La franchise Pizza Sprint et Domino’s devant la Cour de cassation : analyse des sanctions pour pratiques restrictives de concurrence

En matière de pratiques restrictives, la prescription de l’action du ministre, qui ne fait pas l’objet de règles spéciales, est régie par l’article 2224 du code civil. Il s’ensuit que cette action a pour point de départ le jour où ce dernier a connu ou aurait dû connaître les faits qui, caractérisant une pratique restrictive, lui permettent d’exercer ce droit. La conclusion d’une transaction entre des partenaires économiques n’a pas pour effet de priver le ministre des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 442, 6, III, devenu L. 442-4, du code de commerce. Une société ayant acquis les titres de sociétés à l’origine de clauses constitutives d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et qui ne cesse pas ces pratiques, et partant, y participe également, peut être condamnée, in solidum avec ces dernières, à une amende civile.

Sur fond de réseau de franchise, un riche arrêt est rendu en matière de pratiques restrictives de concurrence et d’action du ministre de l’Économie. Les trois principaux enseignements sont : (i) le point de départ de la prescription est fixé au premier acte d’enquête de l’administration, cette solution conduisant à allonger considérablement la période pendant laquelle le ministre peut agir ; (ii) une clause d’intuitu personae trop imprécise peut être sanctionnée, mais le fait que celle-ci pèse sur le seul franchisé n’est pas, en soi, condamnable ; (iii) la holding cessionnaire du réseau de distribution peut être condamnée in solidum avec le franchiseur si celle-ci maintient les pratiques litigieuses.

1. Deux raisons invitent à s’intéresser à l’arrêt Pizza Sprint de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu en formation de section et publié au Bulletin.

D’abord, rares sont les arrêts mêlant franchise, pratiques restrictives de concurrence (PRC) et action du ministre de l’Économie (pour un arrêt récent où la Cour s’est prononcée sur des PRC dénoncées, non par le ministre, mais par plusieurs membres d’un réseau de concession, Com. 18 oct. 2023, n° 21-25.324, CCC 2024. Comm. 8, obs N. Mathey). L’arrêt Pizza Sprint contient donc son lot d’enseignements, notamment sur la prescription et le point de départ de l’action du ministre ou encore sur l’influence d’une transaction lorsque celle-ci a été passée entre les cocontractants (franchiseur/franchisés).

Ensuite, et surtout, l’arrêt était attendu au regard de ses enjeux pratiques. Statuant en qualité de juridiction spécialisée, la Cour d’appel de Paris avait amorcé un séisme dans le monde de la franchise. La « 5-4 » semblait mettre en cause la validité d’une clause centrale de ce mode de distribution : la clause d’intuitu personae pesant sur le seul franchisé (Paris, pôle 5 - ch. 4, 5 janv. 2022, n° 20/00737, Dalloz actualité, 8 mars 2022, note Y. Heyraud ; LEDICO, févr. 2022, n° DDC200o7, obs. M. Béhar-Touchais ; CCC 2022. Comm. 45, note N. Mathey ; ibid. 2023. Étude 2, spéc. §§ 30-31, obs. J.-B. Gouache et M. Béhar-Touchais). Disons-le d’emblée : la brèche s’est refermée car la Cour de cassation tempère les craintes liées à la décision d’appel. Il serait toutefois réducteur de limiter l’arrêt Pizza Sprint à la seule clause d’intuitu personae. La responsabilité in solidum du franchiseur et de la holding cessionnaire soulève, par exemple, d’intéressantes questions pratiques. N’anticipons pas et résumons les différentes étapes de l’affaire.

2. En 2013, une enquête de l’administration (la DGCCRF) conduit à suspecter l’existence de pratiques restrictives de concurrence, plus précisément de clauses et pratiques générant un déséquilibre significatif dans les contrats de franchise du réseau Pizza Sprint.

En 2016, le réseau Pizza Sprint est cédé au géant Domino’s. Cette cession s’est concrétisée par un changement de contrôle : le cédant (Food Court Finance) a vendu les titres qu’il détenait sur le franchiseur (Fra-Ma Pizz) et la centrale fournisseur (Pizza Center France) au cessionnaire (Domino’s Pizza France).

En 2017, le ministre de l’Économie assigne l’ensemble des protagonistes pour pratiques restrictives de concurrence (franchiseur et centrale, cédant et cessionnaire, et encore l’architecte détenu et agréé par le franchiseur, la société Somainmag).

Après jugement du Tribunal de commerce de Rennes (T. com. Rennes, 22 oct. 2019, n° 2017F00131, Procédures 2020. Chron. 4, spéc. §§ 2-7, obs. E. Mazet, G. Serrano et O. Leroy), l’affaire est portée devant la juridiction d’appel spécialisée : la Cour d’appel de Paris et sa chambre « 5-4 » (Paris, pôle 5 - ch. 4, 5 janv. 2022, préc.). Les sanctions sont lourdes et variées. On retiendra particulièrement l’annulation de diverses clauses pour déséquilibre significatif ainsi que la condamnation in solidum du franchiseur et de la holding cessionnaire à une amende civile de 500 000 €.

3. La Cour de cassation se prononce aujourd’hui sur six aspects distincts. L’arrêt Pizza Sprint est donc particulièrement riche. Tous les aspects de la solution ne sont évidemment pas d’un même niveau d’importance. Plutôt qu’une hiérarchie, qui relève en partie de la sensibilité de chacun, reprenons l’ordre suivi par la Cour de cassation et commençons par l’épineuse question de la prescription et son point de départ.

Premier acte d’enquête diligenté par l’administration : point de départ de la prescription de l’action du ministre

4. Un franchisé, et plus largement tout opérateur se plaignant d’une pratique restrictive de concurrence pour déséquilibre significatif, est soumis à la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224 ; C. com., art. L. 110-4, I). Le point de départ peut varier selon la demande (nullité, indemnisation, etc., J.-Cl. Conc. Consom., fasc. 270, par H. Hadj-Aïssa, §§ 77 s.). Il n’en reste pas moins que la date de conclusion du contrat est fréquemment retenue (pour une demande en nullité, Paris, pôle 5 - ch. 4, 3 avr. 2019, n° 16/16071 ; 8 févr. 2023, n° 20/04558 ; pour une demande en responsabilité, Paris, pôle 5 - ch. 4, 23 janv. 2019, n° 16/18596).

5. Qu’en est-il du ministre de l’Économie ? L’arrêt Pizza Sprint y répond de manière inédite (arrêt, §§ 6-9). Il est peu de dire que le traitement réservé au ministre est bien différent de celui des personnes privées. La Cour de cassation indique que, faute de texte spécial, l’action du ministre relève du droit commun de la prescription (C. civ., art. 2224). Rien de plus logique. Mais restait à identifier le point de départ de cette prescription quinquennale. C’est là que le traitement différencié apparaît. La solution a le mérite de la clarté mais s’avère discutable : le point de départ se situe au premier acte d’enquête diligenté par la DGCCRF. L’enquête ayant, en l’espèce, débuté le 14 mars 2013, l’assignation du ministre de l’Économie, datée de 2017, pouvait donc être introduite pendant un délai de cinq ans, jusqu’en 2018.

6. La portée pratique de l’orientation est majeure. D’abord, la rédaction et la généralité des termes employés par la Cour invitent à retenir un point de départ unifié. Il ne semble pas question de distinguer selon les demandes formées par le ministre (nullité, amende civile, etc. ; ce qui aurait pu être envisagé, H. Hadj-Aïssa, op. cit., § 75). Ensuite, et surtout, la période pendant laquelle le ministre peut agir pour sanctionner une pratique restrictive de concurrence est – considérablement – allongée. Voilà un franchisé ayant contracté en 2024. Le premier acte d’enquête est diligenté en 2030. Le ministre peut donc agir jusqu’en 2035. Selon cet exemple, des actions pourraient être diligentées plus de dix ans après les faits (déjà en ce sens, M. Béhar-Touchais, LEDICO, févr. 2022, préc.).

7. Cette conclusion dénote avec les délais retenus dans des domaines voisins. En matière de pratiques restrictives de concurrence, l’action de l’administration, par exemple en inexécution des mesures d’injonction, est ainsi enfermée dans un délai de trois ans à compter du jour où le manquement a été commis (C. com., art. L. 470-2, II). En droit des pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans lorsqu’aucune diligence n’a été menée. De plus, un délai butoir de dix ans s’applique à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle, sous réserve de cause de suspension (C. com., art. L. 462-7, I et II ; M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, Droit de la concurrence, 2éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, § 217).

En matière de pratiques restrictives de concurrence et d’action du ministre, les franchiseurs – et bien d’autres – subissent donc une forte insécurité juridique. Même à supposer que les franchisés ne puissent plus mobiliser les pratiques restrictives de concurrence pour cause de prescription, rien ne leur interdirait de dénoncer ces pratiques à l’administration pour qu’enquête et contentieux soient engagés. L’action publique demeure quand l’action privée est éteinte.

8. Mieux – ou pire, c’est selon – l’existence d’un délai butoir doit être questionnée. Dit autrement : y a-t-il une limite indépassable au-delà de laquelle l’action du ministre ne pourrait, en aucun cas, prospérer ? Si la prescription de droit commun est applicable comme l’indique la Cour, il faut alors se référer au délai butoir de vingt ans (C. civ., art. 2232). Cette conclusion conduit toutefois à traiter l’auteur d’une pratique restrictive de concurrence plus sévèrement que les auteurs de délits pénaux pour lesquels un délai de butoir de douze ans est posé (C. pr. pén., art. 9-1, al. 2).

9. Une telle orientation pro-ministre de l’Économie s’explique sûrement par des considérations politiques. La justification pourrait se loger dans le rôle du ministre : il est ici le garant de l’ordre public économique. L’action dont il dispose est, selon la formule consacrée, une action « autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence » (Com. 8 juill. 2008, n° 07-16.761 et n° 07-13.350, Dalloz actualité, 11 juill. 2008, obs. E. Chevrier ; Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie c/ Société coopérative Groupement d’achats des centres Leclerc (Sté), D. 2008. 3046 , note M. Bandrac  ; ibid. 2067, obs. E. Chevrier  ; ibid. 2749, chron. M.-L. Bélaval et R. Salomon  ; ibid. 2009. 1441, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra  ; ibid. 2888, obs. D. Ferrier  ; CCC 2008. Comm. 237, note M. Malaurie-Vignal ; JCP E 2008. 2143, note A. Ballot-Léna). Lui octroyer une sorte de régime de faveur, en fixant le point de départ de la prescription très tardivement, permet de renforcer sa fonction.

10. D’autres voies étaient pourtant envisageables. Certains ont suggéré que l’action du ministre devrait, dans cette matière répressive, courir à compter du jour de l’infraction, et donc à compter de la conclusion du contrat (J.-B. Gouache et M. Béhar-Touchais, Actualité du droit de la franchise 2020, CCC 2021/1. Étude 3, spéc. § 30). D’autres ont suggéré des points de départ variables et des cas de suspension (H. Hadj-Aïssa, op. cit., §§ 75 s.). La Cour de cassation n’entend manifestement pas vouloir user de ces alternatives.

La transaction entre franchiseur et franchisés ne fait pas obstacle à l’action du ministre

11. Le pourvoi considérait que l’existence d’accords transactionnels entre franchiseur et franchisés (C. civ., art. 2044 s. ; anc. art. 2052) fait obstacle à l’action du ministre. La Cour rejette sèchement l’argument : « la conclusion d’une transaction entre des partenaires économiques n’a pas pour effet de priver le ministre des pouvoirs [d’agir devant la juridiction compétente] » (arrêt, § 12). La solution est logique. Il faut distinguer selon les rapports envisagés

12. L’action du ministre dirigée contre le franchiseur doit pouvoir être engagée. Si des sanctions sont posées (nullité de clauses ou amende civile), elles s’appliquent au fautif. Il en va de l’impérativité du dispositif. Une transaction passée entre deux opérateurs privés n’a pas à interférer. La solution était d’ailleurs prévisible : les clauses attributives de juridiction et d’arbitrage stipulées entre les parties ne sont pas opposables au ministre (à propos d’une clause d’arbitrage, Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-21.811, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1910 , note J.-C. Roda  ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; ibid. 2484, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra  ; ibid. 2589, obs. T. Clay  ; AJ contrat 2016. 444, obs. M. Boucaron-Nardetto  ; RTD civ. 2016. 837, obs. H. Barbier  ; ibid. 921, obs. P. Théry  ; RTD com. 2016. 695, obs. E. Loquin  ; CCC 2016. comm. 214, obs. N. Mathey ; Procédures 2016. Comm. 331, obs L. Weiller ; à propos d’une clause attributive de juridiction, Paris, 21 juin 2017, n° 15/18784, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke  ; AJ contrat 2017. 388, obs. V. Pironon  ; ibid. 305, obs. X. D.  ; JT 2017, n° 200, p. 11, obs. X. Delpech  ; RTD com. 2017. 598, obs. M. Chagny  ; ibid. 599, obs. M. Chagny  ; ibid. 601, obs. M. Chagny  ; ibid. 603, obs. M. Chagny  ; ibid. 606, obs. M. Chagny  ; Concurrences 2017/4, p. 117, note F. Buy ; RLC 2017/65, n° 3260, note B. Jardel).

13. Dans des rapports purement privés entre franchiseur et franchisés, la transaction produit effet, même quand des pratiques restrictives de concurrence sont concernées. L’arrêt GSD l’avait déjà affirmé en matière de rupture brutale (Com. 16 déc. 2014, n° 13-21.363, Ikea Supply AG (Sté) c/ Green Sofa Dunkerque (Sté), D. 2015. 70  ; ibid. 943, obs. D. Ferrier  ; ibid. 2526, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra  ; AJCA 2015. 133, obs. L. Arcelin  ; RTD civ. 2015. 384, obs. H. Barbier  ; JCP E 2015. 1115, note N. Dissaux ; CCC 2015. Comm. 34, obs. N. Mathey). L’objectif est évidemment d’éviter qu’un franchisé ayant transigé mobilise, à bon compte, et contre le franchiseur, une décision rendue sur action du ministre. On insistera ici sur l’utilité de la transaction qui, par le jeu des concessions réciproques, met fin au litige entre les parties.

14. En l’absence de transaction, de nouveaux contentieux peuvent être engagés. Le risque s’actualise d’ailleurs. Certains franchisés du réseau Pizza Sprint ont initié un contentieux parallèle lors duquel la condamnation du franchiseur pour pratiques restrictives de concurrence, prononcée en 2022 par la cour d’appel, a été invoquée.

Trois arrêts ont, à ce titre, été rendus en février 2023, à nouveau par la « 5-4 » (Paris, pôle 5 - ch. 4, 8 févr. 2023, n° 20/01706, n° 20/04558 et n° 20/04561, CCC 2023. Comm. 60, note N. Mathey ; ibid. 2024. Étude 3, spéc. § 53, obs. J.-B. Gouache et M. Béhar-Touchais).

On retiendra de ces trois arrêts qu’ils admettent la résiliation de contrats de franchise aux torts du franchiseur pour exécution déloyale, la restitution de certaines redevances et, surtout, la responsabilité du franchiseur, notamment pour perte de valeur des fonds de commerce (jusqu’à 182 000 € ont pu être accordés, Paris, 8 févr. 2023, n° 20/04558, préc.).

Au-delà, ces arrêts méritent assurément d’être considérés car ils illustrent une sorte de déclinaison du private enforcement, bien connu du droit des pratiques anticoncurrentielles, où les victimes agissent en réparation, après – voire avant – condamnation par l’action publique (M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, op. cit., §§ 241 s.). Le schéma n’est pas, en l’espèce, exactement celui décrit. L’action privée des victimes a été engagée en parallèle de l’action publique du ministre. L’objectif est toutefois similaire. Des opérateurs privés (ici, les franchisés) utilisent la condamnation du franchiseur résultant de l’action du ministre dans un contentieux autonome. L’action des victimes est donc à la frontière des actions dites « stand alone » (la condamnation par l’action publique n’a pas eu lieu) et « follow on » (la condamnation a ici eu lieu). Dans les années à venir, il sera intéressant de voir si ce private enforcement version pratiques restrictives de concurrence se développera. On peut le penser, notamment si les actions du ministre se multiplient.

 Sur la condition de soumission à un déséquilibre significatif

15. La condition de soumission de la victime à un déséquilibre significatif (arrêt, §§ 13-16) est appréhendée classiquement. On sait que cette pratique restrictive de concurrence impose la réunion de deux conditions : une soumission (ou la tentative de) et un déséquilibre significatif (C. com., art. L. 442-1, I, 2° ; anc. art. L. 442-6, I, 2°). Cette première condition de soumission n’est pas nécessairement simple à établir. Le raisonnement de la cour d’appel est validé car celle-ci, pour établir la soumission, a notamment relevé : (i) la notoriété du réseau Pizza Sprint, (ii) la position prépondérante du franchiseur et (iii) l’imposition d’un contrat-type toujours identique, traduisant l’absence de négociation.

16. Viser la notoriété et la position privilégiée d’une partie pour caractériser la soumission de l’autre à un déséquilibre significatif n’est pas nouveau (Com. 27 mai 2015, n° 14-11.387, Dalloz actualité, 29 juin 2015, obs. L. Constantin ; GALEC (Sté) c/ Ministre de l’économie, D. 2015. 1204  ; ibid. 2526, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra  ; AJCA 2015. 379, obs. S. Bros  ; RTD civ. 2015. 606, obs. H. Barbier  ; RTD com. 2015. 486, obs. M. Chagny  ; ibid. 578, obs. B. Bouloc  ; ibid. 2016. 81, obs. M. Chagny  ; CCC 2015. Comm. 229, note N. Mathey ; 26 avr. 2017, n° 15-27.865, Darty, D. 2018. 865, obs. D. Ferrier  ; RTD com. 2017. 593, obs. M. Chagny  ; ibid. 601, obs. M. Chagny  ; CCC 2017. Comm. 145, note M. Malaurie-Vignal ; ibid. Comm. 146, note N. Mathey). De même, l’absence de négociation du contrat est un indice important, si ce n’est fondamental, pour établir la soumission d’une partie à un déséquilibre significatif (Com. 20 nov. 2019, n° 18-12.823, Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. C.-S. Pinat ; D. 2019. 2292  ; ibid. 2020. 789, obs. N. Ferrier  ; ibid. 1254, chron. A.-C. Le Bras, C. de Cabarrus, S. Kass-Danno et S. Barbot  ; AJ contrat 2020. 35, obs. F. Buy  ; RTD civ. 2020. 109, obs. H. Barbier  ; RTD com. 2020. 322, obs. M. Chagny  ; JCP 2020. 17, note N. Dissaux). Ayant démontré ces éléments et procédé à une « analyse globale » des relations unissant franchiseur et franchisés (arrêt, § 15), la cour d’appel a bien caractérisé la condition de soumission.

 Une clause d’intuitu personae trop imprécise peut être sanctionnée

17. Cette partie de l’arrêt était sûrement la plus attendue. Précisons l’enjeu pratique. De très nombreux contrats de franchise stipulent une clause d’intuitu personae pesant sur le franchisé. Cette clause est bâtie sur un triptyque information-agrément-résiliation. Concrètement, le franchisé indique au franchiseur sa volonté d’effectuer certaines opérations (changement de dirigeant, cession de sa société, etc.). Le franchiseur peut agréer, ou non, l’opération projetée et même constater la résiliation anticipée du contrat.

La cour d’appel a retenu la nullité de cette clause d’intuitu personae stipulée dans le réseau Pizza Sprint. Le problème ne se logeait pas tant dans la sanction que dans la motivation développée. La cour d’appel semblait indiquer qu’une clause d’intuitu personae serait systématiquement nulle dès que celle-ci pèse uniquement sur le franchisé. Dit autrement : la nullité serait encourue si la clause n’était pas réciproque ou bilatéralisée.

18. La solution et sa motivation ont été vivement critiquées. Résumons les trois principales critiques. Premièrement, une telle orientation traduit une méconnaissance de ce qu’est la franchise. Notre confrère Rémi de Balmann a ainsi relevé, dans un colloque tenu à la Cour de cassation en 2022, que « choisir un franchiseur, c’est choisir un concept et une enseigne, alors que choisir un franchisé c’est choisir un homme ou une femme […] Intuitu firmae d’un côté, intuitu personae de l’autre » (R. de Balmann, Le déséquilibre significatif en franchise : Eldorado pour les franchisés ou triangle des Bermudes pour les franchiseurs ?, RLDA  2023, n° 193, p. 28 s., spéc. p. 29). Selon le Professeur Nicolas Mathey : « D’une part, reconnaître que le contrat de franchise est caractérisé par un intuitu personae bilatéral est juste ; prétendre qu’il doit être symétrique est contestable […] les intérêts du franchisé et du franchiseur ne sont pas les mêmes » (N. Mathey, CCC 2022/3. Comm. 45). Commentant cet arrêt, nous écrivions que : « le franchisé ne s’engage pas en considération de la personne du franchiseur […] Le franchisé s’engage en considération d’un concept et des conditions proposées […] Le franchisé est, en revanche, sur le terrain l’incarnation concrète du concept de la franchise […] on comprend que la personne du franchisé soit déterminante et que le franchiseur se réserve des droits d’information, d’agrément et de résiliation » (Y. Heyraud, art. préc., § 9). Notons que cette analyse n’est cependant pas unanime : certains affirment que la personne du franchiseur à autant d’importance que celle du franchisé (N. Dissaux et C. Bellet, Guide de la franchise 2023/2024, 2e éd., Guides Dalloz, 2023, § 121.134).

Deuxièmement, la cour d’appel justifiait sa solution en avançant qu’un changement de franchiseur peut bouleverser l’équilibre de la relation et celle du franchisé. Mais c’était totalement omettre la force obligatoire des contrats : un changement de franchiseur en cours de contrat ne modifie nullement le contenu du contrat. En outre, au stade du renouvellement, le franchisé dispose toujours de la liberté de ne pas poursuivre l’aventure si ce bouleversement lui paraît insoutenable. Bref, le franchisé est protégé pendant et dispose d’une porte de sortie à l’issue (sur l’ensemble de ces critiques, Y. Heyraud, art. préc., § 11).

Enfin, troisièmement, une critique d’ordre économique. Voilà un franchiseur qui a œuvré à la création et au développement de son réseau et qui entend le céder. En admettant que les franchisés puissent immédiatement résilier leur contrat, la valeur du réseau baissera mécaniquement. Ne pouvant se voir garantir le maintien des franchisés, le repreneur négociera le prix à la baisse (Y. Heyraud, art. préc., § 15).

19. Inutile de dire que la position de la Cour de cassation était attendue. Le message envoyé nous semble rassurant. La Cour confirme certes la nullité de la clause mais indique – et là est l’essentiel – que la cour d’appel « ne s’est pas bornée à déduire l’existence d’un déséquilibre significatif du seul fait que la clause litigieuse ne prévoyait pas de réciprocité » (arrêt, § 20).

Il faut donc soigneusement distinguer.

D’un côté, la clause d’intuitu personae est sanctionnée parce que celle-ci était imprécise. Son imprécision confinait à la généralité. Le franchiseur pouvait donc contrôler beaucoup trop et bénéficiait, en outre, d’un moyen commode, voire opportuniste, de résiliation du contrat de franchise. Le déséquilibre significatif nous semble ici justifié. En l’espèce, c’est expressément ce que la Cour de cassation approuve dans l’analyse de la cour d’appel : une clause imprécise car celle-ci visait « tout projet ayant une incidence sur la répartition du capital social ou dans l’identité des dirigeants [du franchisé] » (arrêt, § 19). Dit autrement : un changement mineur dans l’entreprise du franchisé (par ex., l’association minoritaire d’un manager-salarié) n’a pas à être autorisé et ne doit pas ouvrir une faculté de résiliation au franchiseur car cela est indolore.

D’un autre côté, serait valable la clause d’intuitu personae répondant aux conditions suivantes. D’abord, elle doit être suffisamment précise et proportionnée : elle doit se borner à contrôler les changements majeurs du franchisé (not., un changement du dirigeant initial et/ou la cession majoritaire des titres). Ensuite, cette clause doit ouvrir une faculté de résiliation au franchiseur uniquement pour les cas précités. Insistons : cette faculté de résiliation est essentielle car le franchiseur n’a pas, dans les faits, les moyens d’empêcher les opérations envisagées par le franchisé. La résiliation est un mécanisme dissuasif. Si ces conditions sont réunies, cette clause d’intuitu personae « resserrée » peut alors peser sur le seul franchisé ; elle n’a pas à être réciproque ou bilatéralisée.

20. La cour d’appel aurait ainsi dû se borner à sanctionner l’imprécision et la généralité de la clause (en ce sens, Y. Heyraud, art. préc., § 7). La solution aurait alors été parfaitement fondée. Il n’est pas admissible qu’un franchiseur puisse contrôler toute l’activité de ses franchisés. Ce sont des commerçants indépendants. Un contrôle ciblé, oui ; un contrôle systématique, non. De même, un franchiseur ne doit pas pouvoir résilier trop aisément un contrat aussi fondamental pour son cocontractant, d’ailleurs au cœur d’un projet économique incluant crédit bancaire et bail commercial.

21. Insistons, cependant : le débat et les craintes des franchiseurs auraient pu être économisés. Tout part, en effet, d’une rédaction trop abondante de l’arrêt d’appel. Il semble que les juges du fond, convaincus du déséquilibre significatif, aient voulu le démontrer à l’excès en multipliant les arguments. Mais le trop est parfois l’ennemi du bien. Les juges ont ainsi éclipsé l’essentiel : l’imprécision de la clause, sa généralité et les effets néfastes qu’elle pouvait entraîner.

Les juges, notamment ceux d’une chambre spécialisée comme la « 5-4 » en matière de pratiques restrictives de concurrence, ont une responsabilité particulière. Leurs décisions sont scrutées par les praticiens et les entreprises. Il est peu de dire que la décision d’appel a, dans le monde de la franchise, suscité des interrogations et des échanges sur l’opportunité de faire évoluer, ou non, les contrats (on rappellera que la cour d’appel avait, en l’espèce, condamné le franchiseur à modifier la clause d’intuitu personae). L’explication des causes du déséquilibre significatif, en somme la motivation, doit donc être particulièrement sous-pesée.

Par-là, nous ne cherchons nullement à ignorer les impératifs, parfois difficiles à concilier, auxquels peut se heurter une juridiction spécialisée. Il ne faut pas, en effet, occulter l’exigence « d’analyse globale » du déséquilibre significatif (Com. 3 mars 2015, n° 13-27.525, Dalloz actualité, 23 mars 2015, obs. L. Constantin ; D. 2015. 1021 , note F. Buy  ; ibid. 943, obs. D. Ferrier  ; ibid. 996, chron. J. Lecaroz, F. Arbellot, S. Tréard et T. Gauthier  ; ibid. 2526, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra  ; ibid. 2016. 964, obs. D. Ferrier  ; RTD com. 2015. 486, obs. M. Chagny  ; ibid. 2016. 81, obs. M. Chagny  ; CCC 2015/5. Comm. 115, note N. Mathey ) et de motivation approfondie qui en résulte, ou encore le contrôle que fait peser la Cour de cassation sur la juridiction d’appel spécialisée. De telles contraintes peuvent, elles aussi, en retour, générer des effets néfastes. Le risque est que les juges soient happés par une sorte de motivation excessive, qui empêche d’identifier précisément ce qui est condamné. Tout est sûrement question d’équilibre. Espérons, à ce titre, que l’affaire Pizza Sprint puisse constituer un précédent utile.

La tête de réseau et la holding cessionnaire peuvent être condamnées in solidum

22. La condamnation in solidum du franchiseur et du repreneur à une amende civile de 500 000 € est un autre aspect notable (arrêt, §§ 23-25). Rappelons que la transmission du réseau Pizza Sprint s’est réalisée par une cession de contrôle. Une holding cédante a transmis l’intégralité des titres du franchiseur et de la centrale à une holding cessionnaire. Ce cessionnaire n’ayant pas mis fin à certaines pratiques restrictives de concurrence (l’approvisionnement exclusif et le stock minimum), la Cour de cassation considère que celui-ci a « participé » aux pratiques litigieuses et doit donc être condamné in solidum avec le franchiseur.

23. La condamnation de différents acteurs pour les pratiques restrictives de concurrence commises n’est pas inédite. En matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie, les remarqués arrêts BOV et LGA ont retenu qu’une holding ou une tête de réseau pouvaient être condamnées lorsque leurs filiales ou membres n’ont pas d’autonomie de décision (Com. 5 juill. 2016, BOV, n° 14-27.030, RTD com. 2016. 719, obs. M. Chagny  ; CCC 2016. Comm. 213, obs. N. Mathey ; 22 juin 2022, LGA, n° 21-14.230, Dalloz actualité, 5 oct. 2022, obs. Y. Heyraud ; D. 2022. 2320, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus  ; ibid. 2023. 705, obs. N. Ferrier  ; RTD civ. 2022. 888, obs. H. Barbier  ; RTD com. 2022. 758, obs. M. Chagny  ; CCC 2022. Comm. 135, obs. Mathey). En matière de déséquilibre significatif, l’arrêt Carrefour France a rendu une décision similaire au motif que : « la responsabilité de la société Carrefour France était engagée, au titre de son rôle pilote, dans l’élaboration de cette convention, comme celle de la société Carrefour proximité, qui en avait assuré l’exécution, et que la responsabilité des sociétés signataires de la convention, comme celles au nom ou pour le compte desquelles elle a été conclue, l’était également » (Com. 4 oct. 2016, n° 14-28.013, D. 2016. 2484, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra  ; ibid. 2017. 881, obs. D. Ferrier  ; CCC 2016. Comm. 232, obs. N. Mathey). Dans le cadre d’une cession de contrat, l’arrêt Cometik, sans toutefois prononcer de condamnation, a admis que le cessionnaire du contrat pourrait également l’être (Com. 15 janv. 2020, n° 18-10.512, Dalloz actualité, 7 févr. 2020, obs. C.-S. Pinat ; D. 2020. 148  ; ibid. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216)  ; ibid. 2021. 718, obs. N. Ferrier  ; AJ contrat 2020. 153, obs. G. Chantepie  ; RTD com. 2020. 318, obs. M. Chagny  ; ibid. 320, obs. M. Chagny  ; CCC 2020. Comm. 43, note N. Mathey ; ibid. Comm. 24, obs. G. Loiseau ; JCP E 2020. 1212, note M. Béhar-Touchais ; JCP 2020. 306, note F. Buy).

L’arrêt Pizza Sprint constitue une nouvelle déclinaison de ce mouvement. C’est, cette fois, le cessionnaire des titres, c’est-à-dire la holding reprenant le franchiseur qui est condamnée.

24. Pour clore ces réflexions sur la relation cédant/cessionnaire, interrogeons un aspect particulier : le « risque PRC » mis en évidence par l’arrêt Pizza Sprint est-il de nature à modifier les garanties d’actif et de passif (GAP) stipulées en cas de cession de contrôle du franchiseur ? Le débat peut s’engager.

D’un côté, on peut penser que les pratiques n’évolueront pas. Le « risque PRC » peut, en effet, être seulement virtuel car aucun contentieux n’a été engagé contre le franchiseur. Dans ce cas, les audits réalisés avant l’acquisition par le repreneur et ses conseils permettront d’évaluer le risque. Autre possibilité : « risque PRC » est avéré car un contentieux aura été engagé. Le risque sera, cette fois, intégré dans la GAP mais rien n’exclut que la considération du risque se traduise par une négociation du prix de cession à la baisse.

D’un autre côté, l’arrêt Pizza Sprint pourrait modifier la pratique des GAP lors de la cession d’un réseau de franchise. On sait, par exemple, que le risque fiscal couvert par une GAP peut l’être durant la période pendant laquelle l’administration peut agir. Une logique identique pourrait être appliquée au « risque PRC » : une garantie égale à la fenêtre temporelle pendant laquelle le ministre peut agir contre le franchiseur.

L’arrêt Pizza Sprint a toutefois fortement agrandi cette fenêtre, peut-être même jusqu’à vingt ans après la conclusion des contrats de franchise (v. supra, §§ 6 s.).

L’avenir nous dira si les cédants acceptent de garantir le « risque PRC » pesant sur le franchiseur cédé pendant une période aussi longue ou si la négociation se déplacera de la GAP vers le prix de cession.

La publication de la décision

25. L’arrêt se prononce, enfin, sur la publication de la décision ordonnée par la cour d’appel dans les journaux Le Mondele FigaroLes Échos et Ouest France. Le pourvoi avançait qu’une telle publication, notamment dans le quotidien Ouest France, n’aurait pas dû être opérée car celle-ci n’était sollicitée ni par les demandeurs, ni par les défendeurs. L’argument est sèchement rejeté. La loi impose, hier comme aujourd’hui (C. com., art. L. 442-4, II ; anc. art. L. 442-6, III), une publication systématique d’une décision reconnaissant l’existence de pratiques restrictives de concurrence. Aucune demande n’a donc à être formée.

 

Com. 28 févr. 2024, FS-B, n° 22-10.314

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