La prise en charge AT-MP de la CPAM ne peut prouver, à elle seule, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie devant le juge prud’homal

La décision de prise en charge AT-MP rendue par la CPAM et remise en cause par l’employeur ne peut constituer, à elle seule, la preuve de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie du salarié. Il appartient au juge prud’homal de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

Par plusieurs arrêts du mois de septembre publiés au Bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation précise la valeur probatoire des décisions des organismes de sécurité sociale relatives à la prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) dans le cadre du procès prud’homal. Les enjeux liés à la législation des risques professionnels engendrent un important contentieux notamment au regard des garanties accordées au salarié contre le licenciement et à l’inaptitude professionnelle prévues par les articles L. 1226-7 et suivants du code du travail. La jurisprudence constante de la chambre sociale affirme un principe d’autonomie du droit du travail sur le droit de la sécurité sociale. Ainsi qu’il s’agisse d’un refus ou d’un accord de prise en charge, les décisions prises par les CPAM ou les juridictions statuant sur la reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle ne s’imposent pas au juge prud’homal (Soc. 8 juin 1994, n° 90-43.689 P ; 18 sept. 2024, n° 22-20.471).

Cependant depuis l’arrêt publié au Bulletin le 18 septembre 2024 relatif à la qualification de l’inaptitude professionnelle, la chambre sociale admet que la décision de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle prise par la CPAM et qui n’a pas fait l’objet d’une remise en cause par les parties, s’impose au juge prud’homal (Soc. 18 sept. 2024, n° 22-22.782 B, D. 2025. 549, chron. M.-P. Lanoue, J. Thomas-Davost et M.-A. Valéry ; Dr. soc. 2025. 64, étude J. Morin ; RDT 2025. 148, obs. F. Géa ). Cet arrêt a fondé une nouvelle position sur la valeur des décisions de prise en charge AT-MP dans le procès prud’homal. Le juge en droit du travail ne peut s’affranchir totalement des décisions de reconnaissance AT-MP notifiées par les organismes de sécurité sociale en l’absence de leur remise en cause par les parties. Cette prise de position de la chambre sociale a posé de nombreuses interrogations sur les contours de l’autonomie du juge prud’homal et de la branche de la sécurité sociale dédiée aux risques professionnels. À travers trois arrêts publiés au Bulletin de septembre concernant une décision de prise en charge AT-MP déclarée inopposable à l’employeur (Soc. 10 sept. 2025, n° 23-19.841 B, D. 2025. 1521 ), une contestation de l’employeur lors de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la caisse (Soc. 24 sept. 2025, n° 22-20.155 B) et une prise en charge non contestée avant le procès prud’homal (Soc. 10 sept. 2025, n° 24-12.900 B, D. 2025. 1520 ), la Cour de cassation détermine une solution générale pour aménager la preuve du risque professionnel et préserver l’autonomie du juge prud’homal.

L’autonomie du juge prud’homal en matière de risques professionnels

Pour bénéficier du régime protecteur des victimes d’AT-MP prévu par les articles L. 1226-7 et suivants du code du travail, le salarié doit apporter la preuve de trois critères : l’existence de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle au sens des articles L. 411-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, le lien de causalité avec l’inaptitude ou l’arrêt de travail ainsi que la connaissance de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie par l’employeur au moment du licenciement (Soc. 9 juin 2010, n° 09-41.040 P, Dalloz actualité, 1er juill. 2010, obs. L. Perrin ; D. 2010. 1632 ; 17 mai 2016, n° 14-23.702).

Concernant le premier critère de la matérialité de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, les CPAM disposent d’un pouvoir d’instruction et de médecins spécialisés au sein d’une procédure structurée et contradictoire visant à garantir les droits du salarié et de l’employeur. À l’issue de cette procédure contradictoire, la décision prise par la caisse ne lie que ceux qui ont été parties de sorte qu’elle ne revêt aucun caractère indivisible au nom du principe jurisprudentiel de l’indépendance des rapports caisse-assuré et caisse-employeur.

En effet, à l’exception de la faute inexcusable, les règles de l’assurance AT-MP n’opposent pas directement le salarié et l’employeur l’un contre l’autre en vertu du principe de l’indépendance des rapports. Le salarié conserve les droits accordés par la décision de reconnaissance AT-MP même si l’employeur obtient son inopposabilité à la suite de son recours. Inversement, une décision initiale de refus de prise en charge reste définitive à l’égard de l’employeur mais peut, à la suite d’un recours recevable, être remise en cause à l’égard du salarié pour l’obtention des prestations sociales. Dès lors, peuvent coexister des décisions contradictoires sur la prise en charge AT-MP au sein de la sécurité sociale car les rapports entre le salarié et l’employeur sont dissociés.

Dans le domaine du droit du travail, l’employeur et le salarié sont opposés directement dans le procès pour obtenir gain de cause. L’enjeu financier que représente la reconnaissance du risque professionnel dans la relation de travail engendre de multiples contentieux. Dans ce cadre, reconnaître la valeur probatoire de la décision prise par les services spécialisés des organismes de sécurité sociale paraît légitime même si le juge prud’homal n’est pas tenu par les décisions rendues par la CPAM, celles-ci n’ayant pas autorité de la chose jugée, au sens de l’article 480 du code de procédure civile.

Dans le premier arrêt (Soc. 10 sept. 2025, n° 23-19.841 B, préc.), la CPAM avait notifié au salarié la reconnaissance de sa maladie professionnelle « rhinite allergique » dont les conditions sont fixées par le tableau n° 66. L’inopposabilité de la décision de prise en charge a été obtenue par l’employeur devant la commission de recours amiable. Licencié pour inaptitude, le salarié utilisait la décision notifiée par la caisse comme présomption de l’existence de la maladie professionnelle à l’origine de son inaptitude. Selon lui, il incombait à l’employeur d’apporter la preuve contraire devant le juge.

La chambre sociale refuse de renverser la charge de la preuve et déclare que la décision de la caisse constitue un élément de preuve parmi les différentes pièces soumises à son appréciation qui ne suffit pas, à elle seule, à démontrer la matérialité de la maladie contestée par l’employeur. La décision de la CPAM n’a pas de caractère impératif dans le champ du droit du travail, elle ne pose pas une présomption d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Le juge du travail demeure souverain pour apprécier l’existence de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie du salarié, il ne peut être tenu par la qualification réalisée par la caisse et remise en cause par les parties. A fortiori, la simple demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle du salarié adressée à la CPAM et contestée par l’employeur ne suffit pas à prouver le caractère professionnel de la pathologie à l’origine de l’inaptitude au procès (Soc. 24 sept. 2025, n° 22-20.155 B).

S’agissant de la reconnaissance de l’accident du travail par la CPAM qui n’a pas fait l’objet d’une contestation de l’employeur avant le procès prud’homal, la chambre sociale refuse également d’accorder un caractère impératif à cette décision. En l’espèce, la salariée avait obtenu la requalification de son contrat d’intérim en CDI mais pas la nullité de la rupture intervenue pendant l’arrêt de travail pris en charge par la CPAM au titre de l’assurance AT-MP. L’entreprise utilisatrice, qui n’avait pas la qualité d’employeur au moment de l’accident, n’a pas pu contester la décision de prise en charge dans les délais impartis. Même en l’absence de recours devant la caisse ou devant les juridictions du pôle social, la prise en charge AT-MP ne suffit pas à caractériser la matérialité de l’accident ou de la maladie d’origine professionnelle en cas de débat devant le juge prud’homal sur ce critère (Soc. 10 sept. 2025, n° 24-12.900 B, D. 2025. 1520 , préc.). Dès lors, la « décision non remise en cause » de la caisse n’est pas simplement celle qui n’a pas fait l’objet d’un recours en matière de sécurité sociale mais celle qui n’est pas discutée par l’employeur lors du procès prud’homal. C’est seulement en l’absence de débat sur l’existence de l’AT-MP que la décision de la caisse s’impose au juge comme preuve de la matérialité du risque professionnel.

La position de la Haute juridiction n’empêche pas les parties de se prévaloir de décisions des organismes de sécurité sociale et de débattre de leur bien-fondé lors du procès. Mais pour bénéficier des règles protectrices des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles au sein du code du travail, la charge de la preuve pèse sur le salarié qui ne peut se reposer sur la décision de reconnaissance de la caisse en présence d’un débat contradictoire.

La charge de la preuve pesant sur le salarié en matière de risques professionnels

L’aménagement de la preuve opérée par la chambre sociale permet au salarié de caractériser l’existence son accident du travail ou de sa maladie professionnelle sur le fondement de la décision de la CPAM en tant qu’élément de fait existant devant le juge prud’homal. Bien que la Haute juridiction n’accorde pas de caractère impératif aux décisions des organismes de sécurité sociale, elle impose au juge de les prendre en compte dans son appréciation souveraine des éléments qui lui sont soumis pour statuer sur la nullité de la rupture du contrat de travail. En l’absence de débat sur la matérialité du risque professionnel lors du procès, le salarié n’a plus qu’à apporter la preuve des deux conditions requises par le droit du travail : le lien entre son accident du travail ou sa maladie professionnelle et son inaptitude ou arrêt de travail ainsi que leur connaissance par l’employeur lors du licenciement. L’employeur a donc tout intérêt a soulevé cet argument lors du procès car la charge de la preuve pèse sur le salarié.
Dans ces arrêts, l’employeur a toujours discuté de ce premier critère devant le juge prud’homal pour obtenir une nouvelle instruction. Le salarié ne peut se prévaloir de la seule décision de la CPAM pour obtenir le régime protecteur prévu par le code du travail aux prud’hommes.

La position de la chambre sociale sur la valeur probatoire des décisions de prise en charge AT-MP permet de reconnaitre le pouvoir d’instruction des organismes de sécurité sociale en matière de risques professionnels tout en préservant l’autonomie du juge du droit du travail nécessaire pour statuer. En effet, reconnaître un caractère impératif aux décisions de la CPAM soulèverait d’autres difficultés notamment au regard du principe de l’indépendance des rapports caisse-assuré et caisse-employeur. En effet, en présence de décisions contradictoires rendues possible en matière de sécurité sociale, le juge prud’homal serait contraint d’appliquer à l’ensemble des parties au procès la décision de refus ou de prise en charge de la caisse peu importe si l’une des parties a obtenu son inopposabilité lors d’un recours précontentieux ou contentieux. Le juge devrait opérer un choix sur la décision à prendre en compte sans respecter le principe de l’indépendance des rapports qui dissocie les effets de la contestation afin de ne pas léser l’autre partie en droit de la sécurité sociale. Par ailleurs, en cas de requalification du contrat de travail, illustré ici par le contrat d’intérim (Soc. 10 sept. 2025, n° 24-12.900 B, préc.), l’entreprise qui n’avait pas la qualité d’employeur lors de l’évènement ne pourrait pas bénéficier de la procédure d’instruction contradictoire réalisée par la caisse et former un recours dans les délais impartis. Le juge du travail doit préserver son autonomie au regard de la spécificité du droit de la sécurité sociale afin de ne pas défavoriser par avance l’une des parties au procès.

La charge de la preuve pesant sur le salarié n’est donc pas allégée par la décision de prise en charge rendue de l’organisme de sécurité sociale au titre de l’assurance AT-MP. La « décision non remise en cause » de la caisse n’est pas simplement celle qui n’a pas fait l’objet d’un recours en matière de sécurité sociale mais celle qui n’est pas discutée par l’employeur lors du procès prud’homal. C’est seulement en l’absence de débat sur l’existence de l’AT-MP que la décision de la caisse s’impose au juge comme preuve de la matérialité du risque professionnel. Le juge prud’homal conserve son pouvoir d’appréciation de l’existence de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle tout en prenant en compte les décisions des organismes de sécurité sociale pour former sa conviction.

 

Soc. 10 sept. 2025, FS-B, n° 23-19.841

Soc. 10 sept. 2025, FS-B, n° 24-12.900

Soc. 24 sept. 2025, FS-B, n° 22-20.155

par Auréa Villeléger

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