La prescription de la créance du prix de vente n’éteint pas la réserve de propriété
Dans le cadre d’un contrat de vente contenant une clause de réserve de propriété, le transfert de la propriété du bien, objet de la vente, n’est subordonné qu’au complet paiement du prix. Ainsi, la prescription de la créance du prix de vente, en l’absence de paiement, n’éteint pas la réserve de propriété et n’emporte donc pas transfert de la propriété du bien au profit de l’acquéreur.
S’il est des grands arrêts, celui rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 19 novembre 2025, est bien de ceux-là. Il concerne, ce qui est assez rare, la clause de réserve de propriété, à savoir cette technique qui mobilise le droit de propriété comme instrument de garantie et qui est rattachée, depuis l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, aux dispositions du code civil relatives aux sûretés. L’article 2367 de ce code dispose, en son premier alinéa, que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie ». Le second alinéa du même texte apporte une précision, énonçant que « la propriété ainsi réservée est l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement ». La réserve de propriété se révèle particulièrement précieuse pour le vendeur qui demeure dans l’attente du paiement complet du prix de vente : elle permet, dans l’attente de ce paiement, de neutraliser l’application de la règle du transfert de propriété solo consensu, consacrée par l’article 1583 du code civil et suivant laquelle « la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé » (v. à ce propos, P. Tafforeau et C. Hélaine, préf. R. Cabrillac, Droit des sûretés. Sûretés personnelles et réelles, 4e éd., Bruylant, coll. « Paradigme », 2025, n° 1152, p. 559 ; D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, 15e éd., LGDJ, coll. « Manuel », 2022, n° 720, p. 481).
La réserve de propriété étant l’accessoire de la créance du prix de vente dont elle garantit le paiement complet, il s’est posé la question de savoir si l’extinction de cette créance principale, par voie de prescription et non par voie de paiement, avait malgré tout pour effet d’entraîner l’extinction de la réserve de propriété (en tant qu’elle en constitue l’accessoire) et d’emporter, en conséquence, transfert à l’acquéreur de la propriété du bien vendu (transfert qui était, jusqu’alors, suspendu au paiement complet de la créance principale).
C’est à cette question qu’est venue répondre la chambre commerciale, sur le fondement des articles 2224 et 2367 du code civil : « si la prescription de la créance du prix de vente libère l’acquéreur de l’obligation de payer le prix, elle n’entraîne pas, à défaut de paiement, le transfert de la propriété du bien. En effet, l’action en revendication du vendeur bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété a pour source non pas la créance personnelle de celui-ci sur le débiteur mais son droit de propriété sur le bien dont le transfert est soumis à la condition suspensive du paiement du prix, de sorte que l’action en revendication n’est pas soumise au délai prévu au premier de ces textes » (pt n° 17), à savoir au délai quinquennal de l’article 2224 du code civil. La solution met subtilement en lumière la manière dont s’opère l’articulation des deux alinéas de l’article 2367, précité, du code civil : ceux-ci doivent s’envisager communément et, en aucun cas, de manière indépendante. Sur ce point, le raisonnement conduit par les juges est particulièrement convaincant. Néanmoins, la Cour ne s’en tient pas à cette clarification et s’essaie, concomitamment, à démystifier la nature juridique de la réserve de propriété sur le terrain du régime général des obligations, en la rattachant à la condition suspensive. Or ce petit détour, en sus d’être inutile au bien-fondé de la solution consacrée, peut assez nettement prêter le flanc à la critique.
Lumière sur l’articulation des deux alinéas de l’article 2367 du code civil
La prescription extinctive, comme son nom l’indique, est une cause d’extinction des obligations (C. civ., art. 2219). Partant, comme le souligne la Cour, la prescription de la créance du prix de vente, garantie par une réserve de propriété, dispense naturellement l’acquéreur de s’acquitter de ce prix. Cela étant, cette prescription de la créance du prix de vente n’emporte aucun effet sur l’accessoire de celle-ci, à savoir la réserve de propriété. Cette dernière, en effet, résiste au jeu de l’extinction par voie d’accessoire.
La solution s’inscrit, incontestablement, dans une certaine continuité jurisprudentielle (Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-10.891, Dalloz actualité, 14 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1081
, note D. R. Martin
; ibid. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle
; RTD civ. 2014. 370, obs. H. Barbier
, la Cour retient que l’extinction d’une créance garantie par une clause de réserve de propriété, résultant de son effacement consécutif à la clôture pour insuffisance d’actif de la procédure de rétablissement personnel de l’acquéreur, n’équivalait pas à un paiement de sorte que le transfert de propriété ne pouvait être intervenu au profit de ce dernier), conforme à une interprétation stricte du second alinéa de l’article 2367 du code civil. Du reste, à l’occasion de la réforme du droit des sûretés ayant abouti à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, la commission Grimaldi avait tenté de neutraliser la portée de ce texte au travers d’une modification substantielle de ses dispositions. La proposition visait à consacrer la règle suivant laquelle « la réserve de propriété prend fin par l’extinction de cette créance quelle qu’en soit la cause » (v. not., J.-D. Pellier, La réforme du droit des sûretés est en marche !, Dalloz actualité, 25 juin 2018). Celle-ci n’a finalement pas été retenue par l’ordonnance (v. not., C.-A. Michel, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, épisode 8) : la réserve de propriété, Dalloz actualité, 22 sept. 2021) mais, si tel avait été le cas, la solution de l’arrêt examiné aurait certainement été bien différente.
En filigrane, la solution renseigne sur la manière dont les deux alinéas de l’article 2367 du code civil doivent être articulés. Ceux-ci ne sauraient être, en aucune manière, envisagés de manière isolée ou, plus exactement, le second ne saurait faire l’objet d’une application qui ferait fi des dispositions du premier. Si la prescription de la créance garantie était exclusivement analysée à la lumière du second alinéa du texte, il s’ensuivrait que cette prescription aurait pour effet de transférer à l’acquéreur la propriété du bien. Ce second alinéa, pour rappel, se limite à énoncer que la réserve de propriété constitue l’accessoire de la créance du prix de vente. Or, le sort de l’élément accessoire étant subordonné à celui de l’élément principal, toute extinction de la créance garantie, quelle qu’en soit sa cause, entraînerait automatiquement l’extinction de la réserve de propriété, provoquant ainsi, au profit de l’acquéreur, le transfert de propriété qui était jusqu’alors paralysé. Cette solution, qui apparaît cohérente au regard exclusif du second alinéa de l’article 2367 du code civil, se révèle, en revanche, contraire au premier alinéa du même texte dans la mesure où celui-ci prévoit que seul un « paiement complet » – et non, plus largement, une extinction complète – de la créance garantie met fin à la réserve de propriété. La prise en considération de ce premier alinéa, dans l’analyse de la situation, renverse totalement la solution adoptée sur le seul fondement du second : quand bien même la créance garantie est prescrite et donc éteinte, une telle extinction, qui ne résulte pas d’un « paiement complet », ne saurait produire d’effet extinctif sur la réserve de propriété qui, en conséquence, demeure et continue de paralyser le transfert de propriété. C’est cette solution qui a été retenue par la Haute juridiction.
Un mauvais esprit pourrait soutenir que la Cour de cassation aurait, au travers de sa solution, ignoré la règle du second alinéa de l’article 2367 du code civil. Point trop n’en faut : elle n’a aucunement nié que la réserve de propriété présente un caractère accessoire mais a, tout simplement, restitué à ce caractère accessoire une portée cohérente au regard du premier alinéa de l’article 2367 du code civil, lequel subordonne l’extinction de la réserve de propriété à une seule et unique cause d’extinction de la créance garantie : son paiement complet. Ainsi, la Cour n’a pas ignoré la règle du second alinéa ; elle a seulement réduit sa portée en la replaçant dans le giron des dispositions du premier alinéa. En conséquence, seule une extinction de la créance garantie résultant d’un paiement complet peut générer l’extinction, par voie d’accessoire, de la réserve de propriété. Tout autre cause d’extinction de cette créance, dont la prescription, ne saurait normalement déboucher sur l’extinction de la réserve de propriété, et ce en dépit de son caractère accessoire.
Fort de sa qualité de propriétaire, le vendeur réservataire entendra alors démontrer celle-ci afin de recouvrer la possession de son bien. Le maintien de la réserve de propriété lui permettra de prouver sa qualité de propriétaire à l’occasion d’une action en revendication. L’existence d’une réserve de propriété constitue, effectivement, une circonstance de nature à tenir en échec la présomption du premier alinéa de l’article 2276 du code civil – « en fait de meubles, la possession vaut titre » – dont l’acquéreur pourrait, en tant que possesseur du bien, se prévaloir pour anéantir la revendication du vendeur (sur les difficultés tenant aux conséquences de l’art. 2276 c. civ. en matière de réserve de propriété, v. P. Tafforeau et C. Hélaine, préf. R. Cabrillac, Droit des sûretés. Sûretés personnelles et réelles, op. cit., nos 1163 s., p. 564 s.).
Sur le fond, une telle action en revendication n’est pas impossible à mettre en œuvre. Néanmoins, la Cour de cassation a dû se pencher sur la question de savoir si celle-ci n’était pas prescrite en raison de la prescription de la créance du prix de vente. Or, subordonner la prescription de l’action en revendication à celle de la créance du prix de vente, c’est ignorer que la source de cette action ne réside pas dans une obligation, mais dans le droit de propriété lui-même. Dit autrement, l’action en revendication est toujours attachée à la qualité de propriétaire (Rép. civ., v° Revendication, par J. Djoudi, 2024, n° 1), aucunement à celle de créancier d’une obligation. C’est précisément ce que retient, en l’espèce, la Haute juridiction. L’action en revendication, qu’elle concerne un immeuble comme un meuble, demeure une action réelle par essence (S. Druffin-Brica et L. C. Henry, Droit des biens, 12e éd., Gualino, coll. « Mémentos », 2022, n° 215, p. 135) et n’est pas soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil (sur la rareté des actions réelles mobilières, Rép. civ., v° Biens, par R. Libchaber, n° 221). Or, le droit de propriété étant imprescriptible (C. civ., art. 2227), l’action en revendication, en ce qu’elle lui est indéfectiblement attachée, l’est tout autant (Civ. 1re, 2 juin 1993, nos 90-21.982, 91-10.429, 91-10.971 et 91-12.013, D. 1993. 306
, obs. A. Robert
; ibid. 1994. 582
, note B. Fauvarque-Cosson
; RTD civ. 1994. 389, obs. F. Zenati
; JCP 1994. I. 3750, n° 1, obs. H. Périnet-Marquet ; Defrénois 1994. 414, obs. I. Defrenois-Souleau ; Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-16.077, D. 2003. 1461, et les obs.
, note G. Pillet
; ibid. 2044, obs. N. Reboul-Maupin
; RDI 2002. 386, obs. J.-L. Bergel
; JCP 2002. II. 10190, note E. du Rusquec ; Defrénois 2002. 1310, obs. C. Atias). La prescription de la créance garantie par une réserve de propriété ne fait donc pas obstacle à une action en revendication du vendeur, laquelle ne sera jamais prescrite. En définitive, si la solution retenue par la Cour est convaincante, aussi bien en droit pur qu’en opportunité (dès lors qu’elle évite à l’acquéreur de perdre la propriété d’un bien pour le transfert de laquelle il n’a, de surcroît, reçu aucun paiement), il n’en demeure pas moins que le rapprochement opéré entre la réserve de propriété et la condition suspensive apparaît, quant à lui, beaucoup plus discutable.
Qualification de la réserve de propriété en condition suspensive
La Cour de cassation affirme sans détour que, lorsqu’une vente est garantie par une clause de réserve de propriété, « le transfert [de la propriété du bien objet de la vente] est soumis à la condition suspensive du paiement du prix » (pt n° 17, nous soulignons). La solution semble ainsi retenir que la réserve de propriété instituerait une condition suspensive, au sens de l’article 1304, alinéa 2, du code civil. Si cette qualification paraît cohérente en apparence, il n’en demeure pas moins que, sur le fond, elle est hautement discutable.
En droit des obligations, la notion de condition revêt une signification bien précise (P. Delebecque et F.-J. Pansier, Droit des obligations. Régime général, 11e éd., LexisNexis, coll. « Objectif Droit », 2025, n° 154, p. 180). Elle est une modalité de l’obligation désignant un évènement futur et incertain (C. civ., art. 1304, al. 1er), à la survenance duquel est subordonnée l’existence même de cette obligation (à la différence du terme, qui est évènement futur mais certain, quoique la date de sa survenance puisse être incertaine, et qui n’affecte que l’exigibilité de l’obligation et nullement son existence). Si la survenance de l’évènement érigé en condition anéantit rétroactivement une obligation déjà existante, la condition est dite « résolutoire » (C. civ., art. 1304, al. 3) ; a contrario, dès lors que la survenance de l’évènement rend pure et simple une obligation qui jusqu’alors ne l’était pas, la condition est qualifiée de suspensive (C. civ., art. 1304, al. 2).
L’analyse de la réserve de propriété sous le prisme de la condition suspensive conduit à considérer, d’une part, que l’évènement érigé en condition correspond au complet paiement du prix par l’acquéreur et, d’autre part, que l’obligation suspendue à la survenance de ce complet paiement a pour objet le transfert de la propriété du bien à l’acquéreur, obligation qui incombe donc au vendeur. Si les deux axes du raisonnement paraissent, à première vue, parfaitement fondés, ils recèlent toutefois des faiblesses de taille.
S’agissant de la qualification du paiement complet en condition, celui-ci constitue bien un évènement futur (au jour de la conclusion du contrat, le prix n’a pas été complètement payé, d’où l’introduction d’une clause de réserve de propriété afin de garantir son paiement intégral) et incertain (on ne sait pas, au jour de la conclusion du contrat, si l’acquéreur paiera intégralement ce prix). Certains pourraient objecter qu’il suffirait néanmoins à l’acquéreur – qui, pour une raison ou pour une autre, ne souhaiterait plus acquérir le bien – de s’abstenir de payer le prix pour faire défaillir la condition et, en conséquence, neutraliser le transfert de propriété. Le paiement apparaîtrait, ainsi, comme une condition purement potestative. Cela étant, l’obligation sous condition purement potestative n’encourt la nullité que lorsque sa réalisation dépend de la seule volonté du débiteur (C. civ., art. 1304-2). Or ici, c’est le transfert de propriété qui serait sous condition, et c’est précisément l’acquéreur qui est le bénéficiaire dudit transfert. En conséquence, le caractère purement potestatif du paiement, érigé en condition, n’aurait aucun effet sur le transfert de propriété ; l’acquéreur ne pourrait donc pas, en pratique, faire en sorte que le transfert de propriété ne devienne jamais pur et simple en s’abstenant de payer pour faire défaillir la condition.
Bien que séduisante, cette analyse fait fi, cependant, de ce que le paiement complet du prix de vente n’est pas un simple évènement futur et incertain mais constitue, en vérité, une obligation du contrat de vente dont l’exécution n’est pas soumise au bon vouloir de l’acquéreur, selon qu’il aurait finalement renoncé à se voir transférer la propriété du bien. Le contrat de vente ayant été conclu, quand bien même le transfert de propriété ne s’opérera qu’au moment du complet paiement du prix, celui-ci doit être versé au vendeur qui, à défaut, pourra engager contre l’acquéreur une action en exécution forcée (v. à ce propos, P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., coll. « HyperCours », 2019, nos 548 s., p. 509 s.). L’évènement ici érigé en condition – le paiement du prix – se confond donc avec une obligation – celle de payer ledit prix. Or, l’exécution d’une obligation peut être réclamée en justice, ce qui n’est pas le cas de l’accomplissement d’une condition. C’est notamment ce critère qui fonde la distinction, parfois subtile, entre la charge et la condition (Rép. civ., v° Condition, par Y. Buffelan-Lanore et J.-D. Pellier, n° 5).
La condition constitue une modalité de l’obligation, selon les articles 1304 et suivants du code civil, et ne peut donc affecter… qu’une obligation. Ainsi, l’examen de la réserve de propriété à l’aune du régime de la condition suspensive conduit, nécessairement, à considérer le transfert de propriété comme l’objet d’une obligation incombant au vendeur. Or cette position est également très critiquable dans la mesure où la vente, en droit français, s’opère solo consensu et ne fait donc pas naître une obligation de donner à la charge du vendeur (en ce sens, D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, op. cit., n° 721, p. 482). En d’autres termes, le transfert de propriété ne saurait être une obligation conditionnée au paiement du prix : comme l’a démontré le Professeur Muriel Fabre-Magnan, « le transfert de propriété ne constitue pas une obligation pour le vendeur car il demeure automatique, étant un simple effet du contrat » (M. Fabre-Magnan, Le mythe de l’obligation de donner, RTD civ. 1996. 85). Autrement dit, le transfert de propriété est un effet de plein droit de la vente qui puise sa source dans la force obligatoire du contrat (P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1991. 771, spéc. n° 19
).
La stipulation d’une clause de réserve de propriété dans un contrat de vente ne remet pas en cause cette acception du transfert de propriété en tant qu’effet de plein droit dudit contrat. La réserve de propriété ne fait que différer dans le temps cet effet de plein droit ; elle ne crée nullement une obligation, à la charge du vendeur, de transférer sa propriété. Ce transfert s’opèrera automatiquement dès lors que le dernier paiement satisfactoire aura été effectué par l’acquéreur, c’est-à-dire lorsque le prix aura été complètement acquitté. Du reste, le premier alinéa de l’article 2367 du code civil dispose que la réserve de propriété « suspend l’effet translatif [du] contrat », sans aucune référence à une quelconque obligation du vendeur de transférer la propriété du bien objet de la vente.
Identifier la nature juridique de la clause de réserve de propriété relève d’une entreprise périlleuse. Il est, en effet, délicat d’identifier sa juste place dans l’ordonnancement juridique du droit civil, sans doute car elle n’est pas une figure de tradition française – mais germanique – et qu’elle affecte l’un des fondements majeurs du droit français de la vente, à savoir le transfert de propriété solo consensu. Comme nous l’avons vu, sa qualification sur le terrain de la condition suspensive n’emporte pas la conviction. De même, si le droit positif la considère comme une sûreté réelle, sa place dans l’architecture générale du droit des sûretés n’est pas, non plus, tout à fait évidente. Déjà, contrairement aux sûretés réelles traditionnelles, la réserve de propriété n’offre à son bénéficiaire qu’un droit d’exclusivité, et non un droit de préférence (P. Tafforeau et C. Hélaine, préf. R. Cabrillac, Droit des sûretés. Sûretés personnelles et réelles, op. cit., n° 1161, p. 563). Aussi, contrairement aux sûretés réelles traditionnelles, les effets attachés à son caractère accessoire sont limités : si la réserve de propriété semble pouvoir circuler sans difficulté avec la créance principale (not., en cas de cession de créance ou de subrogation personnelle), en revanche, son extinction par voie d’accessoire apparaît limitée à une seule et unique cause d’extinction de la créance principale : le paiement complet de celle-ci. Ensuite, alors que les sûretés réelles traditionnelles procèdent de l’affectation en garantie d’un bien appartenant au débiteur de la créance garantie (sauf hypothèse d’une sûreté réelle consentie pour le compte d’autrui, C. civ., art. 2325), la réserve de propriété ne porte pas sur un bien de l’acquéreur mais vient paralyser l’effet de droit attaché à un contrat de vente, à savoir le transfert de la propriété d’un bien qui appartient toujours… au vendeur, lequel est le titulaire de la créance garantie du prix de vente. Également, dans la mesure ou la réserve de propriété ne s’adjoint pas au contrat de vente mais s’inscrit directement en son sein, certains auteurs ont pu, autrefois, lui refuser la qualification de sûreté (v. not., C. Ginestet, La qualification des sûretés, Defrénois 1999. 80). Enfin, si les sûretés réelles traditionnelles ne sont mises en œuvre qu’à compter du moment où le débiteur cesse d’exécuter son engagement, en revanche, la réserve de propriété est mise en œuvre dès la naissance de l’obligation qu’elle garantit et demeurera tant que celle-ci n’aura pas été intégralement exécutée. Cette spécificité n’est guère étonnante dès lors que la mise en œuvre de la réserve de propriété n’a pas pour effet, contrairement aux sûretés réelles traditionnelles, d’éteindre la créance garantie (D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, op. cit., n° 721, p. 483).
Com. 19 nov. 2025, FS-B, n° 23-12.250
par Sébastien Cacioppo, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes
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