La réforme de l’assurance des émeutes : le régime des catastrophes naturelles comme modèle

En ce qu’elles ont affecté des symboles de l’État, les émeutes de l’été 2023 ont exacerbé la crise de l’assurance des collectivités territoriales. Deux rapports parlementaires, qui relèvent l’inefficacité de la couverture assurantielle des émeutes, suggèrent de la compléter par des mécanismes de socialisation, tel celui s’appliquant aux catastrophes naturelles.

Annus horribilis « Les français passent d’un sentiment de résilience post-covid à un sentiment de vulnérabilité » (France Assureurs, Pour une France assurable, communiqué de presse, 30 mars 2024, p. 26) L’année 2023 a particulièrement été éprouvante pour le secteur de l’assurance et pour de nombreux assurés. Aux côtés du risque climatique – dont on a pris l’habitude et la mesure de l’occurrence (J.-S. Bagendabanga, L’assurance des catastrophes naturelles : à la recherche de l’équilibre et de l’efficacité perdus, RCA 2024. 12 s.) –, les violences urbaines survenues l’été dernier ont mis en exergue les difficultés que soulève le risque d’émeute pour l’assurance. France Assureurs, auditionné par la mission parlementaire ad hoc, chiffre le montant de dommages versés au titre de ces émeutes à 793 millions d’euros (pour un total de 16 400 sinistres) soit le quadruple du coût des émeutes de 2005 et le triple des dommages pris en charge au titre de la crise des gilets jaunes (F.-N. Buffet, Rapport d’information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023, Sénat, avr. 2024, p. 44). Pis, 5 % de dommages déclarés et représentant plus du quart de l’enveloppe globale d’indemnisation concernent des biens appartenant à des collectivités locales. Aussi, pour 94 % de communes, des édifices publics ont fait l’objet de dégradations (J.-F. Husson, Rapport d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, Sénat, mars 2024, p. 42 et 59) à l’heure même où l’assurabilité de ces dernières est compromise (R. Gaspar, Assurances des collectivités : rien ne va plus, Gaz. cnes, 20 nov. 2023) et qu’un deuxième rapport, interministériel cette fois, est attendu sur la question (G. Dauvergne, Groupama : l’ex-président hérite d’une mission sur les difficultés d’assurance des collectivités, L’Argus de l’assurance, 25 oct. 2023). Aussi, ces violences urbaines ont-elles « mis en évidence les dysfonctionnements du marché assurantiel des collectivités » et ont-elles été autant « les révélateurs d’une atrophie de ce secteur allant jusqu’à un risque d’insoutenabilité du système financier de l’assurance » (J.-F. Husson, rapp. préc., p. 50) qu’un « cauchemar symptomatique des fragilités du modèle assurantiel des collectivités territoriales » (F.-N. Buffet, rapp. préc., p. 136).

Dans ce contexte anxiogène exacerbé par la double crise de l’autorité (H. Arendt, La crise de la culture, Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 143 s.) et de l’explosion de la violence (V. Vedin et J.-F. Dortier (coord.), Violence(s) et société aujourd’hui, Sciences Humaines, 2011), le risque de recrudescence des émeutes n’est pas exclu et avec lui, les atteintes aux biens des collectivités locales (D. Chabanet et X. Weppe, Pourquoi les émeutiers s’en prennent-ils aux services publics ?, RFAP 2017. 631). Alors que les assureurs, dépassés notamment par la sinistralité des collectivités territoriales se désengagent ou durcissent les conditions de l’assurance, les rapports parlementaires préconisent une socialisation du risque inspirée du régime des catastrophes naturelles.

Le péril de l’inassurabilité : la méfiance de l’assurance privée

Désengagement et durcissement des conditions de garantie

Par essence, les émeutes constituent un risque exclu de la garantie d’assurance (C. assur., art. 121-8). Puisqu’il ne s’agit pas d’une exclusion d’ordre public, les parties peuvent convenir de garantir le risque par le mécanisme du rachat de l’exclusion (J. Bigot, J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, préf. G. Durry, t. 5, Les assurances de dommages, 2014, LGDJ, n° 131, p. 70). Il importe de relever qu’au sujet des récentes émeutes, la réactivité, la célérité de la mobilisation (F.-N. Buffet, rapp. préc, p. 134), voire « la mansuétude » des assureurs (L. Bloch, Violences urbaines et émeutes : mais que fait la police (d’assurance) ?, RCA 2023. 8) ont été saluées. Plus globalement d’ailleurs, l’assurance des collectivités territoriales, qui a connu un essor particulier à la faveur de la décentralisation (J. Bigot, V. Heuzé, J. Kullmann, L. Mayaux, R. Schulz et K. Sontag, Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurance, 2e éd., 2014, LGDJ, p. 1447, n° 2800), a constitué un mécanisme important de gestion des risques des entités infra-étatiques confrontées à des compétences et à des responsabilités plus grandes. Cependant, c’est davantage au niveau des mesures consécutives aux émeutes que se sont cristallisés l’incompréhension et le mécontentement des élus locaux (Face au désengagement des assureurs : « Nous, maires de petites villes de France, appelons le gouvernement à agir ! », Le Monde, 20 nov. 2023).

Mise en place à titre facultatif et par voie conventionnelle, la garantie des émeutes est soumise à la liberté contractuelle. Cependant, du fait de la crise de l’assurance des collectivités territoriales – encore accrue par les récentes émeutes –, les assureurs, méfiants à l’égard de ce risque, usent de leur « prérogative contractuelle » (v. L. Molina, La prérogative contractuelle, préf. L. Aynès, LGDJ, 2022, t. 619) afin de remettre en selle le régime et de rationaliser la couverture de ce risque. Il en découle, au mieux, le durcissement des conditions de garantie et, au pire, le désengagement des assureurs à l’égard de certaines collectivités.

Le calvaire des collectivités territoriales prend deux formes essentielles. A la suite des émeutes, près de la moitié des communes ont vu leurs contrats résiliés (avec des délais de préavis inférieurs à la durée nécessaire pour un appel d’offres) ou modifiés au motif du contexte socio-économique de la commune et du risque de répétition. (F.-N. Buffet, rapp. préc., p. 136) ; traduisant de fait un désengagement des assureurs sur ce risque ou entrainant une couverture dérisoire et coûteuse. Les modifications des contrats concernent la hausse quasi systématique de la prime constatée dans plus de 87 % de communes. Elles portent surtout sur la hausse des franchises, chiffrée entre 20 et 100 % et franchissant le seuil de 2 millions d’euros pour certaines communes (J.-F. Husson, rapp. préc., p. 26.) Par ailleurs, les collectivités qui voient se dégrader irrémédiablement leur assurabilité ne disposent pas, en réalité, de choix. Les assureurs ne se ruent pas aux portes des collectivités, dont les appels d’offre demeurent infructueux pour bon nombre d’entre elles (sur cette procédure, v. P. Moreau, Les marchés publics d’assurance, Lamy, 2014).

L’improbable résorption de la crise par l’assurance privée

En ce qu’elles sollicitent uniquement l’assurance privée, certaines préconisations envisagées par les rapports parlementaires ne sont pas de nature à résorber à elles seules la crise. En effet, une première proposition consiste à systématiser l’obligation de motiver la résiliation des contrats d’assurance (C. assur., art. L. 113-12-1), dont ne bénéficient pas actuellement les collectivités locales (J.-F. Husson, rapp. préc., p.88) Cependant, l’intérêt de cette obligation est relatif, en ce qu’elle vise simplement à prévenir les résiliations abusives. Or, la charge trop lourde qu’impliquent les émeutes et le risque de leur répétition constituent des motifs légitimes de résiliation, dont l’assureur n’aura pas de peine à apporter la preuve (v. N. Leblond, La motivation de la résiliation du contrat d’assurance par l’assureur, RGDA 2023, n° 27). Sans résorber la crise, ce mécanisme aurait tout simplement le mérite de garantir une forme de paix des braves entre les parties. Une deuxième proposition consiste à rallonger le délai de préavis en le portant à six mois au minimum en cas de résiliation d’un contrat par l’assureur (J.-F. Husson, rapp. préc., p. 88). L’on relèvera qu’à la faveur d’un arrêt rendu par le Conseil d’État, il a été admis qu’une collectivité peut, pour un motif d’intérêt général, s’opposer à une résiliation et imposer à l’assureur de poursuivre l’instruction pendant une durée n’excédant pas une année (CE 12 juill. 2023, n° 469319, Dalloz actualité, 12 sept. 2023, obs. F. Bottini ; Lebon ; AJDA 2023. 1366 ; ibid. 2184 , note P. Bourdon ; AJCT 2023. 640, obs. O. Didriche ; ibid. 606, étude J.-D. Dreyfus ). Cependant, du fait du désengagement des assureurs et du temps long des procédures de passation des marchés publics, il n’est pas certain que l’allongement du délai de préavis permette à la collectivité de s’assurer de nouveau. Enfin, une dernière proposition a consisté en la systématisation des franchises afin de garantir notamment un cercle vertueux et une incitation plus grande à la prévention des risques. Concrètement, il s’agit plutôt d’un mécanisme mêlant l’auto-assurance, en deçà du seuil fixé par la franchise, et l’assurance classique, pour la tranche au-delà (J.-F. Husson, rapp. préc., p. 85.) Cependant, s’agissant des émeutes, les montants des franchises – qui sont particulièrement importants –, traduisent une volonté des assureurs de restreindre considérablement leur intervention et sont rédhibitoires même pour des communes plus ou moins aisées (v. R. Gaspar et Y. C. Mariné, L’auto-assurance, une idée qui inquiète les associations des élus, Gaz. cnes, 23 juin 2023). Il apparaît donc que la seule assurance privée ne saurait faire face à la prise en charge des conséquences des émeutes. Ces dernières requièrent que la solidarité nationale prenne le dessus sur l’assurance et que « la mutualité s’efface devant la Nation » (B. Beigner et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 4e éd, LGDJ, 2021, n° 500, p. 472 ; v. aussi, A. Guégan-Lecuyer, Dommages de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, LGDJ, t. 472, 2006, nos 143 s.)

Le pari de la socialisation : le modèle discutable de l’assurance des catastrophes naturelles

Les vertus du modèle

L’on peut s’étonner que malgré la crise qui la secoue (J.-S. Bagendabanga, art. préc., RCA 2024. 12), l’assurance des catastrophes naturelles serve de modèle et inspire. Les rapports parlementaires envisagent presque la socialisation comme un modèle messianique, une recette miraculeuse. En effet, les parlementaires constatent que le désengagement des assureurs s’explique par « l’absence du dispositif assurantiel nationalisé permettant de prendre en charge les dégâts occasionnés par des mouvements émeutiers d’ampleur » (F.-N. Buffet, rapp. préc., p. 137) et proposent une intervention plus grande des pouvoirs publics.

Mis en place par une loi du 13 juillet 1982 (C. assur., art. L. 125-1 s.), le modèle sur lequel il repose permet une prise en charge plus ou moins efficace des dommages que la seule assurance privée ne saurait être en mesure de garantir. À la vérité, le modèle ne manque pas de vertus. D’abord, son équilibre financier repose sur une intervention plus grande de l’État – faisant de l’assureur un gestionnaire des sinistres (H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselin, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, p. 800, n° 1217) – notamment, à travers la garantie d’État et la réassurance publique via la Caisse centrale de réassurance CCR). Ensuite, la surprime unique pour tous les souscripteurs et fixée par les pouvoirs publics préserve de l’antisélection autant qu’elle permet une meilleure solidarité entre les assurés (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd, Dalloz, 2017, p. 26, n° 33).

Ce sont ces vertus qui semblent avoir séduit les parlementaires, lesquels proposent de dupliquer le modèle. La nouvelle assurance des émeutes affectant des biens appartenant aux collectivités locales serait financée par une surprime prélevée sur tous les contrats d’assurance « dommages aux biens » souscrits par les collectivités territoriales. Dans une approche de complémentarité, elle ferait intervenir l’assurance privée, la CCR qui prendrait soit au moins 50 % des sinistres, soit la totalité au-delà d’un seuil fixé annuellement et, en dernier ressort, l’État au moyen d’une garantie illimitée si les réserves du réassureurs publics sont limitées. Sur le plan processuel, la garantie serait subordonnée à l’édiction d’un arrêté de reconnaissance d’émeutes consécutif à des dégradations massives du mobilier urbain (J.-F. Husson, rapp. préc., p. 94.)

Au vrai, la proposition est pleine de promesses. L’on ne doute point que cette étatisation du régime garantisse l’assurabilité des émeutes en réduisant considérablement la charge financière des assureurs et, partant, la prime due par les collectivités locales. L’incertitude et l’aléa moral qui rendent difficiles la modélisation de ce risque en renforçant la méfiance des assureurs, confortent la nécessité d’une intervention étatique. Il est aussi possible que cette nouvelle donne attire les assureurs qui se sont désengagés du marché et garantissent un marché davantage concurrentiel.

Les méandres du modèle

Toutefois, le choix du modèle des catastrophes naturelles soulève aussi des problématiques au regard des méandres et des vicissitudes (S. Hourdeau, L’assurance des catastrophes naturelles : les vicissitudes d’un genre hybride, RGDA 2013. 511) qui en compromettent l’équilibre. L’adossement de la couverture de ce risque à la CCR peut susciter des inquiétudes quant on sait que du fait de l’ampleur des risques naturels, les comptes du réassureur public sont déficitaires (CCR, Rapport sur la solvabilité et la situation financière Solvabilité 2 au 31 déc. 2022, 2023, p. 18). Par ailleurs, le choix de la stratégie du « quoiqu’il en coûte », qui semble avoir présidé à cette option de la socialisation, peut aussi interpeller. France Assureurs a dressé le constat de l’essor d’une société du risque (France Assureurs, communiqué de presse, préc., p. 26) au sein de laquelle la diversité des risques n’a pour égal que leur occurrence et leurs conséquences financières amplifiées. Face à la déflagration des risques, faudra-t-il inlassablement solliciter l’État au péril des finances publiques ? Il nous semble qu’une question fondamentale sur l’assurance de l’avenir (F. Morlaye, L’assurance demain. État des lieux et vision prospective, Dunod, 2021) se pose sans qu’une réponse efficace n’y soit apportée pour l’instant.


L’enjeu semble donc être celui des critères de reconnaissance de l’état d’émeutes (à l’instar du critère de l’intensité anormale de l’agent naturel s’agissant des catastrophes naturelles) et de l’application pratique qui en sera faite. De la flexibilité ou de la rigidité du critère dépendront l’équilibre financier du régime et le droit à l’indemnisation des collectivités. Puisque le mécanisme est celui du tout ou rien, selon que l’état d’émeutes est reconnu ou non, il y a fort à craindre que le critère de caractérisation retenu prive la collectivité locale d’une indemnisation à laquelle elle aurait pu avoir droit dans un système reposant sur la seule assurance. L’inquiétude est d’autant plus légitime que, par le passé, la notion d’émeute a soulevé des difficultés quant à son appréhension (sur l’exclusion du critère de spontanéité dans la caractérisation de l’émeute, v. Civ. 2e, 17 nov. 2016, n° 15-44.116, RCA 2017. Comm. 60, note H. Groutel.) Il n’est pas sans intérêt de souligner aussi le risque de lenteur de l’indemnisation due à cette complexité procédurale ainsi que l’inévitable contentieux qui découlera de la reconnaissance de l’état d’émeutes. L’objectif d’une meilleure indemnisation pourrait donc susciter des problématiques toutes nouvelles.


Nous espérons vivement que le rapport de la mission interministérielle apportera des éclaircissements aux questionnements relevés ci-dessus ; d’autant plus qu’il pourrait abonder dans le même sens que les propositions antérieures (G. Dauvergne, Assurance des collectivités : « Il faut privilégier la procédure avec négociation » juge Alain Chrétien, maire de Vesoul, L’Argus de l’assurance, 6 mai 2024). Puisqu’il intervient postérieurement, ce rapport pourrait être l’occasion d’une meilleure clarification avant que les options ne soient levées par les pouvoirs publics.

 

© Lefebvre Dalloz