La prise d’activité de la Juridiction unifiée du brevet scrutée à l’aune de la sécurité juridique

Le 1er juin 2023, l’entrée en activité la Juridiction unifiée du brevet a marqué la prise d’effet du brevet européen à effet unitaire et le passage de la Sunrise Period à une période transitoire durant laquelle la Juridiction aura à répondre des promesses formulées en termes de sécurité juridique.

Le 1er juin 2023, est entré en vigueur l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, 2013/C 175/01 (AJUB), à la suite de sa ratification par l’Allemagne le 17 février 2023. Cette date signe la prise d’activité de la Juridiction unifiée du brevet (JUB), juridiction issue de la coopération renforcée de 25 États membres de l’Union européenne (décis. 2011/167/UE autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par le brevet) ayant compétence pour le règlement des litiges liés aux brevets européens et aux brevets unitaires (AJUB, art. 1).

Issus d’une histoire mouvementée, la JUB ainsi que le brevet unitaire ont fait l’objet de multiples commentaires, tantôt pessimistes, parfois optimistes, sur leur avenir commun. La prise d’activité de la juridiction marque ainsi un tournant dans le droit des brevets.

Cette nouvelle juridiction ainsi que le brevet unitaire devraient a priori renforcer la sécurité juridique des justiciables, notamment en permettant au brevet d’assurer une protection uniforme dans les dix-sept États membres ayant ratifié l’AJUB et en concentrant les litiges au sein d’une même juridiction. En effet, antérieurement au brevet unitaire et à la JUB, la seule protection offerte au niveau européen était le brevet européen, lequel était délivré par l’Office européen des brevets, mais qui éclatait par la suite en une multitude de brevets nationaux, sans règlement centralisé des litiges.

Depuis le 1er juin 2023, la juridiction est ainsi compétente pour le règlement des litiges liés aux brevets européens et aux brevets unitaires (AJUB, art. 1, al. 1).

Prise d’activité de la juridiction et début de la période transitoire

Fin de la Sunrise Period

La prise d’activité de la JUB a marqué la fin de la Sunrise Period, qui avait été ouverte suite à la ratification de l’Allemagne, et l’entrée dans la phase transitoire qui s’étalera sur une durée de sept ans, renouvelable une fois.

Dès le 1er janvier 2023, l’Office européen des brevets, chargé de délivrer le brevet européen auquel peut être attaché un effet unitaire, a permis aux justiciables de requérir le report de la décision de délivrer le brevet européen à la date d’application du règlement (UE) n° 1257/2012, afin que le brevet délivré puisse être inscrit en tant que brevet unitaire (JO OEB 2022, A102 ; JO OEB 2022, A104). Le justiciable avait également la possibilité de présenter une demande d’effet unitaire anticipée (JO OEB 2022, 16 ; JO OEB 2022, A105). Le lancement de la JUB et du brevet européen unitaire le 1er juin a mis fin à la possibilité de recourir à ces deux procédures transitoires. Il a conduit à l’inscription de l’effet unitaire pour les brevets pour lesquels une demande anticipée avait été effectuée et à la publication de la mention de délivrance des brevets européens dont le report de la décision avait été demandé au Bulletin européen des brevets.

Début de la phase transitoire

L’entrée dans la période transitoire laisse tout de même à disposition du justiciable deux procédures spécifiques (AJUB, art. 83), et ce durant toute la durée de la phase transitoire.

Premièrement, les actions en contrefaçon ou en nullité d’un brevet européen ou de Certificat complémentaire de protection (CCP) délivré pour un produit protégé par brevet européen pourront encore être engagées « devant les juridictions nationales ou d’autres autorités nationales compétentes » (AJUB, art. 83, § 1).

Deuxièmement, le demandeur ou titulaire d’un brevet européen, de même que le titulaire d’un CCP délivré pour un produit protégé par un brevet européen aura la possibilité de déroger à la compétence exclusive de la JUB (v. pour les détails de la procédure : AJUB, art. 83). Cette faculté, dite d’opt out, avait été ouverte dès le début de la Sunrise Period et concerne ainsi les demandes de brevets européens ayant atteint la phase finale de la procédure de délivrance.

L’entrée en vigueur de l’AJUB et la fin de la Sunrise Period ont eu pour conséquence la prise d’effet des demandes d’opt out dès le 1er juin 2023.

La JUB et le brevet européen unitaire sont ainsi, depuis le 1er juin 2023, devenus des réalités. L’OEB a affirmé avoir reçu à la fin du mois de mai 800 demandes d’effet unitaire et 4500 demandes de publication différée de délivrance du brevet européen. Les juges de la division centrale de la JUB ont quant à eux prêté serment le 1er juin 2023 à Paris et ceux de la cour d’appel le 5 juin 2023 à Luxembourg.

Section londonienne transférée à Milan

Une incertitude persiste cependant concernant l’activité de la JUB. L’AJUB prévoyait que le tribunal de première instance comprendrait une division centrale ainsi que des divisions locales et régionales, la division centrale ayant son siège à Paris et des sections à Londres et Munich. Selon l’Annexe II de l’AJUB, la section de Londres devait se voir attribuer le traitement des affaires relatives aux nécessités de la vie et à la chimie et métallurgie. Cependant, le Brexit est venu remettre en cause cette solution et condamner la section londonienne. Se posait ainsi encore la question de l’attribution de cette division.

Il semblerait qu’un accord ait été trouvé et que l’attribution de cette division revienne à l’Italie avec son implantation à Milan (communication sur la réunion du comité administratif, 2 juin 2023). On peut se poser la question de la solidité du système actuel, alors que l’article 7 de l’AJUB mentionne expressément qu’une section de la division centrale est localisée à Londres (v. not. à ce propos, RTD com. 2022. 47 ).

En attendant, il a été convenu que la répartition des affaires devant revenir à la future section de Milan devait obéir à la décision Présidium de la Juridiction unifiée du brevet du 8 mai 2023 (PR/08052023) répartissant les affaires en cause entre Paris et Munich, et ce jusqu’à la mise en œuvre de la solution définitive.

La machine est désormais en marche, reste à savoir si cette nouveauté dans le droit des brevets respectera ses promesses.

Les attentes pesant sur la Juridiction unifiée du brevet et le brevet unitaire et la promesse de sécurité juridique

L’une des grandes promesses du nouveau système est l’accroissement de la sécurité juridique des justiciables. En effet, le préambule de l’AJUB expose que la création de la juridiction répond notamment au désir « d’accroître la sécurité juridique par la création d’une juridiction unifiée du brevet pour le contentieux lié à la contrefaçon et à la validité du brevet ». En effet, la sécurité juridique se voit à présent renforcée par la concentration du contentieux sur une juridiction, qui plus est une juridiction spécialisée comprenant des juges qualifiés juridiquement et techniquement. Cependant, il convient de noter que la juridiction ne sera pas amenée à appliquer une législation unique, mais bien la législation nationale propre à chaque brevet unitaire. De plus, l’éclatement géographique de la division centrale vient tempérer ce constat.

On pourrait, de manière mesurée, considérer que si la prise d’activité de la JUB nourrit des inquiétudes inhérentes à tout nouveau système, particulièrement au regard de l’exigence de sécurité juridique, elle porte avec elle les espérances d’une réglementation plus prévisible et protectrice des justiciables.

Incertitudes

L’exigence de sécurité juridique a préoccupé le législateur et les observateurs, en particulier concernant les conséquences d’un titre européen en matière de traduction. En effet, la prévisibilité et la lisibilité du droit sont intimement liées à sa compréhension et donc à l’accès pour le justiciable à une traduction du titre et de ses revendications qui soit à même de définir clairement le contenu et l’étendue du titre. L’Espagne n’avait par ailleurs pas manqué l’occasion de le faire remarquer à la Cour de justice qui n’a cependant pas suivi sa démonstration (CJUE, gr. ch., 5 mai 2015, aff. C-147/13, Espagne c/ ConseilDalloz actualité, 16 juin 2015, obs. J. Daleau ; RTD eur. 2016. 364, obs. F. Benoît-Rohmer ).

Surtout, il convient de noter que l’exigence de sécurité juridique semble être une préoccupation particulièrement persistante concernant les PME, le préambule du règlement n° 1260/2012 prévoyant en son paragraphe 5 que les modalités de traduction des brevets unitaire « devraient garantir la sécurité juridique et stimuler l’innovation et profiter tout particulièrement aux petites et moyennes entreprises ».

Cette question renvoie plus largement aux coûts que risquent de supporter les justiciables face à un système aussi sophistiqué que celui-ci, conduisant le rédacteur à intégrer à la législation des dispositions permettant au besoin de moduler les coûts supportés par le justiciable (v. not., Règl. [UE] n° 1260/2012, art. 4).

Reste cependant à s’interroger sur le raisonnement concret et objectif que pourra adopter la juridiction pour rendre effectif cet objectif dont l’application reste aujourd’hui vague.

D’ailleurs, la portée de certaines dispositions est encore à déterminer du fait de leur rédaction vague. On pense ici notamment à l’article 42 de l’AJUB qui prévoit que « la Juridiction traite les litiges de manière proportionnée à leur importance et à leur complexité » et qu’elle « veille à ce que les règles, procédures et recours prévus par le présent accord et par les statuts soient utilisés de manière juste et équitable et ne faussent pas la concurrence ». En effet, cette disposition laisse une grande liberté au juge, notamment au travers du contrôle de proportionnalité, sans déterminer les conditions et limites à son pouvoir d’appréciation.

Espérances

Malgré l’incertitude, il convient de noter que le système a pour objectif d’introduire de la sécurité juridique, notamment en matière de délais de procédure.

Le règlement de procédure de la Juridiction unifiée du brevet, adopté le 31 août 2022 et entré en vigueur le 1er septembre 2022, prévoit en son préambule, paragraphe 8, que « la procédure doit être menée pour permettre normalement la tenue de l’audience finale sur les questions de contrefaçon et de validité en première instance dans un délai d’un an ». Quoi qu’il en soit, il sera dès lors intéressant d’observer dans le futur si la juridiction parvient à tenir ses promesses. Dans l’affirmative, on ne pourra que se réjouir du renforcement de la sécurité juridique des justiciables consécutive à l’intervention rapide d’une solution permettant de mettre un terme à l’incertitude du procès.

Par ailleurs, les dispositions des articles 35 et suivants de l’AJUB, concernant la médiation et l’arbitrage en matière de brevet, pourraient également permettre d’assurer une certaine sécurité juridique dans la résolution des conflits relatifs au brevet, de même que la possibilité d’opter pour la transaction à tout moment pendant le déroulé de l’instance définie à l’article 79 de l’AJUB, avec comme limite que la transaction ne peut avoir pour effet d’annuler ou limiter un brevet. Il reste à voir comment les justiciables s’approprieront ces mécanismes.

Enfin, la sécurité juridique des justiciables pourra se voir renforcée par l’harmonisation des droits nationaux résultant du paquet brevet et par la soumission de la réglementation au droit de l’Union. En effet, l’AJUB rappelle dans son préambule la primauté du droit de l’Union et le rôle de la Cour de justice en la matière. C’est l’article 20 de l’AJUB qui prévoit concrètement que la Juridiction unifiée du brevet se doit d’appliquer le droit de l’Union et de respecter sa primauté. L’article 21 expose notamment que « la Juridiction coopère avec la Cour de justice de l’Union européenne afin de garantir la bonne application et l’interprétation uniforme du droit de l’Union » et que « les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne sont contraignantes pour la Juridiction ». Cette disposition, indispensable, permet ainsi d’assurer la cohérence du système de protection des inventions brevetables en Europe. En effet, les législations nationales étant soumises au droit de l’Union, l’absence de soumission de la JUB au droit de l’Union européenne aurait eu pour conséquence la mise en place d’un système désharmonisé mettant à mal la sécurité juridique des justiciables. La soumission de la JUB à la primauté du droit de l’Union assure ainsi la verticalité du système et sa prévisibilité, concernant notamment l’interprétation par la JUB des dispositions relatives au brevet unitaire.

 

© Lefebvre Dalloz