La proposition de loi contre le narcotrafic déçoit le secteur des cryptoactifs

Ce texte touffu comporte deux dispositions relatives à ce secteur, avec l’introduction d’une présomption de blanchiment et l’interdiction d’offrir des services d’anonymisation.

« Inutile et redondant », « flou », une « sur-transposition »… Les spécialistes français des cryptoactifs se disent déçus des deux dispositions relatives à ce secteur dans la proposition de loi contre le narcotrafic, adoptée à la fin avril après la commission mixte paritaire – le conseil constitutionnel vient d’enregistrer une saisine il y a quelques jours. Deux dispositions concernent en effet les cryptoactifs.

La première, l’article 7, complète des dispositions du code pénal et du code des douanes. Le législateur a ici introduit une présomption de blanchiment pour toute opération effectuée « au moyen d’un cryptoactif comportant une fonction d’anonymisation intégrée ou au moyen de tout type de compte ou de technique permettant l’anonymisation ou l’opacification des opérations en cryptoactifs ». Le législateur fait ici référence notamment aux « mixeurs » de cryptomonnaies, ces outils permettant de mélanger des transactions entre elles pour compliquer la traçabilité de ces actifs.

La seconde disposition est à retrouver à l’article 11 du texte adopté en commission mixte paritaire. Avec cette disposition, il s’agit cette fois-ci d’interdire aux prestataires de service sur actifs numériques d’offrir « tout type de service permettant l’anonymisation ou une opacification accrue des opérations ». C’est là aussi une référence aux « mixeurs » – mais pas seulement.

« Déjà retenue »

Tout d’abord, la présomption de blanchiment est à la fois critiquée et jugée inutile, car redondante juridiquement. « Tout ce qui introduit une présomption inverse la charge de la preuve, et ne facilite pas la discussion pour des acteurs de bonne foi », regrette l’avocat David Roche. Ces derniers auraient par exemple pu utiliser des outils d’anonymisation « par le passé pour des motifs légitimes, sans les documenter », poursuit-il. « De facto, l’infraction de blanchiment était déjà retenue dans des affaires pénales où les mis en cause utilisaient un mixeur de cryptomonnaies », l’un des outils d’anonymisation des transactions visé par le texte, abonde l’avocat Romain Chilly. Le timing est également maladroit, juge en substance l’avocat, après une actualité marquée par des enlèvements visant des détenteurs de cryptoactifs – ces derniers auraient des raisons légitimes de vouloir dissimuler leur patrimoine crypto.

Cette présomption de blanchiment, prévue par la proposition de loi à son dépôt, avait été étendue, par voie d’amendement au Sénat, sous la plume de Muriel Jourda et Jérôme Durain, les rapporteurs de la commission des lois, à la douane. L’amendement visait généralement, expliquaient les deux sénateurs, à « encourager le recours à la présomption de blanchiment » et à y intégrer les actifs numériques. « Les évolutions technologiques mettent en effet régulièrement en échec les services de la douane dans l’identification des bénéficiaires effectifs de ces fonds », soulignaient-ils.

Sur-transposition

Également inquiète des conséquences de cette première disposition – elle a ainsi plaidé en vain finalement auprès des députés pour une réécriture d’un texte jugé trop flou –, l’Association pour le développement des actifs numériques (ADAN) juge toutefois que c’est la seconde disposition du texte relative aux cryptoactifs qui est la plus problématique.

Elle a également été portée par un sénateur, Étienne Blanc, l’auteur de la proposition de loi avec Jérôme Durain. Elle vise, expliquait-il, à anticiper l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2024/1624, poussé notamment par le service de renseignement financier TRACFIN. Ce texte « prévoit en effet une interdiction à compter du 10 juillet 2027 de la tenue de tout compte permettant l’anonymisation ou une opacification accrue des transactions, y compris les mixeurs de cryptoactifs », rappelait le sénateur.

« Cette disposition n’a quasiment pas été discutée au Parlement », regrette Alizée Van Den Schrieck, juriste à l’ADAN. « Cela fragilise les acteurs français, car nous ne sommes plus cohérents avec le cadre juridique européen », relève-t-elle d’abord, y voyant une sur-transposition trop précoce. « L’interdiction communautaire est beaucoup plus ciblée et elle n’entre en application qu’en juillet 2027 », poursuit-elle. La juriste note également que la disposition risque d’être inopérante, « la majorité des services de mixage » visés opérant en effet « en dehors du périmètre régulé ». « Cela ne va rien changer, à part ajouter une couche de complexité aux acteurs de bonne foi », déplore-t-elle. 

 

© Lefebvre Dalloz