La limitation de l’effet dévolutif de l’appel en matière criminelle aux seules peines prononcées doit être explicite

En l’absence d’indication expresse dans l’acte d’appel, l’appel incident, formé « à l’encontre des dispositions pénales de l’arrêt rendu » et renvoyant aux peines auxquelles l’accusé a été condamné, oblige la cour d’assises d’appel à se prononcer tant sur la décision de culpabilité que sur la peine, même lorsque l’appel principal est quant à lui limité aux peines.

Contexte de l’affaire

Condamné devant la cour criminelle pour viols aggravés, le requérant a relevé appel principal de cette décision, limitant son appel aux peines prononcées (conformément à ce que permet l’art. 380-2-1 A c. pr. pén.).

Le ministère public a par la suite formé appel incident à l’encontre « des dispositions pénales de l’arrêt » rendu par la cour criminelle ayant condamné le requérant à une peine de réclusion criminelle, à une mesure de suivi socio-judiciaire, une injonction de soin, une interdiction définitive du territoire français, une confiscation des scellés et une inscription au Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS).

En appel, la cour d’assises a estimé ne pas avoir à se prononcer sur la culpabilité de l’accusé, mais être seulement saisie des peines prononcées par la cour criminelle départementale. Dès lors, le requérant a déposé des conclusions d’incident sollicitant que la cour d’assises dise avoir commis une erreur de droit par violation de l’article 380-1 du code de procédure pénale, lequel prévoit que l’appel, en matière criminelle, « est porté devant une autre cour d’assises qui procède au réexamen de l’affaire ».

Voyant ses conclusions être rejetées par arrêt incident au motif que l’appel incident du ministère public était cantonné à la peine, le requérant s’est pourvu en cassation en arguant que l’énonciation, dans l’acte d’appel incident du ministère public formé « à l’encontre des dispositions pénales de l’arrêt rendu », de l’ensemble des peines auxquelles l’accusé a été condamné n’entraîne pas la limitation de l’effet dévolutif aux seules peines prononcées.

Ainsi, la Cour de cassation devait répondre à la question de savoir si, en l’absence d’indication expresse dans l’acte d’appel incident visant à limiter l’appel à la décision sur la peine, celui-ci doit être entendu comme portant tant sur la décision de culpabilité que sur la peine.

Répondant par la positive, la chambre criminelle a cassé et annulé l’arrêt d’appel.

L’interdiction de déduire la limitation de l’appel

En l’espèce, la cour d’assises a considéré que le ministère public n’a pas souhaité relever appel de la culpabilité dans la mesure où l’accusé a été déclaré coupable de l’ensemble des faits objets de l’accusation. De plus, elle a relevé que, dans son appel incident, ce dernier a expressément mentionné les peines auxquelles l’accusé a été condamné. La cour d’assises a alors considéré que le ministère public entendait limiter l’objet de son appel aux seules peines prononcées. Concrètement, il a été déduit de la formulation de l’appel incident que celui-ci devait nécessairement s’entendre comme un recours formé du seul chef des peines prononcées, puisqu’il est « d’usage, de permettre à la juridiction d’appel d’apprécier pleinement lesdites peines et leur quantum ».

Par conséquent, la Cour de cassation retient que la cour d’assises a méconnu l’article 380-2-1 A, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dès lors qu’il prévoit que l’appel formé par l’accusé ou le ministère public peut indiquer qu’il ne conteste pas les réponses données par la cour d’assises sur la culpabilité et qu’il est limité à la décision sur la peine.

Cette possibilité d’indiquer cette limite doit en réalité être lue comme une exigence d’indication expresse ne pouvant être contournée par une déduction des juges construite à partir de l’objet de l’appel. Pour retenir que l’appel était limité aux peines, l’acte devait mentionner explicitement que le ministère public ne contestait pas les réponses données par la cour d’assises sur la culpabilité, ou encore qu’il entendait limiter son appel à la décision sur la peine.

La protection de l’effet dévolutif de l’appel en matière criminelle

L’article 380-2-1 A du code de procédure pénale, créé par la loi du 23 mars 2019 (Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 63), permet effectivement de limiter l’appel en matière criminelle à la décision sur la peine sans contester les réponses données par la cour d’assises sur la culpabilité. Cette limitation implique de n’entendre devant la cour d’assises statuant en appel que les témoins et experts dont la déposition est nécessaire afin d’éclairer les assesseurs et les jurés sur les faits commis et la personnalité de l’accusé, sans que soient de nouveau entendues les personnes dont la déposition ne serait utile que pour établir sa culpabilité. Aussi, dans une telle hypothèse, lorsque la cour d’assises se retire pour délibérer, les dispositions relatives aux questions sur la culpabilité ne sont pas applicables.

Dans ces cas, l’intéressé ne peut, en vertu de l’objectif de bonne administration de la justice, revenir à l’ouverture des débats sur la portée de son appel puisque cela allongerait considérablement les délais de jugement, dès lors qu’il conviendrait de renvoyer l’affaire afin de pouvoir entendre les personnes dont la déposition serait utile pour établir la culpabilité (Crim. 23 oct. 2024, n° 24-80.331 F-B, Dalloz actualité, 22 nov. 2024, obs. M. Slimani ; AJ pénal 2024. 587 et les obs. ).

Ainsi, la possibilité offerte par l’article 380-2-1 A du code de procédure pénale vient limiter l’effet dévolutif de l’appel en matière criminelle qui implique originellement le réexamen de l’affaire dans son entier (C. pr. pén., art. 380-1, al. 2). En effet, lorsque la cour d’assises n’est pas saisie des infractions dont les accusés ont été déclarés coupables par une décision devenue entre-temps définitive, elle ne peut statuer à nouveau sur la culpabilité de ces derniers. Dans ces cas, la juridiction d’appel doit donc rejeter les conclusions d’incident lui demandant de se reprononcer sur la culpabilité de l’accusé.

Toutefois, en l’espèce, alors même que le requérant avait limité son appel sur les peines, le ministère public n’avait pas expressément indiqué qu’il entendait en faire de même. Or, la chambre criminelle exige que la limitation de l’appel soit explicite et interdit aux juridictions d’appel de déduire cette limitation de la formulation de l’acte. Dès lors, en l’absence de précision, l’appel incident obligeait la cour d’assises d’appel à se reprononcer tant sur la culpabilité que sur la peine.

Cette décision permet ainsi de protéger l’effet dévolutif originel de l’appel en matière criminelle en exigeant que les exceptions à cet effet soient explicitement formulées. Dès lors, la cour d’assises devait réexaminer l’affaire dans son ensemble conformément à l’article 380-1 du code de procédure pénale, dans la mesure où la première décision doit être considérée comme anéantie (AJ pénal 2009. 413, obs. G. Roussel ), sans toutefois se prononcer sur des infractions dont l’intéressé aurait été déclaré non coupable par une décision dont le bénéfice lui serait définitivement acquis (Crim. 4 mars 2015, n° 14-81.685 P, Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Gallois ; D. 2015. 1395, chron. G. Barbier, B. Laurent et G. Guého ; AJ pénal 2015. 434, obs. P. de Combles de Nayves ; 14 déc. 2016, n° 16-87.086 P).

 

Crim. 14 nov. 2024, F-B, n° 23-83.440

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