La fraude, nouvelle limite à la régularisation des autorisations d’urbanisme
Le juge ne peut pas faire application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme lorsque l’autorisation d’urbanisme dont il est saisi a été obtenue par fraude.
Saisi d’un pourvoi par la commune de Saint-Raphaël, le Conseil d’État valide le raisonnement du Tribunal administratif de Toulon en considérant que le juge n’a pas à faire jouer les dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme visant à régulariser une autorisation d’urbanisme ou à l’annuler partiellement, quand il s’avère que l’autorisation en cause a été obtenue par fraude.
Si cette réponse à une question souvent posée ne faisait guère de doute, elle dessine néanmoins à bon escient toujours plus précisément le champ des dispositions en cause.
Une qualification classique de la fraude
En droit administratif, la fraude est le fait pour un administré de contourner la loi ou de la détourner de son esprit par un artifice visant à tromper l’administration et obtenir d’elle une autorisation.
Sa caractérisation suppose la réunion d’un élément matériel correspondant aux faits qui ont trompé l’administration dans sa prise de décision, et un élément moral caractérisé par la conscience pour l’administré de tromper l’administration.
En l’occurrence, le Conseil d’État relève que l’auteur de la demande de permis de construire avait qualifié de construction existante un bâtiment qui se trouvait, en réalité, en ruine. Il estime que cet administré « ne pouvait ignorer cet état de fait » et qu’il a « sciemment induit la commune en erreur en présentant cet appentis comme un bâtiment existant sur les plans joints à sa demande, ainsi qu’en omettant de joindre au reportage photographique qu’il avait annexé à cette demande une photographie de la façade ». De la sorte, les deux éléments sont réunis et le Conseil d’État qualifie logiquement ces faits de fraude.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante en la matière où le fait de communiquer des informations inexactes ou mensongères afin d’obtenir un permis de construire est constitutif d’une fraude (CEDH 9 juin 1998, n° 26586/95, AJDA 1998. 984. Chron. J.-F. Flauss
; 17 mars 1976, Todeschini, n° 99289, Lebon
; 10 oct. 1990, Époux Alarcon, n° 86379, Lebon
; RDI 1991. 198. Chron. Y. Gaudemet, H. Savoie et L. Touvet
).
Le fraudeur n’est titulaire d’aucun droit
Comme l’a consacré l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration, la sanction d’un acte obtenu par fraude est la possibilité laissée à l’auteur de l’acte de le retirer à tout moment. Saisi par un tiers d’une demande de retrait au prétexte d’une fraude, l’administration n’aura pas l’obligation mais seulement la faculté de faire droit à cette demande. L’administration devra mettre en balance les différents intérêts en jeu et le juge ne fera que contrôler l’erreur manifeste d’appréciation du retrait ou non de l’acte obtenu par fraude (CE 5 févr. 2018, Cora, n° 407149, Lebon
; AJDA 2018. 245
; ibid. 700
, note R. Noguellou
; AJCT 2018. 326, obs. M. Bahouala
).
L’absence de condition de délai s’explique par le principe communément admis et transcrit en langage civiliste par l’adage Fraus omnia corrumpit. Cela implique que la fraude annihile le caractère créateur de droit de l’acte au profit du bénéficiaire qui a frauduleusement manœuvré (CE 20 janv. 1967, SCI des 4, 6, 8, rue Léo Delibes à Sceaux, n° 65492, Lebon
; 17 mars 1976, Todeschini, n° 99289, Lebon
).
Par ailleurs, comme le rappelle le rapporteur public Laurent Domingo dans ses conclusions sur la présente affaire, « le juge judiciaire estime même que le permis obtenu par fraude équivaut à son absence et soumet son bénéficiaire à l’application des dispositions du code de l’urbanisme qui répriment les constructions sans permis ».
Logiquement et pour des raisons de moralité, le Conseil d’État ne laisse donc pas la possibilité de régulariser une autorisation d’urbanisme obtenue par fraude.
L’impossibilité de régulariser la fraude : une limite à l’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme
Les articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme permettent soit aux bénéficiaires d’un permis de construire illégal de régulariser leur situation dans un certain délai soit au juge d’annuler partiellement l’acte. Il s’agit même pour le juge d’une obligation lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens et qu’il constate que le vice est régularisable, depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
Dans ses conclusions sous l’avis Barrieu (CE 2 oct. 2020, n° 438318, Dalloz actualité, 7 oct. 2020, obs. J.-M. Pastor ; Lebon
; AJDA 2020. 1879
; ibid. 2016
, chron. C. Malverti et C. Beaufils
; RDI 2021. 51, obs. M. Revert
; AJCT 2021. 51, obs. H. Bouillon
; RFDA 2021. 146, concl. O. Fuchs
), le rapporteur public Olivier Fushs cite Michel Richard pour exprimer l’opinion convergente de la doctrine au sujet de l’utilisation du dispositif qui est qualifié « d’armes de régularisation massive » et il est vrai que le Conseil d’État en a fait une interprétation toujours plus extensive.
En 2022, le Conseil d’État avait admis qu’il était possible de tenir compte des mesures de régularisation intervenues même postérieurement à l’expiration du délai accordé par le juge (CE 16 févr. 2022, Ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 420554, Dalloz actualité, 3 mars 2022, obs. A. de Dieuleveult et J. des Brosses ; Lebon avec les concl.
; AJDA 2022. 375
; RDI 2022. 237, obs. P. Soler-Couteaux
; ibid. 240, obs. P. Soler-Couteaux
; AJCT 2022. 342, obs. E. Mascré
). En 2021, le juge a également limité le délai dans lequel les mesures de régularisation pouvaient être contestées (CE 5 févr. 2021, n° 430990, Lebon
; AJDA 2021. 303
; RDI 2021. 240, obs. P. Soler-Couteaux
).
Dans ses conclusions précitées, Olivier Fushs énonce néanmoins qu’il n’a pas de doute « sur le fait qu’a minima, la limite selon laquelle le vice doit être régularisable tient toujours ». À cet égard, il prend l’exemple d’une régularisation qui serait impossible en raison d’un terrain inconstructible ou alors « s’il est su avec certitude qu’elle ne pourra respecter les dispositions d’urbanisme applicable ».
Même cet exemple tiré d’un arrêt du Conseil d’État du 3 avril 2020 (Ville de Paris, n° 422802, Lebon
; AJDA 2020. 1520
; RDI 2020. 330, obs. P. Soler-Couteaux
) est aujourd’hui considéré avec souplesse. En effet, l’arrêt Commune de Nouméa rendu le 11 mars 2024 précise que le juge, avant de décider de sursoir à statuer ou non, n’a pas à vérifier si le projet est irréalisable au regard des contraintes urbanistiques. Dans la mesure où la régularisation peut impliquer que l’économie générale du projet soit revue, seule une modification de la nature du projet peut empêcher une régularisation et si effectivement (CE 11 mars 2024, n° 463413, AJDA 2024. 529
).
De la sorte, en affirmant brièvement que « le juge ne peut faire application de ces dispositions lorsque l’autorisation d’urbanisme dont il a été saisi a été obtenue par fraude », le Conseil d’État consacre une des rares limites aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1.
Cette solution se situe dans le prolongement logique de celles déjà esquissées par les juges du fond et que le rapporteur public Laurent Domingo a, en partie, rappelées dans ses conclusions (CAA Lyon, 12 oct. 2021, n° 20LY03430 ; Nancy, 27 déc. 2023, n° 20NC1144 ; TA Grenoble, 21 mars 2023, n° 2204085). La fraude, c’est également une limite à la régularisation qui avait été avancée par le rapporteur public Olivier Fuchs dans ses conclusions sous l’avis Barrieu précité ; il ne manquait plus au Conseil d’État de le juger. C’est chose faite.
© Lefebvre Dalloz