La loi séparatisme tape à côté
Deux sénatrices ont tiré un bilan de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Les résultats en matière de contrôle des collectivités, des associations et des cultes sont mitigés. Plusieurs dispositifs ont bousculé des pratiques qui ne posaient pas de problème, sans apporter de réponse pour celles qui en posaient. Tout reste donc à faire.
Le rapport
La loi confortant le respect des principes de la République était riche, avec des axes très disparates. Pour leur mission d’information, les sénatrices Jacqueline Eustache-Brinio (LR) et Dominique Vérien (Union centriste) se sont concentrées sur les articles de la loi traitant des collectivités, des associations et des cultes.
Promu par loi, le réseau des référents laïcité se construit progressivement : au niveau étatique 17 000 ont été nommés, dont 14 000 au ministère de l’Éducation nationale. Mais l’appropriation est plus laborieuse concernant les collectivités locales.
La loi a créé un « déféré laïcité » dans les mains des préfets pour contester l’acte d’une collectivité locale jugé contraire à la laïcité. Il a connu très peu d’usage. Mis en œuvre avec succès à Grenoble contre l’arrêté Burkini, les sénatrices rapportent que le préfet de la Seine-Saint-Denis a perdu concernant un déféré pour s’opposer à la cession d’un terrain communal à une association cultuelle à un prix jugé trop faible.
La loi de 2021 avait innové en créant un délit de séparatisme, visant à faciliter le travail des agents en cas de pression des usagers. Mais l’outil est très peu utilisé et « largement théorique ». La Direction générale de l’administration et de la fonction publique a notamment attribué cet échec à la rédaction jugée trop restrictive du dispositif. Les sénatrices appellent à revoir l’écriture du délit.
Peu d’application du contrat d’engagement républicain
Le contrat d’engagement républicain est un dispositif phare de la loi séparatisme. Il permet aux préfets de retirer une subvention en cas de non-respect par l’association des éléments de ce contrat. Mais, pour les sénatrices, la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain « demande d’abord une forte volonté politique » et son application est aujourd’hui largement dépendante du volontarisme du préfet. Alors que près de 60 % des associations perçoivent des subventions publiques, seuls quatre cas de refus ou de retrait de subventions ont été portés à la connaissance des rapporteures. « L’analyse du profil des associations s’étant vues refuser une subvention révèle une faible efficacité dans le champ de la lutte contre le séparatisme ». Il s’agit en effet davantage d’associations « militantes » que « séparatistes », ces dernières recevant rarement des subventions.
La loi avait également élargi les critères de dissolutions administratives des associations. Ces modifications ont accompagné l’augmentation des dissolutions décidées par le ministère de l’Intérieur depuis une dizaine d’année. Pour les sénatrices, le dispositif gagnerait à être complété. Elles proposent que la loi consacre la jurisprudence Soulèvements de la terre, qui définit la « provocation » justifiant une dissolution. Elles proposent également l’instauration d’une procédure ad hoc de dévolution des biens des associations ayant fait l’objet d’une dissolution.
Dans le champ associatif, le bilan de la loi est donc « maigre », la loi ayant même dégradé les relations avec le secteur associatif. Pour les sénatrices, « les nouvelles obligations pèsent finalement quasi-exclusivement sur des structures irréprochables sur le plan des principes de la République ». Les acteurs du monde associatif ont « unanimement fait part d’un malaise face à une législation perçue, à tort mais de façon compréhensible, comme un signe de défiance à leur encontre ».
Les lourdeurs du nouveau régime des cultes
La loi visait à pousser les associations cultuelles à adopter le statut de loi de 1905, tout en renforçant leur contrôle. Là aussi, « la nouvelle procédure de déclaration préalable a essentiellement conforté le sentiment de défiance des cultes, cette impression étant même partagée désormais par ceux qui étaient les plus engagés dans l’élaboration de la loi ».
Les préfectures ont géré les dossiers de façon très disparates, certaines allant jusqu’à faire convoquer les ministres des cultes par la police. Certaines nouvelles obligations sont très contraignantes et la charge administrative s’est révélée « particulièrement pesante ». Tant la Fédération protestante de France que le Grand rabbin ont fait part de difficultés techniques et juridiques persistantes.
Le bilan est toutefois plus positif concernant l’obligation de déclaration des financements étrangers. Tracfin a noté une nette diminution de ces flux de financements (- 30 %). La fermeture temporaire des lieux de culte, permise par la loi SILT puis la loi séparatisme, a déjà fonctionné à dix-huit reprises.
© Lefebvre Dalloz