La protection de la paternité fait obstacle à un licenciement pour des manquements professionnels

Le licenciement d’un salarié intervenu durant les 10 semaines suivant la naissance de son enfant est nul dès lors que les manquements professionnels qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement ne caractérisent ni une faute grave ni une impossibilité de maintenir son contrat de travail pendant cette période.

Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les 10 semaines suivant la naissance de son enfant, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant (article L.1225-4-1 du code du travail). Toute rupture du contrat prononcée en méconnaissance de ces règles est nulle de plein droit et peut justifier l’attribution de dommages-intérêts.

Si un jeune père peut être licencié en raison de l’impossibilité de maintenir son contrat de travail…

Dans un arrêt du 27 septembre 2023, la Cour de cassation se prononce pour la première fois, à notre connaissance, dans le cadre d’une affaire où un employeur invoquait l’impossibilité pour lui de maintenir le contrat de travail d’un jeune père pendant la période de protection dite "relative" accordée à ce dernier par l’article L.1225-4-1 du code du travail.

► Si la Cour de cassation ne s’était encore jamais prononcée, à notre connaissance, sur l’impossibilité de maintenir le contrat de travail exigée par l’article L.1225-4-1 du code du travail, elle s’est en revanche déjà prononcée à plusieurs reprises, dans le cadre de la protection accordée par l’article L.1225-4 à la salariée enceinte, sur cette notion d’impossibilité pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Elle a ainsi jugé qu’une telle impossibilité ne peut se justifier que par des circonstances indépendantes du comportement de la salariée. L’employeur doit indiquer précisément le motif rendant impossible le maintien du contrat dans la lettre de licenciement, sous peine de nullité (arrêt du 21 mai 2008 ; arrêt du 24 avril 2013). Par exemple, ne suffisent pas, à eux seuls, à justifier la rupture le motif économique de licenciement (arrêt du 19 novembre 1997), la fin d’un chantier (arrêt du 29 mai 2013) ou l’inaptitude physique avec impossibilité de reclassement (arrêt du 3 novembre 2016 ; arrêt du 7 décembre 2017). En outre, ne caractérisent pas l’impossibilité de maintenir le contrat de travail une insuffisance professionnelle (arrêt du 27 avril 1989), l’application d’une clause conventionnelle autorisant le licenciement pour absence prolongée nécessitant le remplacement du salarié (arrêt du 28 octobre 1998) ou d’une clause contractuelle de résiliation automatique en cas de rupture du contrat de travail du conjoint (arrêt du 16 juin 2004).

En l’espèce, un responsable commercial est licencié pour cause réelle et sérieuse deux semaines après la naissance de son enfant. Estimant que la rupture de son contrat de travail est intervenue pendant la période de protection prévue à l’article L.1225-4-1 du code du travail, il saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la nullité de son licenciement.

… cette impossibilité ne peut pas être caractérisée par des manquements professionnels

La cour d’appel fait droit à sa demande, jugeant que l’employeur a été pleinement informé de la naissance de l’enfant et qu’il ne pouvait pas dès lors valablement licencier le salarié sans attendre l’écoulement du délai de 10 semaines en l’absence de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le contrat de travail. En effet, pour elle, le salarié n’avait pas été licencié pour faute grave mais pour une cause réelle et sérieuse, avec une dispense d’exécution du préavis. En outre, les manquements professionnels et le manque de loyauté à l’égard de l’entreprise depuis sa mise à pied à titre conservatoire reprochés au salarié dans sa lettre de licenciement ne caractérisaient pas une impossibilité de maintenir son contrat de travail pendant la période de protection de 10 semaines prévue par le code du travail.

► Si la cour d’appel juge que le salarié ne pouvait pas être licencié pendant la période de protection dite "relative", elle considère en revanche qu’il aurait été possible de le licencier pour les mêmes motifs après la fin de cette période. En d’autres termes, l’employeur aurait dû, en l’espèce, repousser l’engagement de la procédure de licenciement après l’expiration de la période de 10 semaines. Il résulte même d’une précédente décision de la Cour de cassation que l’employeur aurait pu préparer le licenciement pendant la période de protection, notamment en convoquant le salarié à l’entretien préalable et en menant cet entretien (arrêt du 30 septembre 2020). La Cour de cassation exige en effet seulement que le licenciement soit notifié après la période de 10 semaines.

Se reposant sur le contrôle exercé par la cour d’appel sur les griefs formulés à l’encontre du salarié dans la lettre de licenciement, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir prononcé la nullité du licenciement. Pour elle, la cour d’appel avait relevé par des motifs propres et adoptés que les griefs ainsi formulés ne caractérisaient pas une impossibilité de maintenir le contrat de travail du salarié pendant la période de protection de 10 semaines.

► A notre avis : cette solution paraît logique eu égard à la solution adoptée par la Cour de cassation en cas d’insuffisance professionnelle reprochée à une salariée enceinte pendant la période de protection qui lui est accordée par l’article L.1225-4 du code du travail. À ce titre, l’ensemble des solutions présentées ci-dessus nous semblent transposables dans le cadre de la protection de la paternité prévue par l’article L.1225-4-1 du même code.

 

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