La qualification procédurale de la « demande » de déchéance du droit aux intérêts formulée par la caution
La demande de la caution fondée sur le défaut d’information annuelle, lorsqu’elle tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par la banque à son encontre, constitue un moyen de défense au fond qui peut être présenté dans des conclusions ultérieures aux premières en cause d’appel, sans méconnaître l’article 910-4, devenu 915-2, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile.
Une banque consent un prêt professionnel à une personne physique d’un montant de 400 000 € au taux de 4,95 % remboursable en 120 mensualités. L’épouse de l’emprunteur se porte caution solidaire à hauteur de 480 000 €. L’emprunteur ayant été placé en liquidation judiciaire, la banque actionne la caution, laquelle invoque, en cause d’appel, la déchéance de la banque du droit aux intérêts pour manquement à son obligation d’information annuelle de la caution.
La particularité procédurale de l’espèce est là : c’est dans des conclusions ultérieures aux premières que la caution a adopté cette ligne de « défense ». Or, de l’avis du juge d’appel, il lui incombait de concentrer une telle « prétention » dans les premières conclusions conformément à l’article 910-4, devenu 915-2, alinéa 2 et 3, du code de procédure civile. Faute de l’avoir fait, la cour d’appel la déclare irrecevable en sa « demande » de déchéance du droit aux intérêts.
La caution se pourvoit en cassation. Elle s’appuie sur l’exception prévue à l’article 910-4, alinéa 2, devenu 915-2, alinéa 3, à savoir que « demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ».
La chambre commerciale est à la cassation, mais moyennant un raisonnement assez différent, développé au visa des articles 71 et 910-4 du code de procédure civile : « la demande de la caution fondée sur le défaut d’information annuelle, lorsqu’elle tend seulement au rejet de la demande en paiement des intérêts au taux contractuel formée par la banque à son encontre, constitue un moyen de défense au fond qui peut être présenté dans des conclusions ultérieures ». Autrement dit, la chambre commerciale voit dans la « demande » de déchéance du droit aux intérêts de la banque non une prétention au fond, une véritable demande dirait-on, mais un simple moyen de défense qui n’est, comme tel, pas concerné par le principe de concentration porté par l’article 910-4 du code de procédure civile.
Voici un arrêt à verser au chapitre particulier du droit processuel du cautionnement et, surtout, au chapitre plus général de l’identification des prétentions en procédure civile. Il s’inscrit harmonieusement dans la jurisprudence de la Cour (v. not., Civ. 1re, 18 déc. 2024, n° 23-15.688, AJDI 2025. 132
; ibid. 132
; ibid. 133
; ibid. 133
; RDI 2025. 303, obs. J. Bruttin
; Civ. 2e, 16 janv. 2025, n° 22-17.956, Dalloz actualité, 4 févr. 2025, obs. M. Barba ; D. 2025. 505, obs. N. Fricero
), du moins en première analyse. Il appelle quelques brèves observations.
Prétention de réplique ou simple défense au fond ?
Tout d’abord, force est d’admettre que la cassation ne procède pas du raisonnement proposé par la requérante, qui voyait plutôt dans sa demande de déchéance du droit aux intérêts une « prétention de réplique » au sens de l’article 910-4, alinéa 2, du code de procédure civile. La chambre commerciale se place sur un autre plan : elle disqualifie, plus fondamentalement, l’application même du principe de concentration à la demande de déchéance du droit aux intérêts, en y voyant un moyen de défense quasiment structurel. Elle semble donc penser que, quel que soit le lieu – discussion ou dispositif – où est située la « demande » de déchéance du droit aux intérêts, il s’agit toujours d’un moyen de défense lorsque la caution est actionnée et sollicite essentiellement le rejet des demandes. La localisation n’est plus du tout décisive ; seule l’objectif véritablement poursuivi paraît importer.
En pratique, on préconisera néanmoins non seulement de concentrer ce type de fausse demande au premier jeu de conclusions en cause d’appel mais encore de la reprendre au dispositif des conclusions : cela coupera court à toute discussion sur leur recevabilité et sur la question de savoir si la cour en est bien saisie, ce qui est encore le mieux. Au pire, la caution s’entendra dire que ce n’est pas là une véritable prétention, de sorte que sa place n’est pas au dispositif.
Défense au fond ou demande reconventionnelle ?
Ensuite, une autre question, mais étroitement liée, est de savoir si, sollicitant ainsi la déchéance du droit aux intérêts, la caution est demeurée défenderesse ou si elle est devenue demanderesse, auquel cas l’article 910-4 du code de procédure civile aurait pu retrouver à s’appliquer. De ce point de vue, la chambre commerciale reste fidèle à la ligne jurisprudentielle globale qu’on connaît aujourd’hui : lorsque la caution se borne à demander le rejet – total ou partiel – de sa condamnation en invoquant, comme au soutien de cette prétention de défense par excellence, la déchéance du droit aux intérêts, elle reste défenderesse (et la « demande » de déchéance du droit aux intérêts reste une simple défense au fond et même un simple moyen au soutien de la prétention au rejet, Civ. 1re, avis, 18 sept. 2019, n° 19-70.013, D. 2019. 2282
, note G. Poissonnier
).
Allons même plus loin avec Julien Théron : « Une demande de déchéance (…) ne peut être assimilée à une demande reconventionnelle. La caution l’invoquant ne demande au juge un autre avantage que le simple rejet de la prétention adverse. Au moment où elle l’invoque, elle n’a encore rien versé et la question d’une éventuelle restitution ne se pose donc guère. Il y a ainsi une simple défense au fond. Puisqu’elle n’a rien versé, elle ne demande rien d’autre que de ne pas payer ou de pas tout payer. Ce moyen n’a qu’une aptitude : éviter de payer tout ou partie de la garantie, et rien que cela » (J. Théron, La qualification des moyens de défense invoqués par la caution à l’aune de la structuration de ses conclusions, JCP 2025. Act. 252). Il s’agirait donc, on le redit, d’un moyen de défense structurel, à moins, bien sûr, que la caution invoque pareille déchéance pour obtenir la répétition d’un indu.
On ne suivra en revanche pas l’auteur lorsqu’il considère que ce moyen – la déchéance du droit aux intérêts – « ne peut être invoqué de manière autonome dans un procès à titre de demande à l’encontre du créancier » de sorte que « avant qu’on lui demande, la caution ne peut agir pour faire déclarer que la sûreté est (totalement ou partiellement) inefficace à son égard ». Même si le présent arrêt incline possiblement en ce sens, le soussigné ne perçoit pas bien ce qui l’interdirait, étant entendu que la récente décision de la chambre commerciale rendue à propos de la disproportion n’est pas immédiatement transposable à l’hypothèse de la déchéance du droit aux intérêts, notamment en ce que c’est l’exception de retour à meilleure fortune qui interdit à la caution d’agir préventivement (Com. 18 déc. 2024, n° 22-13.721, Dalloz actualité, 8 janv. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 430
, note J.-M. Chandler
).
On concèdera en revanche, et bien volontiers, qu’une caution normalement constituée, qui n’a encore rien payé, n’attaque pas son créancier potentiel : il est de bon ton d’attendre d’être actionné pour se défendre… ne serait-ce que pour laisser courir autant que possible la prescription. La meilleure défense n’est pas toujours l’attaque.
Faveur processuelle aux cautions
Enfin, plus généralement, on retrouve dans cet arrêt une sorte de faveur aux cautions qui résistent à l’action de la banque prêteuse, faveur qui est traditionnellement substantielle (elle se déploie sur le plan du droit matériel) mais qui est aussi, et régulièrement aujourd’hui, processuelle (elle se déploie sur le plan procédural). Il n’y a pas lieu de s’en émouvoir : la procédure civile est avant tout une discipline servante et il est donc normal que la faveur qui teinte le droit applicable au fond atteigne le droit processuel pertinent, par capillarité.
En outre, en tant que droit servant toujours, la procédure civile ne doit pas entraver excessivement la réalisation du droit servi – en l’occurrence le droit des sûretés. Ce dernier permet à la caution de se défendre en invoquant la déchéance du droit aux intérêts de la banque prêteuse. Il va de soi que l’on attend généralement de la caution qu’elle observe la règle du jeu, c’est-à-dire les règles de procédure civile. Mais il devrait aussi aller de soi que cette dernière ne doit pas rendre exagérément difficile l’articulation d’une telle défense, en particulier dans le contentieux bancaire structurellement asymétrique. C’est pourquoi la solution de la chambre commerciale nous semble à la fois exacte en droit et judicieuse en soi.
Il reste qu’elle alimente sans épuiser la réflexion récurrente qui porte sur la distinction des prétentions et moyens dans la justice civile, dont il devient de plus en plus difficile de rendre compte au fil des arrêts et en fonction des contentieux. Sans doute conviendra-t-il un jour de clarifier tout à fait ces notions centrales aux nombreux dispositifs que les autorités jurisprudentielles et légiférantes prisent plus que de raison.
Com. 18 juin 2025, F-B, n° 24-11.243
par Maxime Barba, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Codirecteur de l’IEJ de Grenoble
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