a déjà censuré les juges du fond pour avoir retenu la qualification de faute dolosive « sans caractériser la conscience que l’assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20-13.245, préc., suicide). La majorité écrasante de ses décisions récentes sont en ce sens (Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 19-12.659, § 11 ; 10 nov. 2021, n° 19-12.660, § 11 ; 25 janv. 2024, n° 21-17.365, § 10). On retrouve souvent des assurances de responsabilités professionnelles. Sur le mode d’appréciation qui a donné réflexion à la doctrine, la Cour de cassation a livré sa méthode : « La faute dolosive n’est donc pas une faute objective puisqu’elle ne résulte pas du seul constat de la disparition totale de l’aléa. S’y ajoute un élément subjectif, analysé in concreto, tenant au fait que l’assuré doit avoir eu conscience de ce que, inéluctablement il allait, par son action volontaire, occasionner le dommage » (Les exclusions de garantie en droit des assurances, préc., p. 82). L’appréciation par un modèle abstrait d’assuré semble donc écartée.

La deuxième chambre civile a également distingué la conscience du caractère inéluctable du dommage de la conscience du risque d’occasionner le dommage. De juger, en ce sens, que les juges du fond s’étaient déterminés « par des motifs impropres à caractériser la conscience qu’avait la société Gesdom du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la commercialisation de son produit auprès de M. [R.], qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » (Civ. 2e, 6 juill. 2023, n° 21-24.833 B, préc. ; LEDA sept. 2023, DAS201l9, p. 2, obs. P.-G. Marly ; JCP 2023. Actu. 1125, note A. Pimbert ; RCA 2023, n° 256, 1re esp., note V. Tournaire ; RDBF 2023-5, n° 145, obs. N. Leblond ; Gaz. Pal. 21 nov. 2023, n° GPL456k0, p. 55, note P. Giraudel ; 6 juill. 2023, n° 21-24.835 ; RDI 2023. 546, obs. D. Noguéro  ; RCA 2023, n° 256, 2esp., note V. Tournaire). La solution a été répétée : « des motifs impropres à caractériser la conscience qu’avait M. [T.] du caractère inéluctable du dommage que subirait son bateau, qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » (Civ. 2e, 12 oct. 2023, n° 22-13.109, RCA 2023, n° 298, note R. Bruillard ; LEDA déc. 2023, DAS201q3, p. 2, obs. S. Abravanel-Jolly).

En l’espèce, dans cette ligne, appréciant négativement la motivation d’appel, la Cour considère que la juridiction parisienne s’est déterminée « par des motifs impropres à caractériser la conscience qu’avait l’assurée du caractère inéluctable du dommage que subirait Mme [J.], qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » (§ 11). Le manque de base légale est retenu. La censure partielle, disciplinaire, conduit au renvoi devant la même cour d’appel, autrement composée, qui devra se plier aux exigences du contrôle de cassation et en tirer les conséquences idoines pour l’affaire en question.

Même si l’exploitante avait manqué lourdement aux règles de l’art de son activité, on peut raisonnablement estimer qu’elle n’avait pas voulu, ni imaginé en conséquence inévitable de son absence temporaire, que la personne bénévole dans sa structure, fut exposée à la férocité du tigre pour subir l’atteinte éprouvée. Par parenthèse, pour une faute intentionnelle, il ne suffit pas de la volonté de créer le risque puisqu’est essentielle la volonté de produire le dommage (réf. citées, nos obs., RDI 2023. 546).

L’explication technique de l’exclusion repose sur l’anéantissement de l’aléa en cours de contrat. Pour saisir certains comportements hautement critiquables, la réflexion mérite probablement d’être creusée à partir d’un fondement davantage moral (nos obs., RDI 2023, préc.). Il demeure que la création de la norme par le juge ne peut toujours avoir la précision souhaitable. Ici, délimiter le champ d’application de la faute dolosive selon le type de contrat d’assurance et les activités couvertes aurait peut-être pu être un moyen de cantonner les occurrences d’application de l’exclusion ainsi comprise, en laissant pour les autres cas, le jeu de la faute intentionnelle. Les responsabilités professionnelles qui sont fréquemment en vue auraient ainsi pu avoir un traitement différencié, plus sévère pour la mobilisation de la garantie et la moralisation des comportements. Rien n’est perdu si, un jour, un interprète s’empare de l’adjectif « dolosif » pour le réserver, par exemple, à la responsabilité contractuelle (sans forcément aboutir à un alignement avec la notion de droit commun civil, c. civ., art. 1231-3). Aujourd’hui, la Cour de cassation a déjà appliqué en assurances de choses comme en assurance responsabilité civile, contractuelle ou délictuelle, le principe de la faute dolosive.

Ce que l’on perçoit difficilement, au fur et à mesure des arrêts rendus, c’est l’hypothèse dans laquelle il sera admis que l’assuré avait pleinement conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son acte délibéré. Y a-t-il même une frontière opérationnelle avec la volonté du dommage tel qu’il s’est produit ou réalisé ou tel qu’il est survenu ? Derrière les évolutions théoriques des notions, n’y a-t-il pas surtout la mise en œuvre d’une politique prétorienne terre à terre ? En droit des assurances, l’objectif semble demeurer d’accueillir de façon exceptionnelle l’exclusion légale de garantie, indépendamment d’autres mécanismes susceptibles d’intervenir pour une prise en charge plus ou moins effective ou large. En assurance de responsabilité, cela profite aux victimes disposant de l’action directe, mais aussi médiatement à l’assuré ainsi couvert, grâce à l’intervention de l’assurance et donc non exposé sur son seul patrimoine. Au bilan, il faut voir si la concentration sur ce rapport interindividuel n’occulte pas trop les intérêts de la communauté des assurés organisés en mutualité (déjà, comp., par suite d’une évolution dictée par la jurisprudence communautaire, c. assur., art. L. 211-7-1 et art. R. 211-13, interprété).

Pour l’heure, afin de contenir tout excès, la faute dolosive est sous surveillance, comme le félidé (même dressé) doit l’être dans sa cage ou son enclos (Arr. 18 mars 2011, art. 25).

 

Civ. 2e, 14 mars 2024, F-B, n° 22-18.426

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