La nouvelle situation de l’agent commercial ne doit pas être considérée pour calculer son indemnité de fin de contrat

Pour le calcul de l’indemnité de fin de contrat, il ne doit pas être tenu compte des circonstances postérieures affectant l’agent commercial, c’est-à-dire sa reconversion ou sa nouvelle situation. En l’espèce, il est jugé que l’engagement, presque immédiat, de l’agent avec un autre mandant exerçant dans le même domaine n’est pas de nature à diminuer le montant de l’indemnité.

1. La reconversion ou la nouvelle situation de l’agent commercial peut-elle diminuer son indemnité de fin de contrat ? Non. Voilà le message fort clair donné par la Cour de cassation dans l’arrêt Habilis, publié au Bulletin.

2. Les faits permettent de cerner la problématique et ses enjeux pratiques. Un agent commercial, intervenant en transactions immobilières, voit son contrat rompu par le mandant. L’agent sollicite le paiement de l’indemnité de fin de contrat (C. com., art. L. 134-12). Le mandant est condamné à payer cette indemnité. La problématique émerge en considération du montant octroyé et du motif avancé : seulement 10 000 € car l’agent commercial avait très rapidement retrouvé une mission avec un nouveau mandant intervenant, lui aussi, dans le domaine immobilier. Le pourvoi contestait cette modalité de calcul qui avait conduit, on le devine, à minorer le montant de l’indemnité.

3. La réponse entraînant la cassation est ferme « il n’y a […] pas lieu […] de tenir compte des circonstances postérieures à la cessation du contrat » (arrêt, § 5). Voilà pour le principe. La Cour enfonce le clou en contextualisant : ces « circonstances postérieures » peuvent être « la conclusion par l’agent d’un nouveau contrat en vue de prospecter la même clientèle pour un autre mandant » (arrêt, § 5).

Portée et conseils pratiques

4. La portée de la solution est générale. Les faits en témoignent. L’indemnité de fin de contrat ne peut être réduite même (i) lorsque l’agent poursuit immédiatement son activité, c’est-à-dire qu’il ne connait aucun arrêt, (ii) lorsque l’agent continue d’exercer dans le même domaine (en l’espèce, les transactions immobilières) avec un mandant concurrent direct de l’ancien et (iii) lorsque l’agent continue d’exerce sur le même territoire (ce dernier point n’est pas explicitement indiqué mais il se déduit de la référence à la « clientèle commune » qui demeure au même endroit).

Partant, la solution vaut également dans d’autres cas de figure. On songe notamment à la situation où l’agent commercial poursuit son activité, non en tant qu’agent, mais sous statut de salarié ou de VRP avec un concurrent du mandant initial. On songe encore à la situation où l’agent poursuit son activité, certes en tant qu’agent, mais dans un autre domaine d’activité, différent de celui du mandant initial.

Toutes ces situations ne sont pas de nature à diminuer le montant de l’indemnité qui doit être octroyée à l’agent commercial.

5. La solution est évidemment favorable aux agents commerciaux. Intéressons-nous davantage aux mandants. Ces derniers sont tenus de payer et même de payer le prix fort car ils se voient privés d’un argument qui aurait permis de minorer le montant de l’indemnité. Plus encore : les mandants paient et – insistons sur l’aspect cumulatif – subissent la concurrence de leur ancien agent.

Une clause de non-concurrence permet de rééquilibrer quelque peu cette situation. Cette clause est légalement encadrée. Elle doit être limitée au territoire d’exercice de l’agent (ou à la clientèle visée), concerner l’activité exercée et ne peut excéder deux années (C. com., art. L. 134-14 ; v. sur l’ensemble, Y. Heyraud, Les agents commerciaux, Lexbase, coll. « Ouvrages », 2023, spéc. § 12-5). Étant rappelé que la clause de non-concurrence n’a pas à être rémunérée (Com. 4 déc. 2007, n° 06-15.137, Dalloz actualité, 14 déc. 2007, obs. E. Chevrier ; D. 2008. 2193, obs. D. Ferrier ; RTD com. 2008. 615, obs. B. Bouloc ; CCC 2008. Comm. 38, obs. N. Mathey), les mandants ont tout intérêt à la stipuler. Contraints de payer l’intégralité de l’indemnité de fin de contrat, qui ne sera pas réduite malgré la reconversion de l’agent, les mandants doivent être vigilants. Quitte à payer, autant se protéger !

Fondements de la solution

6. Ces considérations pratiques évacuées, l’orientation de l’arrêt n’est pas aisée à justifier. Repartons du début. Le Code de commerce se contente d’évoquer « une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi » (C. com., art. L. 134-12, al. 1er). La Cour de cassation est plus précise : « la cessation du contrat d’agence commerciale donne droit à réparation du préjudice résultant, pour l’agent commercial, de la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation de la clientèle commune. Il n’y a donc pas lieu, aux fins d’évaluer ce préjudice, de tenir compte des circonstances postérieures à la cessation du contrat telles que la conclusion par l’agent d’un nouveau contrat en vue de prospecter la même clientèle pour un autre mandant. » (arrêt, § 5 ; pour une formule similaire, Com. 16 nov. 2022, n° 21-10.126, § 9, Dalloz actualité, 5 déc. 2022, obs. Y. Heyraud ; D. 2022. 2037 ; ibid. 2023. 705, obs. N. Ferrier ; JCP E 2023. 1044, note N. Dissaux ; CCC 2023. Comm. 6, obs. N. Mathey).

Cette logique d’indemnisation est originale. Il ne s’agit pas d’indemniser le passé. La Cour se réfère en effet à la perte « pour l’avenir » des revenus (arrêt, § 5). L’avenir envisagé demeure particulier. Il faut comprendre la perte des revenus si l’agent était demeuré lié à son mandant (en ce sens, N. Ferrier, préc.). Le conditionnel serait donc plus à-propos. Mais cette logique n’explique pas pourquoi la nouvelle situation de l’agent commercial doit être écartée du calcul de l’indemnité.

7. L’explication pourrait être économique. L’agent développe une clientèle qui n’est pas la sienne. Il développe la clientèle du mandant (sous cet angle, la référence à « l’exploitation de la clientèle commune » est discutable ; arrêt, § 5). Plus encore : l’agent renforce l’image ou la réputation du mandant. Or, après la fin du contrat, le mandant continue de profiter de cet investissement. Le point essentiel est que l’agent ne perçoit aucune contrepartie pour le développement de l’image du mandant. Quitte à grossir le trait, peut-être exagérément, l’agent s’est appauvri. Des commissions peuvent certes lui être dues pour une opération conclue après le contrat mais ce paiement se justifie car « l’opération est principalement due à son activité au cours du contrat d’agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat » (C. com., art. L. 134-7). Refuser de soustraire de l’indemnité de fin de contrat les « circonstances postérieures » (arrêt, § 5) viserait donc à compenser, en quelque sorte à plus long terme, l’investissement de l’agent commercial quant au développement de l’image du mandant. Dit autrement : la reconversion ou la nouvelle situation de l’agent est une relation nouée avec un tiers ; l’agent est certes rémunéré pour cette nouvelle relation mais cette rémunération ne corrige pas l’investissement antérieurement réalisé au profit l’ancien mandant.

8. Une comparaison peut être effectuée avec un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne. Dans cette affaire où une chaîne d’agence commerciale était à l’œuvre, il a admis été admis que l’indemnité de fin de contrat du sous-agent, dont l’agent intermédiaire est débiteur, pouvait être écartée ou réduite car ce sous-agent avait directement continué ses relations avec le mandant initial (CJUE 13 oct. 2022, aff. C-593/21, Dalloz actualité, 20 oct. 2022, note Y. Heyraud ; D. 2022. 1854 ; ibid. 2023. 705, obs. N. Ferrier ). Comme il a été relevé (N. Ferrier, préc.), cette affaire n’est pas inconciliable avec l’arrêt commenté car celle-ci concerne le droit belge qui n’a pas opté, conformément à l’option ouverte (Dir. 86/653/CEE du 18 déc. 1986, art. 17), pour le même système d’indemnisation de l’agent commercial que le droit français. De plus, la situation n’est pas exactement la même. Dans l’affaire soumise à la Cour de justice, le sous-agent continuait d’exploiter la même clientèle avec le même mandant, c’est-à-dire la clientèle commune. Dans l’arrêt commenté, la même clientèle était exploitée mais elle n’était plus commune car la relation entre le mandant initial et l’agent avait cessé. L’agent devait donc déployer de nouveaux efforts pour convaincre cette clientèle de s’engager avec le nouveau mandant, ce que le sous-agent n’a pas eu à faire.

 

France Assureurs, Cartographie prospective des risques de l’assurance 2025

© Lefebvre Dalloz