La loi anti-narco au pas de charge au Sénat
Mercredi, la commission des lois du Sénat a adopté une version remaniée de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Elle a notamment créé un Parquet national anticriminalité organisée (PNACO), le dossier « coffre » et réformé le régime des demandes de mise en liberté. Dalloz actualité fait le point sur le texte.
La proposition de loi portée par les sénateurs Étienne Blanc (LR), Muriel Jourda (LR) et Jérôme Durain (PS) bénéficie d’un fort consensus. Ce texte transpartisan est soutenu par les ministres de l’Intérieur et de la Justice. Les débats en séance au Sénat sont prévus dès mardi 28 janvier et le texte devrait être débattu à l’Assemblée le 17 mars.
Pourtant plusieurs dispositions suscitent pourtant une forte hostilité des avocats. Une des innovations principales est la création d’un dossier « coffre » pour protéger les techniques spéciales d’enquête les plus sensibles. La commission a réécrit le dispositif pour le sécuriser. La durée de l’autorisation accordée en matière de géolocalisation et d’accès à distance aux correspondances électroniques est également étendue. Cette autorisation pourra d’ailleurs être donnée après la pose de la balise.
Autre article très contesté du texte : la restriction du régime des nullités. Elles ne pourront être retenues que si elles ne découlent pas d’une « manœuvre ou d’une négligence de la personne mise en cause ». Par amendement, la commission a envisagé plusieurs ajouts : réduire à trois mois le délai pour déposer une requête en nullité au cours de l’instruction, rendre obligatoire la notification au juge d’instruction et imposer un délai minimal de cinq jours avant l’audience pour déposer des requêtes en nullité devant le tribunal correctionnel (sauf comparutions immédiates). Face à l’hostilité de certains sénateurs, notamment Francis Szpiner, l’amendement a été retiré mais il sera retravaillé d’ici là en séance.
La commission a en revanche musclé l’article 23 sur les demandes de mise en liberté. La plupart des délais pour statuer seront doublés et les pièces devront être produites par le prévenu cinq jours avant l’audience. Une demande de mise en liberté en appel sera irrecevable tant qu’il n’a pas été statué sur l’appel précédent. Les demandes de mise en liberté par voie postale seront impossibles tout comme la saisine directe de la chambre de l’instruction (quand le détenu provisoire n’a pas été entendu depuis plus de 4 mois). En revanche, les sénateurs n’ont pas retenu la disposition imposant le recours à un avocat du barreau local. En matière de délit de bande organisée, la durée du mandat de dépôt correctionnel initial passera de quatre à six mois.
La création du PNACO
Sur le PNACO, les sénateurs ont changé de fusil d’épaule. La Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) sera remplacée par ce nouveau parquet national, avec une spécialisation des magistrats du parquet comme du siège. Le PNACO sera compétent pour l’ensemble de la criminalité organisée (hors infractions relevant du PNF et du PNAT), avec un monopole pour certaines infractions criminelles. Le PNACO serait doté d’un pouvoir d’évocation renforcé et pourrait trancher les éventuels conflits de compétences entre Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et parquets locaux.
Pendant policier du PNACO, l’article 1er donne une reconnaissance législative à l’Office antistupéfiants (OFAST) pour lui donner une double tutelle des ministères de l’Intérieur et des Finances, avec une compétence exclusive sur les crimes liés au narcotrafic, ainsi qu’un pouvoir d’évocation sur l’ensemble des enquêtes.
Plusieurs changements de droit pénal
Comme annoncé, le statut des repentis est remanié par l’article 14. Un auteur de crimes pourra devenir « collaborateur de justice » et la perspective d’une réduction de peine sera sécurisée. Sur le modèle britannique, un amendement créé un système d’immunité de poursuites si les déclarations auraient un impact majeur. La décision du magistrat serait soumise à l’avis conforme de la Commission nationale de protection et de réinsertion.
En commission, les sénateurs ont créé une nouvelle infraction autonome d’appartenance à une organisation criminelle. Le fait « pour toute personne de concourir sciemment et de façon fréquente ou importante au fonctionnement d’une organisation criminelle, indépendamment de la préparation d’une infraction particulière » sera puni de trois ans d’emprisonnement. L’association de malfaiteurs sera aussi criminalisée dans certains cas.
Un amendement a créé une circonstance aggravante de commission en bande organisée pour la corruption privée et intègre la corruption au régime de la criminalité organisée.
L’article 13 prévoit que la composition spéciale des juridictions criminelles sera applicable à l’ensemble des crimes commis en bande organisée. La compétence universelle de la justice française en matière de narcotrafic est étendue par l’article 21, notamment pour faciliter les arraisonnements de la Marine nationale.
La garde à vue des mules pourra être prolongée en cas de difficulté liés à l’ingestion de drogue. L’article 11 crée également une peine complémentaire d’interdiction de vol, notamment sur certaines lignes aériennes qui relient les outre-mer à l’hexagone.
L’identité d’emprunt est généralisée pour les policiers et gendarmes affectés dans un service spécialisé en criminalité organisée et sera possible pour la technique du « coup d’achat ». Pour les enquêtes sous pseudonyme, les enquêteurs pourront modifier leur voix et leur visage grâce à l’IA. La notion d’« incitation à la commission d’une infraction » est précisée. Enfin, l’article 19 élargit le statut des indics, leur permettant de devenir des infiltrés.
Des pouvoirs renforcés pour l’administration
L’article 24 crée de nouveaux outils aux mains du préfet. Il pourra prononcer une interdiction de paraître sur les points de deals à l’encontre de toute personne, y compris mineur, à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle participe à des activités de trafic de stupéfiant. Il pourra aussi demander, en se substituant au bailleur, l’expulsion judiciaire des occupants d’un logement s’ils participent au deal à proximité. Un amendement à l’article 3 crée une procédure administrative de fermeture des commerces suspectés d’agir comme des « blanchisseuses ».
Le texte instaure une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée (art. 4) et un gel des avoirs des narcotrafiquants, qui pourra être judiciaire ou administratif. Les conditions d’échange d’informations entre les services de renseignement et le PNACO/JIRS sont assouplies (art. 6).
L’accès aux fichiers, notamment des greffiers de tribunaux de commerce, va être élargi et TRACFIN voit son droit de communication étendu, notamment aux conseillers en gestion d’affaires. La certification professionnelle de connaissances minimales des assujettis aux obligations TRACFIN sera précisée par décret.
Sénat, Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, 22 janv. 2025
© Lefebvre Dalloz