La réforme de l’instruction et des modes alternatifs en matière civile : un amiable décret (première partie : lignes de force, dispositions transitoires et principes directeurs)

Le décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025 porte réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends. Il emporte des changements paradigmatiques en procédure civile, non seulement en modernisant le règlement amiable des conflits mais aussi en reconfigurant la mise en état des causes, en théorie du moins.

Une quinzaine de jours après le décret n° 2025-619 du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dit « Magicobus II » (Dalloz actualité, 8 sept. 2025, obs. G. Maugain ; D. 2025. 1526. obs. M. Barba  ; AJ fam. 2025. 445, obs. K. Leclere Vue ), est advenu le déjà célèbre décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends (v. déjà : S. Amrani Mekki, Une nouvelle conception du procès civil à l’aune de la contractualisation, JCP 2025. 1393 ; L’instruction conventionnelle après le décret du 18 juillet 2025 réformant l’instruction conventionnelle et recodifiant les MARD, Gaz. Pal. 22 juill. 2025, p. 56 ; M. Plissonnier, Les modes de résolution amiable, Gaz. Pal. 22 juill. 2025, p. 44 ; Les pouvoirs du juge dans le cadre amiable, Gaz. Pal. 22 juill. 2025, p. 50).

Outre de vastes réaménagements (v. la précieuse table de correspondance faite par V. Avena-Robardet à l’AJ fam. 2025. 467 ), il modifie la procédure civile sur plusieurs points critiques :

  • il consacre un principe directeur de coopération entre juge et parties s’agissant de la conduite des affaires ;
  • il érige en principe l’instruction conventionnelle des causes, la mise en état judiciaire devenant l’exception ;
  • il crée une instruction conventionnelle simplifiée et décomplique partiellement la procédure participative aux fins de mise en état ;
  • il permet au technicien désigné à des fins probatoires de tenter de concilier les parties ;
  • il réaménage en profondeur le livre V, qui concentrera désormais les dispositions consacrées au règlement amiable des différends ;
  • il avalise la pratique de l’ordonnance « à double détente » ou « deux en un » ;
  • il sanctionne le non-respect de l’injonction de rencontrer un conciliateur ou un médiateur par le possible prononcé d’une amende civile de 10 000 € ;
  • il généralise l’audience de règlement amiable (ARA) ;
  • il allonge la durée possible d’une conciliation ou d’une médiation judiciaire ;
  • il précise les cas possible d’homologation judiciaire d’un accord et l’office du juge homologateur.

Ce sont là les principales modifications. Les autres, plus accessoires mais importantes en pratique, seront présentées chemin faisant.

Ce décret estival a pour fil conducteur la « contractualisation », au moins partielle, du procès civil (S. Amrani Mekki, Une nouvelle conception du procès civil à l’aune de la contractualisation, préc.). Plus généralement, il incarne la politique de promotion de l’amiable en matière civile sur ses deux objets d’attention – l’instruction et les modes alternatifs –, puisqu’il entend globalement consacrer le principe d’un règlement amiable – de l’instruction au moins, du litige au mieux. C’est un amiable décret.

Cette première contribution s’attache aux dispositions transitoires et à la modification de l’article 21 du code de procédure civile. Les deux prochaines traiteront de la réforme de l’instruction. Les deux dernières porteront sur la recodification de l’amiable en matière civile.

Droit transitoire

Selon l’article 26 du décret, il entre en vigueur le 1er septembre 2025 et est applicable aux instances en cours à cette date, exception faite des dispositions de l’article 3 qui ne s’appliquent qu’aux instances introduites à compter de cette date. Concrètement, c’est la réforme de l’instruction qui s’appliquera aux instances introduites à compter du 1er septembre 2025 cependant que le reste du décret s’appliquera aux instances en cours à la même date.

La circulaire du 19 juillet 2025 précise que l’amende civile nouvellement associée au non-respect de l’injonction d’avoir à rencontrer un médiateur ou un conciliateur (C. pr. civ., art. 1533-3, al. 2) ne pourra être prononcée s’agissant d’une injonction délivrée antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Cette clarification est réjouissante mais ne ressort pas du décret, tant et si bien que sa véracité est douteuse. Il va de soi que lorsqu’une injonction a été délivrée avant le 1er septembre 2025, a été méconnue et a épuisé ses effets avant cette date (par ex., une injonction du 1er juill. 2025 enjoignant en vain aux parties de rencontrer un médiateur avant le 1er août 2025), le prononcé d’une amende civile est difficilement envisageable, même si l’instance est encore en cours au 1er septembre 2025. En revanche, la même conclusion n’est pas acquise s’agissant d’une injonction délivrée avant le 1er septembre 2025 mais qui resterait à exécuter après : un juge zélé ne pourrait-il pas infliger une amende civile à la partie récalcitrante et notamment en contemplation de sa résistance à compter du 1er septembre 2025 ? Il est permis de le penser car il n’y a alors plus de rétroactivité à proprement parler, mais une simple application immédiate de la loi civile nouvelle, fût-elle plus sévère. Un doute est donc permis. Plus globalement, on sait que d’autres difficultés de droit transitoire ne manqueront pas d’apparaître.

Le texte fut publié le 19 juillet 2025 ; il entre en vigueur le 1er septembre 2025 : comment expliquer cet empressement ? On ne le peut. Cette entrée en vigueur précipitée, doublée d’une application de principe aux instances en cours, est incompréhensible. Elle est, pour reprendre le mot exact d’un collègue, « injustifiable » (M. Plissonnier, Les modes de résolution amiable, préc. ; v. égal. plus mesurée, S. Amrani Mekki, Une nouvelle conception du procès civil à l’aune de la contractualisation, préc., n° 7). Elle confine à la maltraitance institutionnelle des gens de justice, forcés de prendre connaissance du texte au cœur de l’été et d’en tirer dans l’urgence les conséquences dans leur pratique respective.

On dira que ce n’est qu’un seul texte et qu’entre le 19 juillet et le 1er septembre, le délai est suffisant. Mais c’est oublier, d’abord, que la période n’est pas propice à l’étude. C’est, ensuite, oublier que c’est là un texte conséquent, révolutionnaire selon certains, paradigmatique en tout cas : ce n’est pas un ajustement paramétrique parmi d’autres. C’est encore oublier que le décret « Magicobus II » l’a précédé et qu’il faut, lui aussi, l’intégrer au 1er septembre 2025. C’est aussi oublier que d’autres textes d’importance en procédure civile sont arrivés au cœur de l’été en matière d’actions de groupe et de contentieux du transport aérien de personnes (v. respectivement, K. Castanier, L’achèvement de la réforme de l’action de groupe par l’ajustement des règles procédurales, Dalloz actualité, 10 sept. 2025 ; J. Jourdan-Marques, Décret du 5 août 2025 : justice surbookée, refus d’embarquement des passagers, Dalloz actualité, 11 sept. 2025) et qu’il faut en intégrer aussi rapidement les apports. C’est enfin oublier que le décret du 18 juillet 2025 était erroné en plusieurs endroits à parution… ce qui a déjà justifié un « rectificatif » au Journal officiel du 23 août 2025, qu’il aura donc fallu digérer en moins d’une semaine.

Aucune raison impérieuse ne justifie une entrée en vigueur aussi hâtive avec application aux instances en cours. Il est d’ailleurs surprenant que, pour une réforme dont le succès est chevillé à l’acceptation des principes sur lesquels elle repose, la Chancellerie n’ait pas adopté une approche plus diplomatique, avec une entrée en vigueur plus amplement décalée et une application aux seules instances postérieures – ce qui aurait laissé le temps du décryptage et de la formation.

Qu’à cela ne tienne, le décret est ainsi fait et, à moins d’un recours pour excès de pouvoir fructueux, les dispositions de droit transitoire demeureront (étant tout de même rappelé que le Conseil d’État a déjà rappelé à l’ordre le même ministère à l’occasion de la réforme Belloubet sur le sujet précis de l’entrée en vigueur précipitée de celle-ci, CE, 6e et 5e ch. réun., 22 sept. 2022, nos 436939 et 437002, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. M. Barba ; ibid., 4 oct. 2022, obs. M. Barba ; Lebon  ; AJDA 2022. 1817  ; D. 2022. 1912  ; ibid. 2096, entretien M. Barba  ; ibid. 2023. 571, obs. N. Fricero  ; Rev. prat. rec. 2023. 34, chron. B. Gorchs-Gelzer ).

Venons-en aux innovations, en commençant par la plus générale et symbolique.

L’article 21 du code de procédure civile

La première innovation concerne les principes directeurs de la justice civile, auxquels on ne doit toucher que la main tremblante, non parce qu’ils sont parfaits en l’état, mais parce que les incidences de leur réécriture sont potentiellement immenses. Après tout, les principes directeurs constituent le guide et la charpente du droit du procès civil. La main du ministère n’a toutefois pas tremblé au moment d’y toucher et de réécrire l’article 21 du code de procédure civile et l’intitulé de la section qui le contient (« La conciliation » devenant « La résolution amiable du litige »).

L’article 21, dans sa rédaction intouchée depuis 1975, était un trésor de concision : « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties ». En une seule phrase de quelques mots, tout était dit et bien dit, conformément à la tradition française : le juge n’est pas là que pour trancher les litiges et faire œuvre d’autorité ; il est aussi là pour concilier les litigants et faire œuvre pacificatrice. Il exerce non seulement un office juridictionnel mais aussi un office conciliatoire. Le pouvoir réglementaire a néanmoins souhaité enrichir cet article 21, qui se lira désormais ainsi : « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties et de déterminer avec elles le mode de résolution du litige le plus adapté à l’affaire. / Les parties peuvent à tout moment convenir de résoudre à l’amiable tout ou partie du litige » (italique ajouté, correspondant aux ajouts).

Cette modification de l’article 21 touche aux deux objets d’attention du décret – l’instruction et l’amiable – et donne donc la tonalité générale de la nouvelle procédure civile (S. Amrani Mekki, Une nouvelle conception du procès civil à l’aune de la contractualisation, préc., nos 2 s.). Au premier alinéa, il s’est manifestement agi de consacrer un principe de coopération mêlé de proportionnalité procédurale : aux parties et au juge de conférer (c’est la coopération) pour trouver le mode de résolution du litige le plus adapté (c’est la proportionnalité). À l’évidence, il faudra en amont choisir entre la voie amiable et la voie contentieuse puis déterminer les chemins à arpenter plus précisément en aval. Cette réécriture du premier alinéa suscite une appréciation contrastée.

La coopération étant par nature souhaitable de même que la proportionnalité, il est difficile de critiquer la consécration d’un tel principe hybride, au demeurant connu d’autres systèmes juridiques de qualité. En revanche, on ne peut s’empêcher d’y déceler une triple hypocrisie dans le contexte français, en particulier sur l’aspect coopératif : (i) il n’y a de coopération qu’entre égaux ; or les avocats et les parties ne sont guère égaux au juge dans le système français ; (ii) pour qu’une coopération puisse s’établir, encore faut-il que les parties confèrent véritablement avec le juge ; or on sait qu’en France, de tels espaces de conversation tendent à se réduire, voire à disparaître ; (iii) ce n’est pas le moindre des paradoxes que de consacrer un principe de coopération tout en permettant au juge d’infliger à une partie qui n’obtempèrerait pas à son injonction de rencontrer un médiateur ou un conciliateur une amende civile d’un maximum modique de 10 000 €. Cette conception de la coopération alliée à l’ordre et la menace laisse sceptique.

Il est en tout cas certain que cette nouvelle partie de l’article 21, alinéa 1er, du code de procédure civile exerce surtout une fonction symbolique et n’engendrera aucune solution concrète. Du point de vue des pratiques, on peut penser que les magistrats qui, déjà, faisaient œuvre coopérative continueront à le faire, cependant que les autres continueront à n’en rien faire, sans s’exposer à la moindre sanction procédurale ou disciplinaire. C’est donc là une réécriture très cosmétique et toute théorique de l’article 21 du code de procédure civile, un « vœu pieu » dirait-on. Elle ravira les esprits gourmands de belle déclaration sans portée normative ; elle n’améliorera en revanche pas le quotidien des justiciables, sauf à ce que s’érige un jour, sur son fondement, d’autres édifices utiles. L’avenir le dira.

Le pouvoir réglementaire a encore étoffé l’article 21 du code de procédure civile d’un nouvel alinéa, aux termes duquel « Les parties peuvent à tout moment convenir de résoudre à l’amiable tout ou partie du litige ». Cet ajout, inspiré de l’ancien article 128 du code de procédure civile, est lui-aussi sans portée normative, car l’alliance du principe dispositif et de la liberté des convention appliquée aux droits de libre disposition suffisait déjà. Certes, il y a là une œuvre pédagogique mais il reste que ce bavardage alourdit et donc affaiblit le code de procédure civile, qui doit plutôt demeurer concis et efficace – étant rappelé que rares sont les justiciables désireux de le feuilleter pour s’édifier ou par curiosité.

Heureusement, la réforme est plus opérationnelle à propos de l’instruction, qui forme l’objet des deux prochains commentaires à paraître.

 

Décr. n° 2025-660, 18 juill. 2025, JO 19 juill.

par Maxime Barba, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Codirecteur de l’IEJ de Grenoble

© Lefebvre Dalloz