La prescription en matière de requalification du statut de cadre dirigeant précisée
La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation de la qualité de cadre dirigeant est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail.
La qualification de cadre dirigeant répond à des conditions strictement définies par l’article L. 3111-2 du code du travail. Lorsque celles-ci sont réunies, les conséquences sont importantes, puisque le salarié va échapper à une part conséquente de dispositions du code du travail, dont celles relatives aux repos et jours fériés (sauf stipulations contractuelles ou conventionnelles plus favorables, v. Soc. 27 juin 2012, n° 10-28.649, Dalloz actualité, 18 juill. 2012, obs. J. Siro ; D. 2012. 1830
; JS 2012, n° 125, p. 10, obs. G.D.
), aux astreintes (Soc. 28 oct. 2008, n° 07-42.487, Dalloz actualité, 13 nov. 2008, obs. C. Dechristé ; D. 2008. 2877
) ou encore aux heures supplémentaires (Soc. 21 oct. 1999, n° 97-43.025, RJS 1999. 856, n° 1471). Aussi ce statut peut-il, si sa régularité fait défaut, être contesté par le salarié aux fins d’obtenir les créances salariales relatives à une relation de travail de droit commun. Mais qu’en est-il de la prescription en la matière ? un salarié peut-il, plus de cinq années après la signature de son contrat, contester ledit statut et prétendre aux créances salariales afférentes à la requalification ? C’est à cette question que la chambre sociale de la Cour de cassation est venue répondre dans un arrêt de cassation du 4 décembre 2024.
En l’espèce un directeur de site, engagé en qualité de cadre dirigeant s’est vu licencié le 28 septembre 2018 et a saisi les juridictions prud’homales le 28 juin 2019 afin de contester son statut de cadre dirigeant ainsi que le bien-fondé de son licenciement et d’obtenir la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Les juges du fond le déboutèrent de sa demande de requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre en l’estimant prescrite, de sorte que l’intéressé forma un pourvoi en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation va, au visa des articles L. 1471-1, alinéa 1er, et L. 3245-1 du code du travail, prononcer la cassation de l’arrêt d’appel.
La prescription de l’action en requalification du statut de cadre dirigeant précisée
L’article L. 1471-1 du code du travail prévoit, en effet, que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Dans le même temps, l’article L. 3245-1 prévoit, quant à lui, que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Mais quelle prescription appliquer en matière de demande en requalification statutaire ?
L’éminente juridiction va sur ce point affirmer que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation de la qualité de cadre dirigeant est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail.
Aussi les juges d’appel avaient-ils ici considéré que le contrat positionnant le salarié en qualité de cadre dirigeant datait du 4 janvier 2010. L’action ayant été introduite en 2019, les magistrats en avaient déduit la prescription : « Pour dire prescrite la demande de requalification du statut de cadre dirigeant attribué au salarié en statut de cadre, l’arrêt, après avoir constaté que le contrat de travail du salarié, qui définissait son positionnement en qualité de cadre dirigeant, était daté du 4 janvier 2010 et que ce positionnement n’avait pas été modifié par l’avenant du 2 juillet 2012 qui élargissait ses responsabilités initiales à d’autres sites, retient que l’action en requalification introduite le 28 juin 2019 est prescrite. »
Dans la mesure où les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions portant sur la durée du travail et la répartition et aménagement des horaires, en ce inclus la législation relative aux heures supplémentaires, la demande afférente au titre des heures supplémentaires et repos compensateurs leur est apparue devoir être rejetée.
Erreur de raisonnement pour la chambre sociale, pour qui la prescription triennale n’était pas acquise. Ce n’est en effet pas la date de signature du contrat qui constitue le point de départ de la prescription, mais la naissance de la créance salariale. Il convenait ainsi de considérer les créances salariales sur une antériorité de trois ans à compter de la rupture du contrat.
Cette solution ne surprend pas en ce qu’elle vient faire application de la jurisprudence antérieure en matière de prescription salariale. La chambre sociale avait en effet pu déjà juger selon une rationalité du même ordre que l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur l’invalidité d’une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L. 3245-1 (Soc. 30 juin 2021, n° 19-10.161 B, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1293
; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue
; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; RDT 2021. 577, obs. D. Baugard
; ibid. 721, obs. G. Pignarre
), de même que pour la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet (Soc. 30 juin 2021, n° 19-14.543 B, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1293
; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue
; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; Dr. soc. 2021. 853, obs. C. Radé
; RDT 2021. 721, obs. G. Pignarre
).
L’article L. 3245-1 dispose, en effet, que « la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat », peu important que le contrat lui-même ait été signé plus de trois ans avant la rupture.
Cette solution apparaît assez favorable au salarié qui, bien qu’en mesure de connaître l’irrégularité inhérente à son statut de cadre dirigeant ab initio, n’engagerait son recours qu’au moment où la relation avec son employeur viendrait à se dégrader jusqu’à se rompre. Rappelons, en effet, que l’article L. 3245-1 prévoit que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter « du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
L’interprétation de l’article L. 3245-1 ici retenue par les Hauts magistrats aménage ainsi, pour le salarié injustement qualifié de cadre dirigeant il y a plusieurs années et qui voit son contrat rompu, un équilibre cohérent avec la jurisprudence antérieure sans priver l’intéressé de toute action tout en limitant ses prétentions salariales par la prescription triennale du code du travail.
Soc. 4 déc. 2024, FS-B, n° 23-12.436
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