La prise en charge AT-MP de la CPAM ne peut prouver, à elle seule, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie devant le juge prud’homal
La décision de prise en charge AT-MP rendue par la CPAM et inopposable à l’employeur ne peut constituer, à elle seule, la preuve de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie du salarié. Il appartient au juge prud’homal de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
Par un arrêt rendu le 10 septembre 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation précise la valeur probatoire des décisions de reconnaissance d’accidents du travail et de maladies professionnelles prises par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) dans le procès prud’homal.
La jurisprudence constante de la chambre sociale affirme un principe d’autonomie du droit du travail sur le droit de la sécurité sociale. Ainsi qu’il s’agisse d’un refus ou d’un accord de prise en charge, les décisions prises par les CPAM ou les juridictions statuant sur la reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle ne s’imposent pas au juge prud’homal (Soc. 8 juin 1994, n° 90-43.689 P, RJS 1994. 513, no 856 ; 18 sept. n° 22-20.471, inédit).
Cependant depuis l’arrêt publié au Bulletin le 18 septembre 2024 relatif à la qualification de l’inaptitude professionnelle, la chambre sociale admet que la décision de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle prise par la CPAM et qui n’a pas fait l’objet d’une remise en cause par les parties, s’impose au juge prud’homal (Soc. 18 sept. 2024, n° 22-22.782 B, D. 2025. 549, chron. M.-P. Lanoue, J. Thomas-Davost et M.-A. Valéry
; Dr. soc. 2025. 64, étude J. Morin
). Cet arrêt a fondé une nouvelle position sur l’autorité des décisions de prise en charge AT-MP dans le procès prud’homal. Le juge en droit du travail ne peut s’affranchir totalement des décisions de reconnaissance AT-MP notifiées par les organismes de sécurité sociale en l’absence de leur remise en cause par les parties. Cette prise de position de la chambre sociale a posé de nombreuses interrogations sur les contours de l’autonomie du juge prud’homal et de la branche de la sécurité sociale dédiée aux risques professionnels.
Dans son arrêt du 10 septembre 2025, la Haute juridiction apporte des précisions sur la valeur probatoire des décisions de prise en charge AT-MP dans le cadre du procès prud’homal.
En l’espèce, la CPAM avait notifié au salarié la reconnaissance de sa maladie professionnelle « rhinite allergique » dont les conditions sont fixées par le tableau n° 66. L’inopposabilité de la décision de prise en charge a été obtenue par l’employeur devant la commission de recours amiable. Licencié pour inaptitude, le salarié a soutenu devant la juridiction prud’homale que son inaptitude avait pour origine sa maladie professionnelle reconnue par décision de la CPAM et demandé les indemnités de rupture majorées en cas de licenciement pour inaptitude professionnelle. Si le Conseil de prud’hommes de Limoges a accueilli ses demandes par jugement du 3 juin 2022, la Cour d’appel de Limoges a infirmé le jugement au motif qu’aucun élément du dossier soumis par le salarié ne démontrait l’existence de la maladie professionnelle malgré la décision de la caisse. Le salarié allègue au pourvoi que la cour d’appel a inversé la charge de la preuve car, en tant que défendeur à l’instance d’appel, il n’avait pas à démontrer l’existence de sa maladie professionnelle et demande le bénéfice du régime de l’inaptitude professionnelle.
L’enjeu est de connaître la valeur probatoire des décisions prises par les organismes de sécurité sociale en reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle devant le juge prud’homal. En effet, si leurs décisions de prises en charge AT-MP disposent d’un caractère impératif dans le champ du droit du travail alors l’employeur devra démontrer l’origine non professionnelle de l’inaptitude.
Le juge prud’homal est-il lié par les décisions des organismes de sécurité sociale prises en matière de risques professionnels ?
La chambre sociale de la Cour de cassation déclare que la décision contestée de prise en charge AT-MP de la CPAM n’est pas de nature à constituer à elle seule la preuve de l’existence de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle dans le procès prud’homal. Le juge demeure souverain pour apprécier l’existence de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie du salarié dans le champ du droit du travail, il ne peut être tenu par la qualification réalisée par la caisse et remise en cause par les parties. Le salarié, qui ne peut se prévaloir de la seule décision de la CPAM, doit démontrer l’existence de son accident du travail ou de sa maladie professionnelle pour bénéficier des règles protectrices de l’inaptitude d’origine professionnelle prévues par le code du travail.
L’autonomie du juge prud’homal en matière de risques professionnels
Selon la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, le juge saisi d’un litige sur la qualification d’une inaptitude professionnelle doit apprécier, quel que soit le moment où l’inaptitude est constatée ou invoquée si celle-ci a, au moins partiellement, pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et si l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. Les juges du fond apprécient souverainement ces deux conditions (Soc. 9 juin 2010, n° 09-41.040 P, Dalloz actualité, 1er juill. 2010, obs. L. Perrin ; D. 2010. 1632
; 17 mai 2016, n° 14-23.702, inédit). Le salarié doit donc être victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle à l’origine de son état d’inaptitude pour obtenir l’application de ce régime protecteur.
Le code du travail ne contient pas de définition propre des risques professionnels. La référence aux notions d’« accident du travail » et de « maladie professionnelle » au sein de ses règles protectrices du salarié victime correspond aux définitions accordées par les articles L. 411-1 et suivants et L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale. Lorsque ces notions fondent les litiges issus de la relation de travail entre l’employeur et le salarié, le juge prud’homal détient la compétence pour statuer sur l’existence de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle en appliquant les critères fixés par le code de la sécurité sociale. Or, les règles en droit du travail et en droit de la sécurité sociale diffèrent pour statuer sur l’existence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Au regard de la protection accordée en droit de la sécurité sociale, les CPAM disposent d’un pouvoir d’instruction et de médecins spécialisés au sein d’une procédure structurée et contradictoire visant à garantir les droits du salarié et de l’employeur. À l’issue de cette procédure contradictoire, la décision prise par la caisse ne lie que ceux qui ont été parties de sorte qu’elle ne revêt aucun caractère indivisible au nom du principe jurisprudentiel de l’indépendance des rapports caisse-assuré et caisse-employeur.
En effet, à l’exception de la faute inexcusable, les règles de l’assurance AT-MP n’opposent pas directement le salarié et l’employeur l’un contre l’autre en vertu du principe de l’indépendance des rapports. Le salarié conserve les droits accordés par la décision de reconnaissance AT-MP même si l’employeur obtient son inopposabilité à la suite de son recours. Inversement, une décision initiale de refus de prise en charge reste définitive à l’égard de l’employeur mais peut, à la suite d’un recours recevable, être remise en cause à l’égard du salarié pour l’obtention des prestations sociales. Dès lors, peuvent coexister des décisions contradictoires sur la prise en charge AT-MP au sein de la sécurité sociale car les rapports entre le salarié et l’employeur sont dissociés.
Dans le domaine du droit du travail, l’employeur et le salarié sont opposés directement dans le procès pour obtenir gain de cause. L’enjeu financier que représente la reconnaissance du risque professionnel dans la relation de travail engendre de multiples contentieux. Dans ce cadre, reconnaître la valeur probatoire de la décision prise par les services spécialisés des organismes de sécurité sociale paraît légitime même si le juge prud’homal n’est pas tenu par les décisions rendues par la CPAM, celles-ci n’ayant pas autorité de la chose jugée, au sens de l’article 480 du code de procédure civile.
S’agissant de la qualification de l’inaptitude professionnelle, la chambre sociale a admis le caractère impératif de la décision prise par la caisse de sécurité sociale, non remise en cause par les parties, en matière de reconnaissance du risque professionnel devant le juge prud’homal (Soc. 18 sept. 2024, n° 22-22.782 B, D. 2025. 549, chron. M.-P. Lanoue, J. Thomas-Davost et M.-A. Valéry
; Dr. soc. 2025. 64, étude J. Morin
). En l’espèce, l’accident du travail avait été reconnu et n’avait pas fait l’objet d’une contestation par l’employeur. En l’absence de décisions contradictoires, rendues possibles par le principe de l’indépendance des rapports caisse-employeur et caisse-assuré, le juge doit appliquer en droit du travail la décision de la CPAM qui revêt l’autorité de la chose décidée. En présence de la preuve de l’accident du travail, le juge prud’homal doit apprécier le lien de causalité entre l’accident et l’inaptitude et la connaissance par l’employeur de l’origine professionnelle de l’inaptitude. Si dans cet arrêt publié au Bulletin, la Haute juridiction reconnaît en matière AT-MP le principe de l’autorité de la chose décidée, « la décision de la caisse ne déploie son autorité qu’en l’absence de toute remise en cause. De cette règle surgit aussitôt son ombre portée : a contrario, une décision de prise en charge contestée perd son caractère impératif devant le juge prud’homal » (Dr. soc. 2025. 64, obs. J. Morin
). Devant le conseil des prud’hommes, le caractère impératif de la décision de la caisse n’est relevé qu’en l’absence d’opposition, ce que confirme l’arrêt du 10 septembre 2025.
Dans notre arrêt, le juge prud’homal doit statuer sur l’origine professionnelle de l’inaptitude du salarié en présence d’une décision de prise de charge de la maladie professionnelle du tableau n° 66 de la caisse et d’une décision d’inopposabilité à l’égard de l’employeur rendue par la commission de recours amiable. En présence de décisions contradictoires conformes au principe d’indépendance des rapports, le juge du droit du travail doit rechercher l’existence de la maladie professionnelle en considérant la décision de prise en charge MP à l’égard du salarié comme l’un des éléments de preuve soumis par les parties au procès. Cette décision de reconnaissance de la pathologie professionnelle devenue définitive seulement à l’égard du salarié ne pouvait pas s’imposer dans le champ du droit du travail pour l’ensemble des parties.
La position de la Haute juridiction n’empêche pas les parties de se prévaloir de décisions des organismes de sécurité sociale et de débattre de leur bien-fondé lors du procès. Mais pour bénéficier des règles protectrices des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles au sein du code du travail, la charge de la preuve pèse sur le salarié qui ne peut se reposer sur la décision de reconnaissance de la caisse.
La charge de la preuve pesant sur le salarié en matière de risques professionnels
Le caractère impératif de la décision de prise en charge AT-MP par la caisse, en l’absence de contestation de cette dernière, implique un allègement de la preuve significatif pour le salarié. En effet, si la décision de prise en charge de la maladie professionnelle rendue par la CPAM permet d’établir à elle seule l’existence de la pathologie devant le juge, le salarié n’a plus qu’à apporter la preuve des deux conditions requises par le droit du travail : le lien entre son accident du travail ou sa maladie professionnelle et son inaptitude ainsi que leur connaissance par l’employeur lors du licenciement. Cependant dans cette affaire, les décisions relatives à la reconnaissance de la maladie professionnelle ne tendaient pas dans le même sens.
En l’espèce, la CPAM a reconnu la maladie professionnelle « rhinite allergique » du salarié décrite par le tableau n° 66. L’employeur a obtenu l’inopposabilité de la décision de prise en charge lors de son recours devant la commission de recours amiable car les conditions d’exposition au risque imposées par le tableau MP n’étaient pas réunies. En présence de ces décisions contradictoires, le juge ne peut être tenu par la décision initiale prise par la CPAM conformément à la jurisprudence de 2024.
Ainsi le salarié défenseur à l’instance d’appel doit établir :
- l’existence de sa maladie professionnelle au sens de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale ;
- le lien entre son inaptitude et la maladie professionnelle reconnue ;
- la connaissance de la maladie par l’employeur au moment du licenciement.
Le salarié ne peut se prévaloir de la seule décision de la CPAM pour obtenir le régime protecteur prévu par le code du travail aux prud’hommes. Il s’agit d’une nouvelle instruction du dossier AT-MP au procès pour bénéficier des règles protectrices prévues par le code du travail. Le fait que l’employeur était dans la position du demandeur à l’instance d’appel pour contester la qualification de l’inaptitude professionnelle n’a pas d’importance puisque le salarié doit en défense prouver en premier lieu l’existence de sa maladie professionnelle à l’origine de l’inaptitude afin d’obtenir l’indemnité de préavis et l’indemnité spéciale de licenciement afférentes. En effet, dans le cadre du procès prud’homal, les dispositions issues de l’article 9 du code de procédure civile en matière de preuve s’appliquent « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
La position de la chambre sociale sur la valeur probatoire des décisions de prise en charge AT-MP permet de reconnaître le pouvoir d’instruction des organismes de sécurité sociale en matière de risques professionnels tout en préservant l’autonomie du juge du droit du travail nécessaire pour statuer sans favoriser l’une des parties. En effet, l’admission du caractère impératif de décisions contradictoires imposerait au juge prud’homal d’appliquer à l’ensemble des parties au procès la décision de refus ou de prise en charge de la caisse peu importe si l’une des parties a obtenu son inopposabilité lors d’un recours précontentieux ou contentieux. En présence de décisions contradictoires sur la reconnaissance de l’AT-MP, le juge devrait opérer un choix sur la décision à prendre en compte sans respecter le principe de l’indépendance des rapports qui dissocie les effets de la contestation afin de ne pas léser l’autre partie en droit de la sécurité sociale.
Dans ce cas de figure, la charge de la preuve pesant sur le salarié n’est donc pas allégée par la décision de prise en charge rendue de l’organisme de sécurité sociale au titre de l’assurance AT-MP. Il s’agit d’un élément parmi d’autres éléments de preuve soumis au juge pour statuer sur la reconnaissance d’une inaptitude d’origine professionnelle et les droits afférents prévus par le code du travail. Or en l’espèce, les constatations médicales relevées par la cour d’appel ne permettaient pas de diagnostiquer la rhinite allergique prévue par le tableau MP n° 66.
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi au motif que l’inopposabilité à l’égard de l’employeur de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle n’empêche pas le salarié d’utiliser comme élément de preuve la décision de reconnaissance MP notifiée par la caisse. Cet élément de preuve est soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond pour statuer sur l’application des règles accordées aux victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles au sein du code du travail.
Soc. 10 sept. 2025, FS-B, n° 23-19.841
par Auréa Villeléger
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