La possible nullité pour dol d’une rupture conventionnelle du salarié

Le dol du salarié, s’il est déterminant dans le consentement de l’employeur, entraîne la nullité de la rupture conventionnelle. Celle-ci étant imputable au salarié, elle produit les effets d’une démission. Tel peut être le cas en raison d’un dol commis par le salarié qui dissimule intentionnellement des éléments déterminant du consentement de l’employeur.

La rupture conventionnelle est une rupture d’un commun accord du contrat de travail entre l’employeur et le salarié, qui ne peut pas être imposée par l’un ou par l’autre et qui repose sur le libre consentement de chacun d’eux (C. trav., art. L. 1237-11).

Elle peut être annulée lorsqu’un vice du consentement est constaté. Les vices du consentement qui peuvent être invoqués sont classiques et définis par le code civil : l’erreur, le dol et la violence, lorsqu’ils « sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté » (C. civ., art. 1130 et 1131).

Si le vice du consentement du salarié peut être reconnu sans difficulté, la Cour de cassation avait en outre également admis le principe de cette possibilité s’agissant du consentement de l’employeur, sans qu’au final la nullité ne soit prononcée (Soc. 11 mai 2022, n° 20-15.909 F-D). Mais qu’en serait-il alors des conséquences d’une nullité prononcée pour dol du salarié ? C’est précisément à cette question que la chambre sociale apporte, pour la première fois à notre connaissance, une réponse claire par son arrêt du 19 juin 2024.

En l’espèce, un salarié employé en qualité de responsable commercial demande à conclure une rupture conventionnelle après huit années passées dans l’entreprise, animé par un « souhait de reconversion professionnelle dans le management ».

L’employeur, estimant par la suite son consentement vicié par un dol du salarié, demanda la nullité d’une rupture conventionnelle, de sorte à obtenir qu’elle produise les effets d’une démission.

Celui-ci avait en effet considéré que le salarié avait fait preuve de manœuvres dolosives dans la mesure où l’intéressé a ensuite créé une société concurrente à la sienne avec deux anciens salariés de l’entreprise et que ce projet était déjà abouti avant la signature de la rupture.

Les juges du fond firent droit à la demande de l’employeur, en considérant que la dissimulation du projet et de l’identité des associés au moment de la signature constituait bien un dol.

La chambre sociale, saisie d’un pourvoi dirigé contre la décision, va toutefois confirmer le raisonnement tenu par les juges d’appel.

La possible nullité pour dol d’une rupture conventionnelle du salarié

En l’espèce, l’employeur invoquait un dol du salarié. Le dol est défini comme le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges, ou comme la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre (C. civ., art. 1137)

En l’espèce, c’est de cette manœuvre dolosive que l’employeur estimait avoir été victime.

Les juges d’appel annulèrent en effet la rupture conventionnelle en considérant que le salarié avait commis une réticence dolosive « du fait du défaut d’information volontaire […] sur le projet d’entreprise initié dans le même secteur d’activité auquel [étaient] associés deux anciens salariés », l’employeur ne s’étant déterminé qu’au regard « du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management ».

La reconnaissance du principe de la possibilité d’un dol de la part du salarié n’allait pas nécessairement de soi, dans la mesure où le salarié n’était soumis à aucune clause de non-concurrence.

À l’aune de cette solution, il conviendra pour l’employeur d’établir la preuve du caractère déterminant de l’élément dissimulé par le salarié, lequel peut indéniablement s’incarner dans un risque de concurrence ultérieure, indépendamment de l’existence – ou non – d’une clause de non-concurrence, qui relève d’un régime juridique propre.

Une nullité produisant les effets d’une démission

Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation a pu se prononcer sur un cas où l’employeur demande la nullité d’une rupture conventionnelle pour vice du consentement pour dol du salarié.

Une hypothèse semblable reposant sur le grief d’un projet fallacieux de reconversion professionnelle et de dissimulation d’embauche par une société concurrente, où la nullité pour dol n’avait cependant finalement pas été retenue avait pu être jugée en 2022 (Soc. 11 mai 2022, n° 20-15.909, préc.).

En revanche, la chambre sociale se prononce pour la première fois à notre connaissance sur les effets d’une rupture conventionnelle annulée lorsque cette nullité est imputable au salarié. Le principe posé est clairement établi par les hauts magistrats : « lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée en raison d’un vice du consentement de l’employeur, la rupture produit les effets d’une démission ».

L’on rappellera qu’à l’inverse, lorsque la rupture conventionnelle est annulée en raison d’un vice du consentement du salarié, et donc que la nullité est imputable à l’employeur, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc. 16 sept. 2015, n° 14-13.830 P, Dr. soc. 2015. 941, obs. D. Chenu ).

Les conséquences pour le salarié sont alors importantes, puisqu’il est dans cette hypothèse tenu non seulement de rembourser à l’employeur l’indemnité de rupture, mais également lui verser une indemnité compensatrice au titre du préavis de démission non effectué, ce qui peut rapidement conduire à une condamnation de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

L’employeur qui découvre une telle tromperie aura alors tout intérêt à saisir les juridictions pour obtenir la nullité, pour peu qu’il dispose des preuves suffisantes. À l’air des réseaux, cette démarche probatoire pourra s’en trouver particulièrement facilitée tant par les obligations de publication au journal d’annonce légal s’agissant des créations de société, que par l’affichage des évolutions des anciens salariés sur les réseaux sociaux professionnels.

 

Soc. 19 juin 2024, FS-B, n° 23-10.817

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