La recevabilité des demandes incidentes formées devant le juge de la rétractation
Selon l’article 496, alinéa 2, du code de procédure civile, s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. Il résulte de l’article 497 du code de procédure civile, que le juge saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête est investi des pouvoirs du juge qui l’a rendue et peut la rétracter ou la modifier. Ayant retenu à bon droit que le juge de la rétractation pouvait modifier la mission telle qu’elle a été initialement définie, en la complétant ou l’amendant afin qu’elle soit limitée dans son étendue et dans le temps, puis relevé que la demande de modification de l’ordonnance entreprise était formée à titre subsidiaire en réponse à la demande de rétractation, la cour d’appel en a exactement déduit qu’aucune irrecevabilité ne pouvait être retenue sur le fondement des dispositions précitées.
À force de lire, sous la plume des magistrats de la Cour de cassation, que l’instance en rétractation a pour unique objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire et que la saisine du juge se trouve limitée à cet objet (Civ. 2e, 19 mai 2022, n° 20-16.883, inédit ; 14 avr. 2022, n° 21-11.189, inédit ; 24 mars 2022, n° 20-21.925 P, Dalloz actualité, 21 avr. 2022, obs. N. Hoffshir ; Rev. prat. rec. 2022. 6, chron. C. Simon
; RTD civ. 2022. 971, obs. N. Cayrol
; 19 mars 2020, n° 19-11.323 P, Dalloz actualité, 11 juin 2020, obs. G. Sansone ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero
; Rev. prat. rec. 2020. 12, obs. J. Couturier, E. Jullien et O. Salati
; 27 sept. 2018, n° 17-20.127 P, Dalloz actualité, 22 oct. 2018, obs. C.-S. Pinat ; D. 2018. 1920
; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; 23 juin 2016, n° 15-20.893, inédit, AJDI 2016. 705
; Com. 4 déc. 2012, n° 11-26.962, inédit, RTD civ. 2013. 173, obs. R. Perrot
; Civ. 2e, 9 sept. 2010, n° 09-69.936 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2010, obs. C. Tahri ; D. 2010. 2166
), on en vient à se demander si le juge saisi de la demande de rétractation, ou la cour d’appel qui hérite de ses prérogatives, peut encore modifier l’ordonnance préalablement rendue. Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 23 novembre 2023 dissipe certains des doutes que l’on pouvait avoir à cet égard.
Le président d’un tribunal de commerce, saisi à la requête d’une société se plaignant d’agissements constitutifs de concurrence déloyale et de dénigrement, avait désigné un commissaire de justice aux fins de mener diverses opérations d’investigation au siège social d’une société concurrente. Celle-ci a naturellement sollicité la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête. Mais, pour sa défense, la société requérante a demandé, à titre subsidiaire, au juge de modifier les mesures qu’il avait précédemment ordonnées. La cour d’appel l’admît en limitant les pièces qui devaient être collectées par le commissaire de justice. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation approuva cette manière de procéder en se fondant sur les motifs reproduits ci-dessus.
Cet arrêt révèle, une nouvelle fois, une tension relative à l’office du juge de la rétractation.
Lorsqu’on examine les pouvoirs du juge des requêtes, il ne fait guère de doute que celui-ci doit pouvoir rétracter la décision qu’il a rendue, mais aussi modifier les mesures qu’il a ordonnées. Le président du tribunal statue sur requête sur « toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement » (C. pr. civ., art. 845 et 875). Afin d’assurer la protection des intérêts sur lesquels il doit veiller, il ordonne des mesures provisoires dont les effets ne s’épuisent pas toujours en un trait de temps : il peut par exemple nommer un administrateur provisoire à l’effet de gérer le patrimoine commun d’époux (Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.160 P, D. 1996. 263
; RTD civ. 1997. 725, obs. B. Vareille
) ou une copropriété (Civ. 3e, 8 juin 2005, n° 04-12.515 P) ou encore un mandataire de justice à l’effet de poursuivre les instances en cours (Com. 30 oct. 2007, n° 06-16.129 et n° 06-16.178 P, Dalloz actualité, 13 nov. 2007, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2008. 191, obs. J.-L. Vallens
). Lorsque les mesures ordonnées deviennent inadaptées ou inutiles, le juge des requêtes doit naturellement pouvoir être à nouveau saisi ; l’article 497 ne dit rien d’autre lorsqu’il prévoit que le juge « a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance ». Il n’est dès lors pas étonnant qu’il soit jugé que le juge saisi de la demande sur requête, ou la cour d’appel après lui, doit apprécier les mérites de la requête au jour où il statue (Civ. 2e, 20 mars 2014, n° 13-11.135 P, Dalloz actualité, 4 avr. 2014, obs. M. Kebir ; ²²²²²D. 2014. 783
; ibid. 2478, obs. J.-D. Bretzner, A. Aynès et I. Darret-Courgeon
; Rev. sociétés 2014. 429, note A. Cerati-Gauthier
; RTD civ. 2014. 441, obs. R. Perrot
; 14 nov. 2013, n° 12-26.187, inédit, RTD civ. 2014. 162, obs. R. Perrot
; 3 oct. 2002, nos 01-00.177 et 01-00.326 P, D. 2002. 2916
; Civ. 3e, 2 oct. 2001, n° 99-12.382, inédit, RTD civ. 2002. 146, obs. R. Perrot
; Civ. 2e, 12 janv. 1994, n° 92-14.605 P, RTD civ. 1994. 426, obs. R. Perrot
; 20 nov. 1987, n° 84-13.129 P). Il en découle qu’il relève effectivement des pouvoirs du juge de la rétractation de modifier l’étendue des mesures ordonnées (Civ. 2e, 23 juin 2016, n° 15-20.893, préc.).
Mais cette manière de voir les choses se heurte à l’idée, toujours lancinante, selon laquelle les termes du débat seraient comme cristallisés par le contenu de la requête remise au juge ; quelque part, le recours exercé ne pourrait conduire qu’à la rétractation ou à la validation de l’ordonnance. C’est ainsi que les demandes incidentes sont fréquemment déclarées irrecevables, qu’elles soient formées par le requérant (Civ. 2e, 9 sept. 2010, n° 09-69.936, préc.) ou par le tiers agissant aux fins de rétractation (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-20.127, préc.). Cela tient sans doute, dans l’esprit des juges, à la dissociation de l’office du juge des requêtes et de celui du juge des référés. Le juge des requêtes n’a pas en principe pour mission d’ordonner contradictoirement des mesures provisoires et, s’il peut être saisi en référé, c’est uniquement aux fins de rétracter les décisions prises non contradictoirement : il n’y a en effet dans le recours de l’article 496 qu’ « un cas d’utilisation spéciale de la procédure de référé » (H. Motulsky, Rapport de synthèse, in Les ordonnances sur requête dans la pratique judiciaire française. Colloque des instituts d’études judiciaires de Lille (mai 1964), Librairies techniques 1967, p. 55, spéc. p. 64). Réciproquement, un juge des référés ne saurait statuer à titre incident sur la rétractation d’une ordonnance sur requête (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.323 P).
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation tente de parvenir à un équilibre en prenant appui sur l’article 497 du code de procédure civile. Sans accorder au requérant le droit de former n’importe quelle demande nouvelle, pour peu qu’elle se rattache à ses prétentions originaires par un lien suffisant, elle lui reconnaît néanmoins la faculté de soulever une demande qui n’était pas contenue dans sa requête dès lors qu’elle vise à limiter l’objet de la mesure précédemment ordonnée et est formée à titre subsidiaire, en réponse à la demande de rétractation. Sans remettre en cause totalement l’office du juge de la rétractation, cela permet au requérant de se défendre et tend à exclure tout « risque de déséquilibrer le débat au détriment du requérant » (R. Perrot, note ss. Paris, 16 déc. 1983, RTD civ. 1984. 367). En toile de fond, on peut pratiquement déceler le principe du contradictoire et cette solution est finalement assez heureuse…
© Lefebvre Dalloz