La reconnaissance mutuelle, mais pas n’importe comment !
Dans deux arrêts rendus les 4 et 11 septembre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne apporte un éclairage sur l’articulation de la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen avec la décision-cadre 2008/909/JAI relative à la reconnaissance entre États membres des jugements prononçant des peines privatives de liberté.
Dans une première espèce (CJUE 4 sept. 2025, C.J., aff. C-305/22, ci-après « le premier arrêt »), une peine d’emprisonnement est prononcée à l’encontre d’un individu par la cour d’appel de Bucarest, qui émet un mandat d’arrêt européen (MAE) en vue de l’exécution de cette peine sur le territoire roumain. Le condamné, qui réside en Italie, y est arrêté peu de temps après, ce dont l’autorité d’émission est informée par le ministère de la Justice italien, qui lui demande la transmission du MAE. À cette occasion, la juridiction bucarestoise informe l’autorité judiciaire italienne qu’en cas de refus, par celle-ci, d’exécuter le MAE, elle s’opposerait à ce que le jugement roumain soit reconnu en Italie et à ce que la peine correspondante y soit exécutée. Ignorant superbement cette réserve, la Cour d’appel de Rome refuse l’exécution du MAE, reconnaît le jugement et ordonne l’exécution de la condamnation roumaine sur le territoire italien en vue d’accroître les chances de réinsertion sociale du condamné. La décision de reconnaissance du jugement est communiquée aux autorités roumaines, qui sont informées de ce que le condamné fait l’objet d’un mandat d’exécution sous forme d’assignation à résidence avec sursis concomitant. Maintenant leur désaccord, les autorités roumaines indiquent aux autorités italiennes qu’elles conservent le droit d’exécuter le jugement de condamnation prononcé à Bucarest tant qu’elles ne seront pas informées du début de l’exécution de sa peine d’emprisonnement par le condamné, et que le MAE précédemment émis reste en vigueur. En vue de statuer sur une opposition à l’exécution du jugement formée par sa deuxième chambre pénale, la Cour d’appel de Bucarest décide de surseoir à statuer pour saisir la Cour de justice à titre préjudiciel.
Dans une seconde affaire (CJUE 11 sept. 2025, YX, aff. C-215/24, ci-après « le second arrêt »), un MAE est transmis à l’autorité judiciaire espagnole par le Tribunal d’arrondissement de Porto, visant un individu condamné par cette juridiction à une peine de jours-amende dont le solde est resté impayé. L’intéressé ayant transféré sa résidence en Espagne, l’autorité d’exécution refuse, pour les mêmes motifs que dans l’espèce précédente, la remise de l’individu aux autorités portugaises, déclare reconnaître le jugement portuan et ordonne l’exécution de la peine correspondante sur le territoire espagnol. Celle-ci est, par la suite, suspendue pendant une période de deux ans par le Tribunal pénal de Madrid, conformément au droit national. À la demande du ministère public portugais, le Tribunal d’arrondissement de Porto saisit la Cour de justice à titre préjudiciel.
Ces deux espèces, comparables dans leur déroulement, soulèvent la question de l’articulation des dispositions de deux décisions-cadres, consacrées à des mécanismes distincts mais qui poursuivent, dans les cas qui les mobilisent conjointement, des objectifs comparables.
La prise en charge, par l’État d’exécution, de la peine prononcée par l’État d’émission
Par souci d’efficacité et de rupture avec les rigueurs et les aléas de la procédure d’extradition, la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remises entre États membres (ci-après, « la décision-cadre 2002/584 ») érige en tant que principe, en son article 1er, l’exécution de tout MAE sur la base du principe de reconnaissance mutuelle. Ce principe ne tolère aucune autre exception que celles, obligatoires, prévues en son article 3, et celles, facultatives, énumérées en ses articles 4 et 4 bis. Parmi ces dernières, qui sont d’interprétation stricte (CJUE 6 juin 2023, O.G., aff. C-700/21, pt 33, Dalloz actualité, 27 juin 2023, obs. T. Besse ; AJDA 2023. 1542, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic
; D. 2023. 1120
), l’article 4, point 6 de la décision-cadre 2002/584 prévoit que l’État d’exécution peut refuser d’exécuter un MAE si celui-ci « a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne ». Quoiqu’elle puisse s’apparenter à une résurgence du principe de non-extradition des nationaux, pourtant écarté entre États membres, cette clause vise en réalité à « accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée » (CJUE 17 juill. 2008, Kozłowski, aff. C-66/08, pt 45, D. 2008. 2227
; RSC 2009. 197, obs. L. Idot
). C’est précisément pour ces motifs que les juridictions italienne et espagnole ont, dans les deux espèces ici rapportées, refusé d’exécuter les MAE émis, respectivement, par les autorités judiciaires roumaine et portugaise.
Ce motif facultatif d’inexécution repose ainsi sur une double condition : l’une, tenant à la personne recherchée, à savoir que cette dernière demeure dans l’État d’exécution, en est ressortissante ou y réside ; l’autre, tenant à l’État d’exécution lui-même, à savoir que ce dernier s’engage à faire exécuter sur son territoire la peine pour laquelle le MAE a été émis, conformément à son droit national. Cet engagement constitue la contrepartie du refus opposé à la demande de remise formulée par l’État d’émission, qui pourra se satisfaire de l’exécution, à l’étranger, de la peine qu’il avait prononcée sur son territoire : justice a été rendue, et le principe de confiance mutuelle entre États membres devrait, idéalement, dissiper toute suspicion entretenue à l’égard du système judiciaire de l’État d’exécution… Toutefois, c’est aller un peu vite en besogne que de considérer, comme l’ont fait les autorités italienne et espagnole dans les espèces ici évoquées, qu’il suffit simplement à l’autorité d’exécution de prendre le jugement étranger, le reconnaître et ordonner l’exécution de la peine qu’il prononce sur son propre territoire sans demander son avis à l’autorité d’émission.
Le recueil nécessaire du consentement de l’État d’émission
En effet, la libre circulation des jugements pénaux souhaitée par le législateur européen ne saurait s’affranchir des règles garantissant que la confiance que se doivent mutuellement les États membres ne soit ébranlée par les différences subsistant entre droits nationaux. La décision-cadre 2008/909/JAI du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (ci-après, « la décision-cadre 2008/909 »), a été établie en vue d’établir les conditions et la procédure devant être respectées afin de permettre l’exécution, par les autorités judiciaires d’un État membre, d’une peine privative de liberté prononcée par celles d’un autre. Son objectif est comparable à celui du motif facultatif de non-exécution d’un MAE prévu par l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, puisqu’il est de « faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée » (Décision-cadre 2008/909, art. 3, § 1). De l’identité d’objectifs poursuivis par ces dispositions, la CJUE déduit que la mise en œuvre de l’une ne va pas sans le respect de l’autre (1er arrêt, pt 47 ; 2nd arrêt, pt 46).
L’articulation des deux décisions-cadres avait été envisagée dès 2008 par le législateur européen. En effet, le motif facultatif prévu par l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 est explicitement évoqué par l’article 25 de la décision-cadre 2008/909, lequel prévoit que les dispositions de celle-ci « s’appliquent, mutatis mutandis dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions de [la décision-cadre 2002/584], à l’exécution des condamnations dans les cas où un État membre s’engage à exécuter la condamnation conformément à l’article 4, point 6), de ladite décision-cadre ». La Cour de justice en déduit que dans ce cas de figure, « la reconnaissance du jugement de condamnation à cette peine et […] la prise en charge de l’exécution de ladite peine sont régies par la décision-cadre 2008/909 » (1er arrêt, pt 51 ; 2nd arrêt, pt 47).
Concrètement, cela signifie que l’État refusant d’exécuter un MAE en invoquant le motif de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 est tenu, sous réserve d’éventuelles incompatibilités ponctuelles, de suivre la procédure prescrite par la décision-cadre 2008/909, en particulier en ce qui concerne la transmission du jugement et du certificat l’accompagnant, laquelle traduit le consentement, nécessaire, de l’État d’émission à ce que l’État d’exécution prenne en charge l’exécution de la peine sur son territoire. Or, cette exigence de consentement est jugée compatible avec l’objectif d’accroissement des chances de réinsertion sociale de la personne condamnée, poursuivi par l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 (1er arrêt, pt 60). En effet, pour important qu’il soit, cet objectif ne saurait être laissé à l’appréciation du seul État d’exécution, qui ne peut imposer la sienne à l’État d’émission au mépris des raisons valables qu’aurait ce dernier d’exiger que la peine soit exécutée sur son territoire (1er arrêt, pts 61-66 ; 2nd arrêt, pt 50). Les instruments de consultation prévus dans les décisions-cadres de 2002 et 2008 doivent, à ce titre, permettre d’instaurer un dialogue à même d’éclairer les États membres concernés sur la décision la plus opportune (1er arrêt, pts 68-69 ; 2nd arrêt, pts 51-52). Dans les deux arrêts commentés, le consentement des autorités d’émission n’avait semble-t-il pas été recueilli par les autorités d’exécution ; a fortiori dans la première espèce, où l’autorité d’émission roumaine avait clairement fait connaître son opposition à la reconnaissance du jugement et l’exécution de la peine sur le territoire italien, et n’avait pas transmis le certificat devant accompagner le jugement de condamnation en vue de sa reconnaissance à l’étranger. Telle opposition, jugée conforme au droit de l’Union (1er arrêt, pt 72), préserve-t-elle à l’État d’émission son droit d’exécuter la peine prononcée par ses juridictions et de maintenir le MAE émis ?
Le maintien en vigueur du jugement et du MAE par l’État d’émission
L’article 22, § 1er, de la décision-cadre 2008/909 prévoit que « l’État d’émission n’exécute pas une condamnation dès lors que l’exécution de cette condamnation a commencé dans l’État d’exécution ». Cette disposition vise à protéger la personne condamnée contre une « surpénalisation » contraire au volet substantiel du principe ne bis in idem. Le second paragraphe de l’article n’y fait exception que dans le cas où l’État d’exécution a informé l’État d’émission de la non-exécution partielle de la condamnation : ce dernier recouvre alors son droit d’exécuter la peine pour sa part non-exécutée. Toutefois, ce mécanisme trouve sa limite dans sa source : l’interdiction d’exécuter à nouveau une peine déjà exécutée suppose qu’elle l’ait été conformément au dispositif procédural prévu par la décision-cadre 2008/909. La Cour de justice en juge ainsi dans le premier arrêt, au motif de la préservation du système de coopération judiciaire établi en droit de l’Union et de l’objectif de lutte contre l’impunité qu’il poursuit, lesquels seraient menacés par un contournement des règles ainsi prévues (1er arrêt, pts 78-80). Le souci légitime d’assurer au condamné de plus grandes chances de réinsertion sociale ne saurait, dans cette optique, servir de prétexte systématique et unilatéral à un refus d’exécuter un MAE. Le non-respect, comme en l’espèce, de la procédure prévue en droit de l’Union a donc pour effet de rétablir le droit de l’État d’émission d’exécuter la peine et de maintenir le MAE précédemment émis – sous réserve toutefois, le cas échéant, de s’assurer de la proportionnalité d’un tel maintien et de ses conséquences, notamment au regard de la période de détention déjà subie par l’intéressé au sein du premier État d’exécution (1er arrêt, pts 85-87).
Reste à savoir si le MAE ainsi maintenu pourrait être exécuté sans que soit méconnu le principe ne bis in idem, lequel fonde, entre États membres, un motif obligatoire de refus d’exécution d’un MAE (Décision-cadre 2002/584, art. 3, pt 2). La réponse est, à l’évidence, négative (1er arrêt, pts 93 s.). En effet, ce principe repose, dans sa dimension procédurale, sur l’existence d’un jugement définitif visant les mêmes faits. Tel jugement, qui implique une décision prise à l’issue d’une appréciation sur le fond de l’affaire, ne saurait résulter de la seule reconnaissance – a fortiori irrégulière – par l’État d’exécution du jugement de condamnation prononcé par les juridictions de l’État d’émission pour refuser d’exécuter un MAE sur le fondement de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584.
Le maintien en la forme de la peine par l’État d’exécution
Le second arrêt commenté apporte enfin des précisions utiles sur l’étendue des pouvoirs des autorités judiciaires de l’État d’exécution dans l’hypothèse où, celles-ci ayant refusé d’exécuter un MAE sur le fondement de l’article 4, point 6 de la décision-cadre 2002/584, elles se sont engagées à reconnaître le jugement prononcé par les autorités de l’État d’émission et à prendre en charge l’exécution de la peine privative de liberté y afférente. En effet, en l’espèce, à la suite de la reconnaissance du jugement portugais par l’autorité compétente en Espagne, l’exécution de la peine y a été suspendue par une autorité judiciaire distincte. En supposant que l’État d’émission ait bien donné son consentement à une telle reconnaissance (ce qui n’apparaissait pas clairement dans cette affaire), la décision-cadre 2008/909 permettait-elle une telle suspension, décidée unilatéralement par une autre autorité que celle qui était saisie du MAE ?
Sur ce point, deux dispositions de la décision-cadre étaient susceptibles d’être mobilisées : l’article 8, qui limite la possibilité pour l’État d’exécution d’adapter la condamnation reconnue aux cas où la durée et la nature de celle-ci sont incompatibles avec son droit national ; et l’article 17, qui réserve aux autorités de l’État d’exécution la compétence pour décider des modalités d’exécution de la peine, y compris en matière de libération anticipée ou conditionnelle. Or, la mesure de suspension – donc de sursis – prise en l’espèce ne relève nullement des cas prévus par l’article 8 (2nd arrêt, pt 61) ; et s’il ne paraît pas inconcevable d’assimiler, comme le faisait en l’espèce le gouvernement espagnol, une telle mesure à une modalité d’exécution de la peine, plusieurs éléments plaidaient à l’encontre d’une telle assimilation. D’abord, l’économie de l’article 17 semble répondre aux difficultés susceptibles de découler de mesures prises après le début de l’exécution de la peine, ce qui n’est pas le cas d’une mesure de suspension prise avant exécution comme en l’espèce (2nd arrêt, pts 73-74). Ensuite, le législateur européen a voulu régir la reconnaissance des jugements et décisions de probation au sein d’une décision-cadre 2008/947, dont les dispositions confèrent la compétence pour décider de surseoir à l’exécution de la peine aux autorités compétentes de l’État d’émission (2nd arrêt, pts 76-79). En outre, la confiance réciproque que se doivent les États membres dans la mise en œuvre des instruments de reconnaissance mutuelle s’accorde difficilement avec l’appréciation unilatérale, par l’autorité d’exécution, de l’opportunité de surseoir à l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée sans sursis par l’autorité d’émission (2nd arrêt, pts 80-85). Enfin, si l’autorité d’exécution peut être valablement conduite, en cas de non-respect de ses obligations probatoires par le condamné, à révoquer un tel sursis (CJUE 22 déc. 2017, Ardic, aff. C-571/17 PPU, pts 77-78 ; 23 mars 2023, Minister for Justice and Equality, aff. C-514/21 et C-515/21, pts 53-54), cette décision n’est pas de même nature que celle, relevant de la compétence de l’autorité d’émission, d’accorder initialement ce sursis (2nd arrêt, pts 88-91).
Par conséquent, il n’est pas loisible à l’autorité d’exécution ayant reconnu le jugement de condamnation d’en modifier la teneur, comme ce fut le cas en l’espèce, au-delà de ce qui lui était permis par les dispositions de l’article 8 de la décision-cadre 2008/909.
CJUE, gr. ch., 4 sept. 2025, C.J., aff. C-305/22
CJUE 11 sept. 2025, YX, aff. C-215/24
par Thomas Besse, Maître de conférences à l’Université de Caen Normandie, ICReJ (UR 967)
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