La nature de la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal de l’article L. 211-13 du code des assurances

La Cour de cassation estime que la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal prévu à l’article L. 211-13 du code des assurances a la nature d’intérêts moratoires et ne constitue pas une créance indemnitaire. Dès lors, en application de cette sanction à l’assureur placé en liquidation judiciaire, le cours des intérêts majorés cesse au jour de l’ouverture de la procédure collective en vertu de l’article L. 622-28 du code de commerce.

Les différentes branches du droit sont loin d’être imperméables les unes avec les autres. La présente décision, rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 25 janvier 2024, en est une illustration concernant l’enchevêtrement des règles du droit des assurances et celles du droit des entreprises en difficultés s’agissant de la question de la nature de la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal prévue par l’article L. 211-13 du code des assurances et de ses effets sur l’application de l’article L. 622-28 du code de commerce.

La sanction du doublement du taux de l’intérêt légal

En l’espèce, une personne est victime, le 15 octobre 2011, d’un accident de la circulation impliquant un cyclomoteur appartenant à la société Sushi shop assuré auprès de la société Mutuelle des transports assurances (la société MTA).

Il faut savoir qu’en matière d’assurance des véhicules terrestres à moteur, le législateur a prévu une procédure stricte s’imposant à l’assureur de responsabilité civile du véhicule impliqué à l’article L. 211-9 du code des assurances. Ce texte prévoit, à l’alinéa 2, que l’assureur doit proposer une offre d’indemnisation à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l’accident. L’alinéa 3 précise que, si l’assureur n’a pas été informé de la consolidation de la victime dans les trois mois de l’accident, l’offre (requise dans les 8 mois de l’accident) peut avoir un caractère provisionnel. En ce cas, l’offre définitive doit intervenir dans les cinq mois de la date à laquelle l’assureur est informé de la consolidation de la victime. Dans notre affaire, l’assureur a justement manqué à cette obligation car aucune offre d’indemnisation n’a été adressée à la victime dans les délais légaux, et car les offres présentées tardivement étaient incomplètes (pt 10)

Lorsque l’offre n’a pas été faite dans les délais impartis, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur (en cas d’offre tardive) ou bien allouée par le juge (en cas d’absence de toute offre par l’assureur) à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux légal à compter de l’expiration du délai (de 8 mois après l’accident) et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif (C. assur., art. L. 211-13). Cette règle a vocation à s’appliquer toutes les fois où l’assureur n’a pas formulé d’offre d’indemnisation, peu importe qu’elle soit provisionnelle (lorsque l’assureur n’a pas été informé de la consolidation de la victime dans les 3 mois de l’accident) ou définitive (Crim. 24 janv. 1996, n° 94-85.550). L’offre tardive de l’assureur entre également dans le champ d’application de la disposition (par ex., Civ. 2e, 22 mai 2013, n° 15-24.524, qui prévoit que le terme des intérêts de retard retenu est la date de présentation de l’offre tardive mais suffisante). Précisons qu’une offre jugée manifestement insuffisante ou incomplète doit être assimilée à une absence d’offre et entraîne ainsi l’application de la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal (Civ. 2e, 9 déc. 2009, n° 09-72.393, Dalloz actualité, 6 janv. 2011, obs. T. de Ravel d’Esclapon). Tel était le cas en l’espèce, les offres tardives adressées par l’assureur étant incomplètes (pt 10).

La particularité de l’affaire commentée tient cependant au fait que la société d’assurance a été placée en liquidation judiciaire le 1er décembre 2016, à la suite d’une décision de retrait de ses agréments prise le 23 août 2016 par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et publiée au Journal officiel le 1er septembre 2016. La victime assigne alors en indemnisation de ses préjudices la société Sushi shop et son assureur MTA, représenté par son liquidateur judiciaire, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie, de la mutuelle MGEN et du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages.

La contestation par la victime de la qualification d’intérêts moratoires de la sanction

La Cour d’appel de Paris, saisie de l’affaire, se prononce le 17 février 2022. Cette dernière retient que l’assureur n’a formé aucune offre dans les délais légaux et que les offres présentées tardivement à la victime étaient incomplètes (pt 10). Dans ce cas, l’assureur encourt, à compter du 15 juin 2012 (soit à compter de l’expiration du délai légal de 8 mois après l’accident) la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal sur le montant des indemnités allouées avant déduction des provisions versées et imputation de la créance des tiers payeurs.

En principe, selon l’article L. 211-13 du code des assurances, cette pénalité court jusqu’au jugement devenu définitif, soit ici le 12 novembre 2019. Pourtant, la cour d’appel retient qu’en raison de la liquidation judiciaire de l’assureur ouverte au 1er décembre 2016, la sanction n’est encourue que jusqu’à cette date à compter de laquelle le cours des intérêts majorés a été arrêté.

Seul le quatrième moyen du pourvoi, formé par la victime, pris en sa deuxième branche présentait un intérêt (pt 4). Cette dernière estime que la cour d’appel a méconnu les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances ainsi que l’article L. 622-28 du code de commerce. À ses yeux, la sanction du doublement de l’intérêt au taux légal prévue par le code des assurances constitue une créance indemnitaire et non une rémunération sur créance au sens de l’article L. 622-28 du code de commerce. L’ouverture de la procédure collective de l’assureur serait donc sans effet et la pénalité aurait dû courir jusqu’au 12 novembre 2019 (date du jugement devenu définitif).

La confirmation de la nature d’intérêts moratoires par la Cour de cassation

La Cour de cassation a dû répondre à la question portant sur la nature de la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal de l’article L. 211-13 du code des assurances. Est-ce une créance indemnitaire, comme le défend le pourvoi, ou bien cela s’agit-il d’intérêts moratoires, comme retenu par la cour d’appel ?

À travers une réponse pédagogique, la Cour de cassation prend le temps de motiver sa réponse. Tout d’abord, elle explique que dans le cas d’une liquidation judiciaire d’une entreprise d’assurances ouverte en raison de la décision de retrait total de son agrément par l’ACPR, la situation est régie par les articles L. 622-1 à L. 622-34 du code de commerce, sous réserve des dispositions spéciales relatives à la liquidation des entreprises d’assurances du code des assurances (pt 6). Elle précise qu’aucune de ces dispositions spéciales ne déroge à la règle prévue à l’article L. 622-28 du code de commerce, règle d’ordre public, prévoyant l’arrêt du cours des intérêts qui s’applique, sauf exceptions prévues par la loi, à tous les intérêts de retard et majorations (pt 7).

Or, selon la Cour de cassation, la sanction du doublement du taux de l’intérêt légal prévue à l’article L. 211-13 du code des assurances a la nature d’intérêts moratoires et ne constitue pas une créance indemnitaire (pt 8). Dès lors, en cas d’application de cette sanction à un assureur placé en liquidation judiciaire, en vertu de l’article L. 622-28 du code de commerce, le cours des intérêts majorés cesse au jour de l’ouverture de la procédure collective. Ainsi, elle confirme la position de la cour d’appel et rejette le pourvoi formé par la victime estimant que le moyen n’est pas fondé. En conséquence, la sanction s’applique bien pour la période comprise entre le 15 juin 2012 (jour où l’offre aurait dû être faite, soit 8 mois après la date de l’accident) et le 1er décembre 2016 (jour de l’ouverture de la procédure collective) (pt 11).

Les enjeux de la solution retenue

L’intérêt de la qualification porte sur l’application ou non de l’article L. 622-28 du code du commerce. En effet, dans le cas où la nature de créance indemnitaire aurait été retenue, la sanction de l’article L. 211-13 du code des assurances n’aurait pas eu vocation à entrer dans son champ d’application. Or, cette disposition concerne les intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous les intérêts de retard et majorations.

Dans un tel cas, le cours des intérêts ne se serait pas arrêté au jour de l’ouverture de la procédure collective, c’est ce qui était recherchée par la victime dans son pourvoi.

La solution retenue reste logique. La sanction du doublement du taux de l’intérêt légal a vocation à sanctionner l’assureur qui a manqué de diligence en ne présentant pas une offre d’indemnisation à la victime à temps. Or, c’est tout à fait l’objet des intérêts moratoires destinés à sanctionner le retard dans l’exécution d’une obligation.

Ainsi, le régime applicable aux intérêts prévus à l’article L. 211-13 du code des assurances est le même que pour les intérêts moratoires (Rép. civ,  Responsabilité – Régime des accidents de la circulation, par P. Oudotmai, n° 342). Dans un arrêt rendu par la chambre criminelle (Crim. 2 mai 2012, n° 11-85.416, D. 2012. 1479 ), la Cour de cassation a d’ailleurs estimé que « les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances ne dérogent pas aux dispositions de l’article 1154 du code civil qui s’appliquent, de manière générale, aux intérêts moratoires ». Position qui a été rappelée en 2014 (Civ. 2e, 22 mai 2014, n° 13-14.698, Dalloz actualité, 3 juin 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 1201 ). C’est bien dire que la sanction du code des assurances a la nature d’intérêts moratoires.

Dans notre cas d’espèce, la Cour de cassation se prononce de manière plus nette. La qualification retenue permet ainsi à l’assureur, déjà dans une situation difficile, de souffler un peu en facilitant la procédure de liquidation en cours tout en n’alourdissant pas davantage sa dette.

 

Civ. 2e, 25 janv. 2024, FS-B, n° 22-15.299

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