La politique publique de l’amiable : après les décrets, la circulaire (1re partie)

La circulaire du 17 octobre 2023 de mise en œuvre, dans les procédures judiciaires civiles, de la politique publique de l’amiable est accompagnée d’annexes, consistant en quatre « fiches », qui abordent respectivement l’audience de règlement amiable (ARA), la césure et l’article 750-1 du code de procédure civile, puis l’évaluation de la politique publique de l’amiable.

Le 17 octobre 2023, à l’occasion de la première conférence d’un cycle à la Cour d’appel de Paris sur l’amiable, le garde des Sceaux a annoncé la publication de la circulaire de mise en œuvre, dans les procédures judiciaires civiles, de la politique publique de l’amiable. La circulaire proprement dite1 rappelle en quatre courtes pages les raisons d’être de cette politique de l’amiable et quels sont les « leviers mobilisés » en sa faveur. Elle présente de manière synthétique, d’abord, les deux mécanismes institués par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023, portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire, à savoir l’audience de règlement amiable et la césure du procès, applicables devant le tribunal judiciaire à compter du 1er novembre 20232 ; puis, celui rétabli par le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile, applicables aux instances introduites depuis le 1er octobre 2023 – à savoir l’article 750-1 du code de procédure civile dans sa nouvelle version. Elle annonce enfin que la politique de l’amiable doit pouvoir être évaluée et qu’à cette fin des codes sont modifiés dans la nomenclature des décisions civiles.

La circulaire est accompagnée d’annexes, consistant en quatre « fiches », qui abordent respectivement l’ARA3, la césure4 et l’article 750-1 du du code de procédure civile5, puis l’évaluation de la politique publique de l’amiable6.

Elle est publiée au Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur et diffusée sur l’intranet de la Direction des affaires civiles et du sceau et de la Direction des services judiciaires.

Les trois premières fiches apportent des précisions, voire des éléments de réponse à des questions suscitées par les décrets de mai et de juillet 2023 ; la quatrième innove totalement pour l’évaluation de la politique de l’amiable.

À ce titre, et de manière générale, il est permis une nouvelle fois de s’interroger sur la légistique actuelle7. Non seulement la politique de petits pas incessants a remplacé la tradition des « Noëls du procédurier », réfléchis et plus rares, de sorte que « tous n’aspirent qu’à une pause, quelle que soit la qualité des textes en vigueur aujourd’hui »8, mais les petits pas eux-mêmes sont démultipliés : c’est ainsi que certains articles sont réécrits plusieurs fois – ainsi de l’article 750-1 du du code de procédure civile9 – et que les décrets ont souvent besoin d’être explicités par une circulaire. Or, la valeur de ces « modes d’emploi » – à l’instar des « FAQ » (foires aux questions) devenues habituelles – est problématique : la Cour de cassation rappelle en effet régulièrement que les circulaires sont dénuées de portée normative10.

Pourtant, elles ne se contentent pas de paraphraser les décrets, d’ailleurs assez succincts voire laconiques11, mais y ajoutent – voire y retranchent. Et si les destinataires sont prioritairement les magistrats et les greffiers, les avocats et donc les parties sont aussi concernés par ces réformes effectuées en partie officieusement.

Quels sont donc les apports de la circulaire et de ses quatre annexes ?

Fiche 1 : l’ARA

La circulaire elle-même et la fiche 1 donnent une définition de l’ARA, qui est moins précise que celle de l’article 774-2 du code de procédure civile, insistant surtout sur le « cadre confidentiel »12 de cet « îlot amiable en marge de la procédure contentieuse »13 et sur ce qui distingue principalement l’ARA des autres modes alternatifs de règlement des différends (MARD), à savoir « le rôle central du juge »14 : ce rôle actif du juge, alors que le tribunal judiciaire (TJ) est déjà saisi et non en préalable à la saisine du tribunal, nous semble le point le plus positif de ce nouvel outil15.

La fiche 1 détaille le champ d’application, l’orientation en ARA, le déroulement de l’ARA, l’issue de l’ARA et la fin d’instance. Ces points sont abordés par les articles 774-1 à 4 et quelques autres dispositions au sein du code de procédure civile (art. 369, …).

Champ d’application

L’article 774-1 du code de procédure civile évoque un juge (du TJ) – « saisi d’un litige » – sans autre précision, qui peut décider du recours à une ARA. La notice du décret évoque, elle, « le président de l’audience d’orientation, le juge de la mise en état, le juge du fond ou le juge des référés »16.

De son côté, la circulaire circonscrit le champ d’application :

  • d’une part, aux affaires relevant de la procédure écrite ordinaire. Pourtant, la procédure orale ordinaire n’est pas exclue par le décret. Il est vrai que l’ARA viendrait doubler la phase de conciliation judiciaire – elle-même suivant une phase de MARD préalable imposée par l’article 750-1 du code de procédure civile17 : la circulaire prend sans doute acte de ce que « MARD sur MARD ne vaut », mais retranche ici au décret ;
  • d’autre part, aux référés, « relevant de la compétence du président du TJ ou du JCP [juge des contentieux de la protection] ». Le juge aux affaires familiales statuant en référé (c’est un juge autonome au sein du TJ) est exclu… de même que le président du tribunal de commerce, alors même que l’ARA ne concerne que le TJ (!?)18.

Rappelant que l’ARA suppose la libre disposition de leurs droits par les parties (C. pr. civ., art. 774-1, al. 1er), la circulaire s’attache spécialement à des litiges portant « conjointement sur des droits non disponibles et des droits disponibles » – notamment en cas de divorce contentieux – et propose une solution distributive selon la nature des droits tout en cherchant toujours à « retomber » sur un accord19.

Orientation en ARA

L’article 774-1 du code de procédure civile prévoit que l’ARA est demandée par les parties mais aussi que le juge saisi du litige suggère ce renvoi : il doit alors recueillir l’avis des parties. La circulaire précise les modalités du recueil de l’avis qui « suit les règles applicables à la procédure applicable au litige »20, procédure écrite ou orale – voire sans audience.

La circulaire précise aussi que la décision d’orientation en ARA n’a pas à respecter un formalisme particulier : une simple mention au dossier, par exemple, étant suffisante.

Le texte explicatif rappelle que la décision de renvoi peut intervenir à tout stade de la procédure, même après la clôture de la mise en état et quelles en sont les conséquences – ce qui résulte des articles 774-1, 776, 785 du code de procédure civile issus du décret.

Il va cependant au-delà en prévoyant la suite de l’ARA : « lorsqu’il ordonne une ARA, le juge de la mise en état ou le juge des référés peut, en outre, prévoir un renvoi à l’audience postérieure à la tenue de l’ARA. Ce renvoi pourra permettre :

  • d’inviter les parties à accomplir un acte de reprise d’instance le cas échéant avec désistement par dépôt de conclusions en ce sens, ou citation (C. pr. civ., art. 373) ;
  • de radier l’affaire à défaut de diligences dans le délai imparti par le juge »21.

Pour ce qui est du juge chargé de l’ARA, la circulaire, pas plus que le décret de 2023, ne mentionne que ce rôle devrait incomber à des magistrats honoraires ou à titre temporaires22. En revanche la circulaire précise que « les magistrats susceptibles de tenir une ARA doivent être préalablement désignés par le président du tribunal judiciaire, par ordonnance prise conformément aux dispositions de l’article L. 121-3 du code de l’organisation judiciaire, avant le début de l’année judiciaire » ; le juge saisi du litige décidera de la convocation à une date où siègera le juge désigné par l’ordonnance de roulement23.

Quant à cette date, elle devrait dépendre de l’encombrement de la juridiction – les outils informatiques24 devant permettre d’éviter le « sur-audiencement » – et aussi convenir aux avocats et aux parties, pour favoriser le succès de l’ARA25.

Déroulement de l’ARA

La circulaire donne d’abord des indications quant à la durée de l’ARA : celle-ci n’est pas évoquée par le décret. Si la durée « s’inscrit dans un temps plus long que celui consacré à l’examen d’un dossier dans le cadre d’une audience de plaidoirie », si les juges – chargé du litige et de l’ARA – ont un rôle à jouer quant à la durée du processus, il faut « veiller au respect de la charte des temps du greffe » ; pour finir la circulaire préconise « de ne pas dépasser une journée » (ce qui semble décourager la possibilité d’un renvoi si besoin était)26.

Le texte de mise en œuvre reprend ensuite et développe les différents pouvoirs du juge de l’ARA, insistant sur son rôle qui va au-delà de celui qui lui est conféré par l’article 21 du code de procédure civile, notamment en ce que le juge « rappelle les grands principes de droit applicables à la matière »… sans pour autant procéder à un « préjugement »27.

Pour ce qui est du rôle des parties, la circulaire répond à une interrogation28, à savoir que la nomination d’un expert n’entre pas dans ses attributions ; dès lors, si les parties voulaient recourir à un technicien, elles pourraient désigner un tel expert par un acte d’avocats… qu’elles aient ou non conclu par ailleurs une convention de procédure participative29. Si une expertise est diligentée sur le fondement d’un acte d’avocats, son résultat est couvert par la confidentialité… mais celle-ci peut être levée d’un commun accord30.

À propos de la confidentialité, la circulaire précise ensuite que le périmètre, pour l’ARA, est plus large que celui prévu pour la médiation31. Elle rappelle cependant que la confidentialité n’est pas d’ordre public et peut être levée, dans les cas cités à l’article 774-3 du code de procédure civile : elle fournit des exemples illustrant les exceptions (par ex., si le juge apprend un comportement susceptible de constituer une infraction). Elle précise aussi que « le principe de la confidentialité ne fait pas l’objet d’un régime autonome de sanctions en cas de manquement », de sorte que les règles dégagées par la jurisprudence pour la médiation sont transposables à l’ARA32.

L’éventuel accord aussi est confidentiel, sous réserve du procès-verbal établi par le juge de l’ARA et transmis au juge saisi du litige33.

Quant aux greffiers, la circulaire leur apprend que « des trames de convocation seront disponibles dans l’applicatif WINCITGI »34. De même, un greffier étant nécessaire pour dresser un éventuel procès-verbal d’accord, l’un d’eux doit demeurer à disposition pendant l’ARA – alors même qu’elle se déroule en chambre du conseil – si bien que le juge chargé de l’ARA devra s’efforcer d’y mettre fin « dans les plages horaires définies par les chartes des temps au sein de la juridiction »35.

Issue de l’ARA et fin de l’instance36

L’article 774-4 du code de procédure civile est assez laconique sur le succès de l’ARA, tandis que les suites d’un échec partiel ou total sont envisagées indirectement : la circulaire développe ces points et traite encore de la fin de l’instance dans une rubrique séparée, l’articulation n’étant guère limpide.

Le succès de l’ARA peut aboutir à un procès-verbal d’accord qui, selon un régime qui lui est propre, est transmis au juge saisi du litige ; la circulaire explique ce qui figurera dans l’accord (« dans la majorité des cas, il s’agit donc d’une copie intégrale »), puis évoque les autres possibilités offertes aux parties qui s’accordent37 : homologation de l’accord par le juge, apposition de la formule exécutoire par le greffe sur un acte contresigné par avocats formalisant un accord trouvé au cours de l’ARA (C. pr. civ., art. 1568 s.).

Rappelons au passage que les titres exécutoires de l’amiable ne présentent pas toutes les garanties d’un jugement38.

Selon l’article 774-3 du code de procédure civile, la fin de l’ARA peut intervenir à tout moment par décision du juge au moyen d’une mesure d’administration judiciaire ; la circulaire évoque trois motifs – même si la mesure n’a pas à être motivée – notamment « en cas de manœuvre dilatoires, lorsqu’une partie s’engage dans une ARA sans véritable intention de résoudre amiablement un différend… »39, ce qui est heureux : il serait cependant encore plus utile pour tous que le juge saisi du litige détecte cette intention de retarder le procès avant de convoquer à une ARA.

Le décret ne prévoit pas expressément la fin de l’instance ; la circulaire précise, elle, que le juge chargé de l’ARA n’a aucun pouvoir à cet égard et qu’il revient au juge saisi du litige de vider sa saisine et de mettre fin à l’instance40.

Entre la fin de l’ARA et la fin de l’instance, plusieurs cas de figure peuvent se présenter.

Selon l’article 374-1 du code de procédure civile, le juge du fond n’est pas dessaisi, l’instance est seulement interrompue, de même que la péremption qui recommence à courir « à compter de la première audience fixée postérieurement devant le juge saisi de l’affaire » : la procédure reprendra donc sur ses derniers errements devant ce juge, dans la limite du différend persistant.

La circulaire apporte des précisions sur cette reprise de l’instance : les parties devront « accomplir un acte de reprise d’instance par dépôt de conclusions en ce sens ou par citation », sinon le juge convoquera les parties à une audience (de mise en état, d’orientation ou de jugement)41… Le juge pourra même avoir anticipé la convocation à une audience « de reprise d’instance » dès la convocation à l’ARA.

Puis la circulaire détaille les suites de l’ARA sur l’audience de reprise42 :

  • si un accord total est intervenu, le juge saisi du litige peut le constater, ainsi que le désistement des parties et l’extinction de l’instance ;
  • si aucun accord n’est intervenu, le dossier reprend en circuit normal, sauf désistement ou inaction des parties qui entraînera une radiation et, à terme, une péremption ;
  • si un accord partiel est intervenu, le juge saisi du litige « sera saisi des prétentions résiduelles des parties formalisées par de nouvelles conclusions ou oralement à l’audience s’il y a lieu ».

Aide juridictionnelle

La circulaire précise qu’elle est identique à celle applicable à la médiation et renvoie au décret n° 2020-1717 du 28 décembre 202043.

 

1. P. 1 à 4.
2. E. Vergès, Lexbase droit privé, 14 sept. 2023 ; S. Amrani-Mekki, JCP 2023. 1040 ; N. Fricero, Procédures 2023. Étude 7 ; G. Maugain, Dalloz actualité, 18 sept. 2023 ; v. aussi, H. Croze, Procédures 2023. Pratique professionnelle 9 ; C. Bléry, Gaz. Pal. 7 nov. 2023 (ARA), p. 35 et L. Mayer, (césure) p. 39.
3. P. 5 à 13.
4. P. 14 à 17.
5. P. 18 à 20.
6. P. 21 à 23.
7. C. Bléry, Le droit en décadence ?, Le droit en débats, 9 mars 2022.
8. C. Bléry, Le droit en décadence ?, préc. ; F. Fevre (CNPG) et J. Boulard (CNPP), respectivement présidents de la conférence nationale des procureurs généraux et de la conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel, Le Parisien, 26 nov. 2021 ; adde, S. Amrani-Mekki, Gaz. Pal. 18 janv. 2022, p. 37.
9. V. infra.
10. Par ex., Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 19-21.697 ; 21 sept. 2017, n° 16-20.580 P ; 30 mars 2017, n° 15-25.453 P, JA 2017, n° 561, p. 11, obs. J. Marfisi  ; RDSS 2017. 572, obs. T. Tauran  ; Gaz. Pal. 23 mai 2017, p. 75, V. Roulet.
11. Nous ne nous plaindrons pas qu’ils n’entrent pas dans les détails techniques, mais il semble qu’ils n’envisagent pas tout ce qui est annoncé par le législateur (au sens large du terme), ce qui laisse le destinataire des textes dans une incertitude inconfortable : v. not., pour la césure, infra.
12. P. 3.
13. P. 8 : la terminologie, qui ne figure pas dans le code de procédure civile est très évocatrice.
14. P. 3 ; v. aussi, p. 8.
15. C. Bléry, Gaz. Pal. 7 nov. 2023, p. 35.
16. V. aussi fiche 1, p. 6.
17. V. infra.
18. V. fiche 1, p. 5.
19. V. fiche 1, p. 6.
20. (Sic) v. fiche 1, p. 6.
21. V. fiche 1, p. 7.
22. V. N. Fricero, Procédures 2023. Étude 7, n° 5.
23. V. fiche 1, p. 7.
24. Les destinataires sont appelés à « maitriser l’audiencement des ARA sur les 6 mois à venir : - soit dans WINCITGI, - soit dans PILOT audiencement ».
25. V. fiche 1, p. 7.
26. V. fiche 1, p. 8.
27. V. fiche 1, p. 8.
28. E. Vergès, Lexbase droit privé, préc.
29. V., C. pr. civ., art. 1546-3 et fiche 1, p. 9. Cela montre une fois de plus que la place des actes contresignés par avocats au sein de la convention de procédure participative est peu heureuse.
30. V. fiche 1, p. 9 ; adde, E. Vergès, étude préc.
31. V. fiche 1, p. 9.
32. V. fiche 1, p. 10.
33. V. fiche 1, p. 11.
34. V. fiche 1, p. 10.
35. V. fiche 1, p. 10.
36. Ce sont deux rubriques séparées dans la circulaire ; v. fiche 1, p. 10 s.
37. V. fiche 1, p. 11.
38. T. Goujon-Bethan, C. Roth, J. Guillemin et A. Léon, L’exécution de l’amiable – Ateliers de voies d’exécution, Gaz. Pal. 31 janv. 2023, n° GPL445b2.
39. V. fiche 1, p. 11.
40. V. la fiche 1, p. 11 s.
41. V. aussi H. Croze, préc. ; v. fiche 1, p. 12.
42. V. fiche 1, p. 12.
43. V. fiche 1, p. 12.

 

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