La preuve de l’imputabilité du contrat revolving conclu sur support électronique
Les captures d’écran des signatures électroniques d’un contrat de crédit renouvelable sont insuffisantes à rapporter la preuve de l’imputabilité du contrat aux débiteurs.
Conscient des dangers liés au contrat de crédit renouvelable (communément appelé « crédit revolving »), le législateur a, parallèlement aux règles générales du crédit à la consommation, instauré des règles particulières par plusieurs lois adoptées entre 2003 et 2014. L’efficacité de ces mesures pour protéger le consommateur reste toutefois incertaine. C’est sans doute l’une des raisons ayant motivé l’adoption de l’ordonnance n° 2025-880 du 3 septembre 2025 relative au crédit à la consommation, dont l’analyse sera prochainement publiée dans nos colonnes au sein d’un dossier spécial.
Cet objectif de protection n’est toutefois pas exclusivement assuré par des lois spéciales adoptées en raison de la spécificité du contrat de crédit renouvelable. La décision rendue par le Tribunal judiciaire de Val de Briey le 5 août 2025 en fournit une illustration. À première vue, on pourrait croire qu’elle porte sur le respect des dispositions d’ordre public relatives au formalisme applicable au contrat revolving. En réalité, cette décision ne mobilise pas directement les mécanismes protecteurs du débiteur consommateur, mais offre l’occasion de revenir sur les règles relatives à l’admissibilité de la preuve en matière de contrat conclu sur support électronique.
Dans les faits, un couple a conclu un contrat de crédit renouvelable « Passeport crédit » avec la caisse de Crédit Mutuel dont l’ouverture de crédit s’élevait à un montant total de 25 000 €, montant utilisable par fractions ou en totalité selon les besoins des clients. Des mises à disposition de la réserve furent visiblement demandées et accordées pour financer plusieurs projets. En raison de sommes impayées à échéance, la banque mit en demeure les débiteurs de régulariser le débit de leur compte courant dans un délai de trente jours, ce qui n’a, visiblement, jamais été réalisée.
La banque assigna les débiteurs en demandant au juge, d’une part, de constater la résolution judiciaire du contrat pour « manquement grave et persistant » dans l’exécution de leurs obligations, et, d’autre part, leur condamnation solidaire au remboursement des sommes impayées augmentée des taux d’intérêt variables.
Après avoir rappelé que le contrat en cause était soumis aux dispositions d’ordre public des articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation, le juge envisagea la seule problématique de la caractérisation de la preuve de l’obligation dont le créancier réclame l’exécution. Pour se mettre à l’abri de toute critique du point de vue procédural, le moyen n’ayant pas été soulevé par les débiteurs à défaut de comparution à l’instance, les motifs de la décision précisent que cette question ne peut s’analyser en un moyen nouveau, mais comme un prolongement de la démonstration de la preuve de l’imputabilité du contrat au défendeur.
Les conditions d’imputabilité du contrat de crédit renouvelable conclu sur support électronique
Ce litige relatif au crédit renouvelable nous offre donc l’occasion de revenir sur l’écrit établi sous forme électronique, dont nul n’ignore qu’il est doté de la même force probante que l’écrit sur support papier comme le prévoyait déjà l’ancien article 1316-3 du code civil dans sa mouture issue de la loi du 13 mars 2000. Toutefois, le support numérique étant bien plus exposé aux risques de falsification que le support papier, l’article 1366 du code civil impose « que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Dans ce prolongement, l’affaire concerne la problématique du procédé utilisé pour apposer valablement la signature électronique, l’article 1367, alinéa 2, du code civil imposant le recours à un « procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ».
C’est donc sur le contenu de la notion de « fiabilité » du procédé que se cristallise entre autres le litige, notion de fiabilité qui, une fois n’est pas coutume, fait l’objet d’un renvoi législatif « en cascade » vers des décrets et législations européennes, ce qui n’en facilite pas sa détermination. Cette fiabilité, nous informe encore l’article précité, bénéficie d’une présomption simple lorsque « la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». On admettra que les termes utilisés sont quelque peu imprécis et impliquent de s’en rapporter aux textes auquel renvoie la disposition.
La terminologie utilisée par l’article 1er du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique est en réalité légèrement différente de celle du législateur. Il est toujours question de fiabilité du procédé présumé jusqu’à preuve contraire, mais en présence d’une signature électronique dite « qualifiée ». L’alinéa 2 de cet article précise que la signature qualifiée est une signature « avancée » au sens de l’article 26 du règlement (UE) n° 910/2014 du 23 juillet 2014 (dit « règlement e-IDAS ») et « créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié répondant aux exigences de l’article 29 dudit règlement, qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique répondant aux exigences de l’article 28 de ce règlement ». On comprend, du moins avec quelques efforts, à la lecture des textes européens, qu’il existe en réalité trois niveaux de signatures : la signature simple, qui est souvent une signature apposée sur un document numérique sans cadre de vérification précis, et dont la valeur probante est la plus faible, la signature avancée et la signature qualifiée. Cette dernière implique le recours à un certificat électronique qualifié délivré par une Autorité de certification agréée, l’utilisation d’un dispositif qualifié de création de signature (QSCD), ainsi que l’identification du signataire, souvent en physique ou à l’aide de procédures à distance strictement encadrées.
Résumons : le procédé, pour bénéficier de la présomption de fiabilité, doit recourir à une signature qualifiée, qui est une signature avancée créée par le biais d’un dispositif de création de signature électronique qualifié, dispositif qui doit lui-même reposé sur un « certificat qualifié de signature électronique »… au-delà du caractère indigeste de cet imbroglio, l’imbrication de termes aussi techniques ne participent pas à la clarté de la détermination de ce que recouvre la notion de procédé fiable d’identification (ce qui certainement l’une des raisons pour lesquelles la pratique de la signature électronique n’a pas rencontré le succès escompté auprès des praticiens, à l’exception peut-être des notaires).
Les seules captures d’écran de signatures électroniques sont insuffisantes pour remplir la condition d’imputabilité du contrat
C’est donc à la jurisprudence qu’est revenue la mission ô combien délicate de préciser, au gré des circonstances, ce qui est pour elle un procédé fiable de signature électronique. C’est ainsi que la Cour de cassation a notamment précisé, dans un arrêt du 13 mars 2024, que « le procédé consistant à scanner des signatures, s’il est valable, ne peut être assimilé à celui utilisé pour la signature électronique qui bénéficie d’une présomption de fiabilité par application de l’article 1367, alinéa 2, du code civil » (Com. 13 mars 2024, n° 22-16.487, inédit, RTD com. 2024. 352, obs. T. Douville
).
Dans notre présente décision, la banque verse justement aux débats des captures d’écran de signatures électroniques des débiteurs et un courrier adressé au juge indiquant qu’il trouvera joint les copies sur support papier des contrats électroniques générés par la société DOCUSIGN en sa qualité de tiers de confiance, dont le contrat de crédit renouvelable. Ils ajoutent que cette société a également fait procéder à la signature électronique des dits documents, dont le fichier de preuve est, toujours selon les propos du créancier, conservé par DOCUSIGN.
Au regard de la jurisprudence sur la question, la consistance des preuves apportée au débat par l’organisme bancaire paraît bien maigre. Le sens de la décision n’étonnera donc guère sur ce point : l’autorité judiciaire a conclu à l’absence d’établissement de la preuve de la signature du contrat, car les documents transmis par la banque « n’étaient pas suffisants » pour remplir la condition d’imputabilité de l’écrit. En effet, la signature électronique des débiteurs ne peut être tenue pour établie, dès lors qu’aucune précision n’est fournie sur les modalités de leur identification ni sur la vérification de leur identité, empêchant ainsi de faire le lien entre le contrat de crédit renouvelable et ces derniers. Enfin, aucun élément n’est versé au débat pour connaître les modalités de création des signatures et d’attester de l’utilisation d’un procédé fiable, ni des conditions de conservation garantissant l’absence de modification ultérieure.
La banque ne peut donc se prévaloir de la présomption de fiabilité du procédé d’identification. Or, si cette présomption avait pu jouer, il aurait appartenu au juge d’apprécier les éléments en sa possession pour renverser éventuellement la présomption comme en dispose l’article 288-1 du code de procédure civile. En l’espèce, les débiteurs n’ayant pas comparu à l’instance, la banque aurait très probablement obtenu une décision en sa faveur.
Quelle est donc, en l’espèce, la valeur probante des scans de signature électronique ? Bien que la signature ne soit pas qualifiée, il n’est pas exclu qu’elle soit tout de même revêtue d’une de force probante, comme le reconnaît expressément la Cour de cassation (v. par ex., Soc. 14 déc. 2022, n° 21-19.841, Dalloz actualité, 10 janv. 2023, obs. E. Maurel ; D. 2023. 14
; ibid. 2150, obs. A. Mendoza-Caminade, C. Le Stanc et P. Tréfigny
; JA 2023, n° 683, p. 39, étude M. Julien et J.-F. Paulin
; même sens, Civ. 1re, 25 avr. 2024, n° 22-10.720). La signature électronique qui ne répond pas à la notion de signature qualifiée pourrait éventuellement s’apparenter à un commencement de preuve devant être corroboré par d’autres éléments. Dans ces hypothèses, la partie doit prouver que le procédé utilisé garantit l’intégrité du document et qu’il émane du signataire.
Or, la production des seules impressions d’écran des signatures électroniques est, là encore, insuffisante pour le caractériser. Le créancier aurait donc dû verser, sans attendre une demande du juge en ce sens, l’ensemble des éléments techniques permettant de justifier de l’identité des signataires, du lien entre ces derniers et le contrat signé, de la conservation intègre du document, et, pour bénéficier de la présomption de fiabilité, produire le fameux certificat qualifié (v. not., sur la nécessité de sa production en justice, Dijon, 20 mai 2021, n° 19/00435). L’exigence du régime probatoire peut néanmoins se présenter comme un obstacle dirimant, au point de rendre en pratique le bénéfice de la présomption de fiabilité bien illusoire (pour un développement sur ce point, E. Vergès et G. Vial, La signature qualifiée : Graal ou simple idole ?, in Preuves scientifiques et technologiques, Cahier Droit, Sciences & Technologies, 19/2025, p. 311 s.).
On peut néanmoins se demander si cette décision ne fait pas montre d’une sévérité excessive en raison de son contexte. La production au débat d’un courrier indiquant que le Crédit Mutuel se tenait à la disposition du juge pour fournir tous les éléments prouvant la fiabilité du procédé utilisé aurait pu l’inciter à solliciter, par une note en délibéré (comme il le fait d’ailleurs en l’espèce à propos notamment de l’éventuelle requalification du contrat de crédit renouvelable) la production de ces éléments sur le fondement de l’article 442 du code de procédure civile. En dépit de l’absence de précisions sur le régime applicable à la note en délibéré, la jurisprudence reconnaît la possibilité de produire des pièces étayant une réponse à la question posée, sous couvert du respect du principe du contradictoire (pour des ex., Soc. 23 mai 2007, n° 05-42.401 P, D. 2007. 1667
; ibid. 2427, obs. N. Fricero
; RTD civ. 2007. 638, obs. R. Perrot
; même sens, Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 22-11.720). Toutefois, l’absence d’interrogation des parties sur les points litigieux dans le cadre d’une note en délibéré ne peut souffrir juridiquement d’aucun reproche, le juge disposant d’un pouvoir discrétionnaire sur ce point (pour une illustration, Soc. 11 mars 1976, n° 75-40.273 P). De manière plus générale, cette sévérité pourrait encore s’expliquer par le climat de défiance entourant le contrat de crédit renouvelable. Elle pourrait également justifier que le juge n’ait pas été incité à suppléer à la carence de la banque dans l’administration de la preuve.
On pourra donc retenir de cette décision que l’invitation à la production de pièces ne vaut pas production : il appartenait au créancier de fournir d’emblée le fichier de preuve pertinent en matière de support et de signature électroniques. La simple indication de sa disponibilité ne saurait se substituer à sa communication effective.
TJ Val de Briey, 5 août 2025, n° 25/00115
par Anne-Lise Souchay Maître de conférences à l’Université de Perpignan Via Domitia Membre du Centre de Droit Économique et du Développement Yves Serra
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