La perte automatique du droit de visite en cas de retrait total de l’autorité parentale
Le retrait total de l’autorité parentale entraîne, pour le parent concerné, la perte automatique de son droit de visite, attribut « se rattachant à l’autorité parentale » au sens de l’article 379 du code civil. Le parent ne peut espérer contrer cette perte automatique par le truchement de l’article 371-4, alinéa 1er, du même code, puisque les « ascendants », au sens de ce texte, n’englobent pas les parents.
L’importance de l’arrêt annoté ne doit pas être sous-estimée parce que le pourvoi soulevait deux questions sur lesquelles la Cour de cassation ne s’était encore jamais prononcée. Faisant d’une pierre deux coups, la première chambre civile clarifie, à travers ce bel arrêt, l’application de deux textes en lien avec le droit de visite d’un parent dont l’autorité parentale aurait été retirée.
Était effectivement en cause, en l’espèce, le droit de visite d’un père dont l’autorité parentale a été retirée en totalité par une juridiction pénale, sur le fondement de l’article 378 du code civil, en raison de sa condamnation pour violences volontaires et harcèlement sur la mère de sa fille. Afin de maintenir des liens avec son enfant, malgré le retrait total de son autorité parentale, il a demandé l’octroi d’un droit de visite. Sa demande ayant été rejetée en appel (Metz, 2 août 2023, n° 21/01338), il forme un pourvoi en cassation composé de deux arguments. Le pourvoi défend, d’abord, que le retrait total de l’autorité parentale n’entraîne pas la perte automatique, ou de plein droit, du droit de visite du parent concerné, lequel pourrait être accordé selon ce que commanderait l’intérêt de l’enfant. Autrement dit, le droit de visite ne serait pas un attribut se rattachant à l’autorité parentale, au sens de l’article 379 du code civil, subsisterait au retrait de l’autorité parentale, et son exercice dépendrait de l’intérêt de l’enfant, apprécié en fonction des circonstances d’espèce. Le pourvoi défend, ensuite, qu’un droit de visite pourrait tout aussi bien être octroyé au parent déchu de son autorité parentale sur le fondement de l’article 371-4 du code civil, selon lequel l’enfant a droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Autrement dit, la notion d’« ascendants » inclurait les parents et permettrait au parent de conserver des liens avec l’enfant, notamment à travers un droit de visite, au titre de l’exercice du droit de l’enfant d’avoir des liens avec ses ascendants.
Dès lors, concrètement, deux questions étaient soulevées par le pourvoi devant la Cour de cassation. Premièrement, le retrait total de l’autorité parentale entraîne-t-il, de manière automatique ou de plein droit, la perte du droit de visite pour le parent concerné, au sens de l’article 379 du code civil ? Deuxièmement, les « ascendants », au sens de l’article 371-4 du code civil, englobent-ils les parents, dont celui qui aurait vu son autorité parentale être retirée ? La Cour y répond successivement, faisant œuvre de clarification tant des effets du retrait total de l’autorité parentale sur le droit de visite que du champ d’application personnel de l’article 371-4 du code civil.
Les effets du retrait total de l’autorité parentale sur le droit de visite
L’article 379 du code civil est en effet silencieux sur le sort à réserver au droit de visite du parent dont une juridiction pénale ou civile aurait ordonné le retrait total de son autorité parentale. L’alinéa premier de ce texte se contente de mentionner que le retrait total de l’autorité parentale « porte de plein droit sur tous les attributs, tant patrimoniaux que personnels, se rattachant à l’autorité parentale ». La généralité du texte tranche avec d’autres dispositions dans lesquelles le législateur a expressément réglé la destinée du droit de visite. Ainsi en va-t-il, par exemple, du retrait du seul exercice de l’autorité parentale qui ne fait obstacle à l’octroi un droit de visite et d’hébergement en faveur du parent concerné, sauf motifs graves (C. civ., art. 373-2-1, al. 2). Ainsi en va-t-il aussi, de l’aménagement du droit de visite et d’hébergement lorsqu’il n’est pas incompatible avec la mesure d’assistance éducative mise en place (C. civ., art. 375-7) ; ou encore de la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent « poursuivi par le ministère public ou mis en examen par le juge d’instruction soit pour un crime commis sur la personne de l’autre parent, soit pour une agression sexuelle incestueuse ou pour un crime commis sur la personne de son enfant […] » (C. civ., art. 378-2). L’imprécision formelle de l’article 379 du code civil, exacerbée par le jeu de la comparaison avec d’autres articles du code civil, génère ainsi des incertitudes sur la portée du texte.
Du côté de la jurisprudence des juges du fond, la majorité des cours d’appel semble considérer que la perte de la titularité de l’autorité parentale emporte la perte consécutive de tout droit de visite (v. par ex., Caen, 12 déc. 2024, n° 23/02354 ; Bourges, 7 nov. 2024, n° 23/01068 ; Versailles, 10 oct. 2024, n° 24/02186 ; Nancy, 5 févr. 2018, n° 18/00319). Cependant, quelques arrêts, rattachant le droit de visite au lien de filiation, en déduisent qu’il survit au retrait de l’autorité parentale et que le parent peut maintenir des liens avec son enfant si ces liens sont conformes à l’intérêt de l’enfant (v. par ex., Colmar, 14 mars 2023, n° 21/04145). Du côté de la doctrine, quelques auteurs estiment que le droit de visite et d’hébergement prendrait sa source dans la filiation, ou découlerait d’un droit reconnu à tout parent d’avoir des relations personnelles avec son enfant. Partant, le retrait de l’autorité parentale n’interdirait pas, ipso facto, d’aménager un droit de visite en faveur du parent concerné. Le retrait de l’autorité parentale n’ayant aucune incidence sur le lien de filiation, l’octroi d’un droit de visite demeurerait possible, sous réserve de l’intérêt de l’enfant (v. not., Rép. civ., v° Autorité parentale, par A. Gouttenoire, n° 468 ; J.-Cl. Civ., v° Autorité parentale – Retrait, par C. Neirinck et C. Siffrein-Blanc, fasc. 40, n° 66 ; sur la source du droit de visite dans la parenté, v. plus spéc., D. Fenouillet, C. Goldie-Genicon et F. Terré, Droit civil. La famille, 9e éd., Dalloz, 2018, p. 1079, n° 982). Mais en vérité, la plupart des auteurs ne se prononcent pas expressément sur cette question, et l’on ne s’aventurera pas à interpréter leur silence dans un sens ou un autre. C’est dire à quel point l’intervention de la Cour de cassation était attendue.
La première chambre civile de la Cour de cassation décide de ne pas rattacher le droit de visite au lien de filiation mais à l’autorité parentale. Elle en déduit que le retrait total de l’autorité parentale doit entraîner, par voie de conséquence, la perte automatique de tout droit de visite. Elle avance deux motifs au soutien de sa décision, l’un fondé sur la lettre des textes et l’autre sur leur ratio legis. D’une part, les textes relatifs au retrait de l’autorité parentale n’ont pas prévu la possibilité d’aménager un droit de visite en faveur du parent concerné (arrêt, § 11). En somme, faute de texte, pas de droit de visite. D’autre part, les travaux parlementaires des récentes lois visant à renforcer la lutte contre les violences intrafamiliales (Loi n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et loi n° 2024-233 du 18 mars 2024, Dalloz actualité, 28 mars 2024, obs. T. Scherer ; visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales) font apparaître que le législateur a souhaité rompre toute relation entre l’enfant et le parent dont l’autorité parentale a été totalement retirée (arrêt, § 12). Cet argument convaincant est conforme à la nature de la décision de retrait de l’autorité parentale : si elle a pour effet de sanctionner le comportement du parent, elle a surtout vocation à être une mesure civile de protection de l’enfant. Les circonstances graves et exceptionnelles conditionnant le retrait total de l’autorité parentale sont alors de nature à justifier la rupture des liens entre le parent et son enfant afin d’assurer la protection de l’enfant contre les violences intrafamiliales.
Le pourvoi soulevait, à titre accessoire car là n’était pas le cœur de son argumentation, que la perte automatique du droit de visite en cas de retrait de l’autorité parentale puisse être incompatible avec les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de cassation balaye l’argument parce que si l’ingérence dans le droit du parent de maintenir des relations avec son enfant est indéniable, elle poursuit un but légitime (la protection de l’enfant) et est proportionnée en ce que le retrait de l’autorité parentale est une ultime mesure, spécialement motivée par les juges du fond, et qui peut faire l’objet d’une révision un an au plus tôt après que le jugement prononçant le retrait total ou partiel de l’autorité parentale soit devenu irrévocable (C. civ., art. 381 ; Arrêt, §§ 18 à 2). De quoi attribuer un brevet de conventionnalité aux effets à donner à l’article 379. Au surplus, une requête éventuelle adressée à la juridiction strasbourgeoise aurait assez peu de chance d’aboutir tant les circonstances exceptionnelles, en l’occurrence, justifient de rompre le lien familial dans l’intérêt de l’enfant (CEDH 6 juill. 2007, Neulinger et Shuruk c/ Suisse, n° 41615/07, spéc. § 136, Dalloz actualité, 13 sept. 2010, obs. I. Gallmeister ; D. 2010. 2062, obs. I. Gallmeister
; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke
; AJ fam. 2010. 482, prat. A. Boiché
; RTD civ. 2010. 735, obs. J.-P. Marguénaud
; RTD eur. 2010. 927, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard
; 10 sept. 2019, Strand Lobben et autres c/ Norvège, n° 37283/13, spéc. § 207, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen
; AJ fam. 2019. 526, obs. M. Saulier
; RTD civ. 2019. 814, obs. J.-P. Marguénaud
).
Le champ d’application personnel de l’article 371-4 du code civil
La seconde partie du pourvoi tentait habilement de contourner les effets de l’article 379 par le truchement de l’article 371-4. Ce deuxième texte garantit à l’enfant le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses « ascendants », et il est vrai que le texte n’exclut pas les parents. L’alinéa deuxième plaiderait même pour une intégration des parents dans le champ d’application personnelle du texte car il indique que « si tel est l’intérêt de l’enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non […] » (nous soulignons). Le parent déchu de son autorité parentale pourrait ainsi demander à faire renaître de ses cendres son droit de visite perdu à travers le respect du droit de son enfant d’entretenir des relations personnelles avec lui. Une partie de la doctrine serait de cet avis, ou du moins n’écarterait pas frontalement les parents du champ de l’article 371-4 (v. spéc., M. Saulier et J. Houssier, in Droit de la famille, F. Chénedé [dir.], Dalloz Action, 2023/2024, n° 234.141, p. 1088, « la question se pose de savoir si un droit de visite et d’hébergement peut être accordé au parent déchu. L’article 371-4 du code civil qui énonce un droit aux relations personnelles, qui peut prendre la forme d’un droit de visite et d’hébergement, pourrait recevoir ici application. S’appliquant aux tiers, parents ou non, il parait à même de bénéficier à un parent dont l’autorité parentale aurait été retirée »).
La Cour de cassation ne s’inscrit pas dans cette voie parce que le législateur n’a pas entendu faire entrer les parents dans le champ de cet article. Ne visant que les « grands-parents » lors de sa création en 1970 (Loi n° 70-459 du 4 juin 1970 sur l’autorité parentale), l’article 371-4 a été étendu aux « ascendants » en 2002 (Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale), codifiant à droit constant la jurisprudence antérieure qui acceptait l’application du texte aux arrière-grands-parents. Les travaux parlementaires issus de la loi du 4 mars 2002 ne révèlent pas une volonté du législateur d’inclure les parents dans les « ascendants ». Ils confirment le souhait d’étendre le texte à chacune des lignées de l’enfant, peu important que l’enfant ait fait l’objet d’une adoption ou non, ainsi qu’aux beaux-parents pour qu’ils puissent conserver des relations avec des enfants qu’ils ont pu élever (v. en ce sens, le rapport du député M. Dolez au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi [n° 3074] relative à l’autorité parentale, n° 3117, 13 juin 2001).
Il en résulte que l’inapplicabilité de l’article 371-4 aux père et mère, qui disposent en réalité d’un droit analogue fondu dans l’article 371-1, et donc rattaché à leur autorité parentale, brise toute tentative de sauvetage d’un droit de visite en cas de perte totale de l’autorité parentale. La solution est bienvenue parce que le contraire aurait pu conduire à instrumentaliser un droit de l’enfant pour minimiser la portée d’une mesure visant… la protection de l’enfant. En définitive, cet arrêt contribue au renforcement des dispositifs de lutte contre les violences intrafamiliales voulu par la loi dite « Santiago » du 18 mars 2024, laquelle opte, à travers les nouveaux textes, pour une mise à l’écart de parent au lieu de privilégier le maintien, par principe, du lien familial entre l’auteur et l’enfant. Il facilitera aussi le travail des magistrats qui n’auront plus à se prononcer sur le maintien résiduel des liens entre l’auteur des violences intrafamiliales et son enfant dès lors que le retrait total de l’autorité parentale est ordonné.
Civ. 1re, 1er oct. 2025, FS-B, n° 24-10.369
par Guillaume Millerioux, Maître de conférences en droit privé, Université Polytechnique Hauts-de-France
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