La possession n’exclut pas l’exigence de demander la délivrance du legs

Le légataire à titre particulier doit solliciter la délivrance de ses legs même s’il a la jouissance d’au moins un des biens légués depuis une date antérieure au décès du testateur. A défaut d’une telle demande de délivrance, le légataire voit courir la prescription et ne peut plus, une fois celle-ci acquise, se prévaloir de son legs ni prétendre aux fruits de la chose léguée.

Une femme décède le 3 juillet 2010 en laissant pour lui succéder deux fils : Monsieur [Y] [H] et Monsieur [M] [H]. Moins d’un mois plus tôt, le 4 juin 2010, la défunte avait fait un testament authentique par lequel elle avait institué Madame [D] légataire à titre particulier des biens et droits immobiliers de deux biens dont elle était propriétaire. Avant le décès de la testatrice, Madame D avait été mise en possession du bien légué et lorsqu’intervient le décès, la légataire se maintient dans les lieux. S’élève alors un conflit opposant les héritiers à la légataire. Les héritiers réservataires contestent le droit de la légataire alléguant que celle-ci n’avait jamais fait de demande de délivrance de son legs. Ce faisant, ils soulèvent que prescrite, la légataire ne saurait avoir de droits sur les biens objets du legs. Ainsi, ils requièrent en sus que Madame [D] soit condamnée à une indemnité d’occupation à compter de la date du décès pour le bien qu’elle occupe et réfutent son droit aux loyers qu’elle réclamait sur le second bien. A l’inverse, la légataire invoque qu’elle avait été mise en possession dudit bien du vivant de la testatrice et qu’à ce titre, elle n’était pas tenue à faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien. La cour d’appel (Rennes, 1er juin 2021, n° 19/03151) déboute les héritiers de toutes leurs prétentions. Les juges du fond écartent la demande de reconnaissance de la prestation estimant que le légataire mis en possession du bien légué par le testateur avant son décès et qui se maintient en possession après le décès n’est pas tenu de faire une demande de délivrance pour bénéficier de la pleine jouissance du bien. Les héritiers forment alors un pourvoi afin de demander à la Cour de cassation de se prononcer sur la prescription de la demande de délivrance du legs et ses conséquences.

Deux moyens étaient alors soumis à l’appréciation de la Cour de cassation. La première chambre civile répondant au premier moyen considère, au visa de l’article 1014 du code civil, que si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès (§ 3). Dans un second temps, la Haute juridiction, se fondant sur les articles 1014, alinéa 2, et 2219 du code civil, vient faire un rappel utile. D’abord, elle souligne que « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie » (§ 7). Ensuite, elle rappelle que « La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». Ainsi, il « en résulte que, lorsque l’action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée ».

La Cour de cassation apporte donc une réponse claire : même s’il est possesseur au moment du décès, le légataire à titre particulier doit demander la délivrance de son legs aux héritiers faute de quoi, il ne peut exercer les droits et actions relatifs aux biens légués.

Cette précision est importante et cohérente avec l’esprit des textes. En effet, la délivrance du legs est une condition de l’entrée en possession des légataires non saisis, qui à défaut, ne sont pas autorisés à exercer leurs droits. La délivrance constitue une reconnaissance du droit du légataire qui a vocation de lui permettre d’exercer ses droits, donc d’entrer en possession de la chose léguée et de jouir de son droit au fruits (C. civ., art. 1014).

Pour le légataire à titre particulier, il s’agit de demander la délivrance du legs auprès des héritiers saisis lesquels vont s’assurer de la validité de son titre (en l’espèce, un testament authentique) quand bien même celui-ci est propriétaire à compter du décès de l’auteur du legs. S’il n’y a pas de condition de forme spécifique pour demander la délivrance, celle-ci doit donc être formalisée de manière claire pour permettre aux héritiers d’assurer la police de l’hérédité. On ne peut déduire, contrairement au raisonnement admis par la cour d’appel, que le maintien dans les lieux par le légataire après le décès du testateur qui l’avait par ailleurs mis en possession n’excluait pas l’exigence de demander la délivrance du legs. La jouissance, à compter du décès du testateur, n’est pas justifiée à défaut de délivrance du legs. Le maintien de cette jouissance ne saurait s’analyser comme suffisant, faute d’action claire à l’endroit de l’hérédité, à constituer une demande de délivrance du legs. De fait, le délai de prescription ne cesse pas de courir. En l’espèce, la demande n’a été formulée qu’à l’occasion de la procédure judiciaire, soit le 29 septembre 2017, date de ses conclusions et plus de sept années après le décès.

La Cour de cassation censure alors la cour d’appel qui a considéré que la légataire était créancière des loyers nets produits par le local commercial à compter de ces premières écritures valant demande de délivrance du legs. La première chambre civile estime que la prescription à l’encontre de la légataire était acquise, la privant de tous droits sur les biens : pas de propriété, pas de droits aux fruits et très logiquement, la cour d’appel de renvoi prononcera à son encontre une indemnité d’occupation à son encontre au profit de la succession. Cette solution invite tous les professionnels du droit à être clairs en présence de légataires. Au titre de leur devoir d’information, ces derniers auront grand intérêt à préciser aux éventuels légataires l’impératif de formuler de manière claire – et dans les meilleurs délais – leur volonté de demander la délivrance du legs.

Pour autant, cet arrêt soulève de fait une autre question à laquelle les commentateurs souhaitent ardemment une réponse : celle du délai de la prescription applicable en matière de délivrance de legs depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. La piste se resserre en la matière même si la première chambre civile ne répond pas expressément à cette question brûlante dans la doctrine. En effet, avant la réforme, la Cour de cassation avait considéré que la prescription était celle de droit commun, à savoir une prescription trentenaire (Civ. 1re, 28 janv. 1997, n° 95-13.835, D. 1997. 51  ; RTD civ. 1998. 724, obs. J. Patarin ). D’ailleurs, la Cour a récemment réaffirmé cette position pour les legs relevant de l’ancien régime (Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-11.668, D. 2020. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier  ; AJ fam. 2020. 365, obs. N. Levillain  ; RTD civ. 2020. 436, obs. M. Grimaldi ). Depuis la réforme, rien n’est certain et trois possibilités sont développées par la doctrine. L’application du droit commun de la prescription (C. civ., art. 2224), dans la logique de l’ancienne décision, devrait conduire à retenir la prescription quinquennale (v. en ce sens, M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., LexisNexis, 2020, n° 436 ; P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, 9e éd., 2020, n° 419). Un deuxième courant considère que le délai de prescription doit être trentenaire en présence d’un legs sur un immeuble dans la mesure où l’action du légataire peut être rapprochée de l’action en délivrance contre le vendeur de l’immeuble (Rép. pr. civ.,  Recueil de la succession, par V. Egea, n° 134 : cite C. Jubault, Droit civil. Les successions. Les libéralités, Montchrestien, 2e éd., 2010, n° 903). Enfin, un dernier courant doctrinal propose d’appliquer à la demande de délivrance du legs le délai de prescription de l’action successorale (C. civ., art. 780) à savoir un délai décennal. Cette proposition aurait pour objectif d’aligner le délai pour la demande de délivrance du legs et celui que les textes accordent au légataire pour l’accepter (v. en ce sens, M. Nicod, Prescription de l’action en délivrance du legs, Dr. fam. 2015, n° 6, comm. 168). Cette décision ne vient pas dire expressément quel est le délai de prescription, mais penche clairement en faveur de l’application du délai de droit commun, à savoir en cinq ans. En effet, les dates de l’affaire et la solution retenue par la Cour de cassation excluent ipso facto une prescription trentenaire, mais également décennale. Il est relevé qu’il s’est écoulé plus de sept ans et entre le décès de la testatrice et la formalisation de la demande de délivrance dans les écritures de la légataire (« que les conclusions de Mme [D] du 29 septembre 2017 valaient demande de délivrance de legs » (§ 6) et le moyen des requérants se fonde sur la prescription quinquennale. La Cour, en reconnaissant la prescription alors que la demande de délivrance du legs, est intervenue près de sept ans après le décès de la testatrice applique donc la prescription du droit commun. Cette décision très claire sur les modalités de demande de délivrance du legs aurait gagné à affirmer plus clairement sa position quant au délai de prescription. Peut-être le fera-t-elle dans une affaire ultérieure, mais les dés semblent d’ores et déjà jetés.

 

© Lefebvre Dalloz