La réforme de l’instruction et des modes alternatifs en matière civile : un amiable décret (troisième partie : les modalités de l’instruction conventionnelle)

Le décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025 consacre l’instruction conventionnelle comme principe. Il en décline logiquement les limites, l’objet et les modalités (instruction simplifiée ou procédure participative). Une place particulière est encore faite au recours conventionnel à un technicien, que le pouvoir réglementaire souhaite manifestement promouvoir.

 

Dans une précédente annotation du décret du 18 juillet 2025 (Dalloz actualité, 17 sept. 2025 ; ibid. 18 sept. 2025), nous nous sommes penché sur la consécration de l’instruction amiable comme nouveau principe de mise en état. Nous examinerons ici les modalités de mise en œuvre associées, déclinées aux articles 127 et suivants du code de procédure civile.

Primo, la nouvelle instruction conventionnelle devra toujours être conduite « dans le respect des principes directeurs du procès » (C. pr. civ., art. 127) et du « droit au procès équitable » (C. pr. civ., art. 129-2 s’agissant de l’instruction conventionnelle simplifiée). Deuzio, il convient de s’intéresser plus avant à l’objet des conventions relatives à la mise en état (C. pr. civ., art. 128). Tertio, l’instruction conventionnelle pourra être menée selon deux modalités, à savoir l’instruction conventionnelle simplifiée (C. pr. civ., art. 129-1 s.) ou la procédure participative aux fins de mise en état (C. pr. civ., art. 130). Quarto, dans un cas comme dans l’autre, les parties pourront de conserve avoir recours à un technicien (C. pr. civ., art. 131 s.).

Respect des principes directeurs du procès et du droit au procès équitable

Il s’évince de l’article 127 et de l’article 129-2 du code de procédure civile que les affaires sont instruites conventionnellement par les parties « dans le respect des principes directeurs du procès » et « du droit à un procès équitable ». Cela pose deux questions au moins : quelles sont les limites exactes à la liberté conventionnelle des parties ? Quelles sont les conséquences ou sanctions associées à une infraction ?

Limites

Qui dit contractuel ne dit pas toujours juste et il n’est pas exclu qu’une convention relative à la mise en état fasse peu de cas des intérêts d’une partie. C’est pourquoi l’amiable décret du 18 juillet 2025 a prévu plusieurs limites destinées à préserver à la fois l’équilibre du contrat et l’équité du procès.

La première limite, générale, tient au respect des principes directeurs du procès et doit principalement se comprendre à deux aunes : d’une part, la contradiction doit toujours être assurée (C. pr. civ., art. 14 s.) ; d’autre part, le principe dispositif ne doit pas être méconnu (C. pr. civ., art. 1er s.). Au titre de la contradiction, il va de soi que chaque partie doit pouvoir présenter sa cause et avoir connaissance des prétentions, moyens et pièces de son adversaire en temps utile pour pouvoir y répondre. Au titre du principe dispositif, le rôle des parties et leurs charges procédurales – allégation des faits, preuve de ces allégations, articulation de moyens de droit, etc. – doivent demeurer intègres. En particulier, et même si les conventions sur la preuve sont autorisées par principe (C. civ., art. 1356, al. 1er), il n’est pas loisible aux parties de faire ce qu’elles veulent et notamment de contredire ou établir des présomptions irréfragables (C. civ., art. 1356, al. 2) ou de prévoir qu’une partie sera crue sur sa parole.

La limite qui tient au respect du droit à un procès équitable doit pour sa part se comprendre à deux égards au moins : d’une part, le droit au juge des parties doit être respecté ; d’autre part, l’égalité des armes doit être assurée. S’agissant du droit au juge, il est impératif que les parties liées par la convention d’instruction puissent effectivement soumettre à la juridiction leur(s) prétention(s) et leur(s) moyen(s). En ce sens, il semble difficilement envisageable que les parties s’imposent un formalisme excessif s’agissant des modalités de communication de leurs conclusions et pièces ou qu’elles s’imposent des délais exagérément courts au regard de la complexité du dossier. Quant à l’égalité des armes, qui équivaut à une forme d’égalité processuelle, ce sera un point de vigilance important : sera suspecte toute convention qui, d’une façon ou d’une autre, avantagerait sans raison une partie par rapport à l’autre, en particulier lorsqu’elle est représentée et non l’autre, comme le souligne judicieusement la circulaire.

Sanctions

La question est de savoir ce qu’il adviendra d’une convention de mise en état enfreignant ces limites. La sanction première qui vient à l’esprit en forme de reflexe contractualiste est celle de la nullité pour illicéité du contenu : si une telle convention méconnaît le droit fondamental au juge d’une partie ou les principes directeurs du procès civil, n’est-elle pas annulable sur le fondement combiné des articles 6 et 1162 du code civil ? Le décret paraît néanmoins préférer une autre voie, à savoir la neutralisation de l’instruction conventionnelle et le basculement en instruction judiciaire.

Ainsi, en cas d’instruction conventionnelle simplifiée, lorsque la convention ne permet pas de préserver les principes directeurs du procès ou le droit au procès équitable, « le juge peut, même d’office ou à la demande d’une partie, poursuivre l’instruction selon les modalités propres à chaque juridiction » (C. pr. civ., art. 129-2). Le juge qui reçoit communication d’une telle convention est donc invité à l’apprécier et, dans l’hypothèse où la convention ne convient pas, à la neutraliser pour revenir à l’instruction judiciaire classique. La même règle n’est pas prévue à l’endroit de la convention participative de mise en état, ce qui peut surprendre.

Ces précisions apportées par le décret ont en tout cas vocation à décourager les optimisations contractuelles les plus agressives : les avocats sont encouragés à établir des conventions de mise en état équilibrées, dans le respect des principes directeurs du procès civil et du droit au procès équitable.

Objet des conventions relatives à la mise en état

Quel peut être ou doit être l’objet des conventions relatives à la mise en état ? Dit autrement, quelle est la part de l’instruction dont les parties peuvent, voire doivent, se saisir ? L’article 128, alinéa 1er, première phrase, est troublant : « Les conventions relatives à la mise en état peuvent avoir pour objet d’instruire la totalité du litige ou de réaliser une ou plusieurs mesures d’instruction ». Le trouble procède de ce que l’article 128 du code de procédure civile paraît en retrait au regard de l’article 127 du même code. Le second érige l’instruction amiable – évidemment totale – des causes en principe, cependant que le premier semble se contenter de leur instruction amiable toute partielle. Le message global est cependant clair : aux parties d’instruire conventionnellement le maximum de ce qu’elles peuvent. La suite de l’article 128 n’est pas moins intéressante.

« Au cours d’une instruction conventionnelle ou au cours d’une instruction judiciaire, les parties peuvent notamment convenir de : 1° Déterminer les points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, dès lors qu’ils portent sur des droits dont elles ont la libre disposition », est-il d’abord indiqué. La précision est inutile pour figurer déjà au grand article 12 du code de procédure civile.

Les parties peuvent encore convenir de « Fixer les modalités de communication de leurs conclusions et pièces », étant précisé que « Le juge peut écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date convenue pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense » (C. pr. civ., art. 128, 2° ; adde C. pr. civ., art. 446-2, al. 4). Il est donc loisible aux parties de déterminer, y compris en procédure orale (C. pr. civ., art. 446-2, al. 2), le mode de communication des conclusions et pièces entre elles (RPVA, notification papier, signification, etc.) et les délais pour le faire, en ce compris, sans doute, les causes de suspension ou d’interruption desdits délais. En revanche, il ne semble pas au pouvoir des parties de moduler les exigences liées au formalisme des conclusions, certainement d’ordre public (v. par ex., C. pr. civ., art. 954 en cause d’appel). On peut aussi douter qu’il soit à leur pouvoir de limiter le volume des écritures ou d’en déterminer le formatage, même si la question est plus ouverte.

Les parties peuvent encore « Recourir à un technicien, selon les modalités des articles 131 à 131-8 ou consigner les constatations et avis donnés par un technicien » (C. pr. civ., art. 128, 3°). Nous y reviendrons.

Les litigants devenus cocontractants peuvent encore convenir de « Consigner les auditions des parties, entendues en présence de leurs conseils, comportant leur présentation du litige, les questions de leurs avocats ainsi que leurs réponses et les observations qu’elles souhaitent présenter » (C. pr. civ., art. 128, 4°). De même, les parties peuvent convenir de « Consigner les déclarations de toute personne acceptant de fournir son témoignage sur des faits auxquels il a assisté ou qu’il a personnellement constatés, recueillies ensemble par les avocats, spontanément ou sur leur interrogation » (C. pr. civ., art. 128, 5°). Le modèle des procédures civiles américaines n’est pas loin. On peut prédire, sans se risquer, que ces possibilités ne se concrétiseront pas pour être trop éloignées de la culture judiciaire française. La pratique de l’interrogatoire (examination) et du contre-interrogatoire (cross-examination) des témoins et des parties en matière civile suppose une formation spécifique et un état d’esprit particulier. Or les avocats des systèmes civilistes, habitués à un système de preuve documentaire, ne disposent généralement ni de l’une ni de l’autre.

Il apparaît en tout cas que les conventions relatives à la mise en état peuvent avoir, à lire les textes, des objets variés. En pratique, on peut s’attendre à ce que les parties se contentent de préciser un calendrier de procédure avec indication des modalités de communication et, éventuellement, les causes de suspension ou d’interruption des délais pour conclure. Et si, par extraordinaire, elles parviennent à s’entendre sur le recours à un expert communément choisi, elles le feront. Les autres objets possibles – audition des parties et des témoins en cabinet – relèvent de l’imagination en l’état des pratiques.

Typologie et régime des conventions relatives à la mise en état

L’amiable décret organise deux voies de mise en état conventionnelle : l’instruction conventionnelle simplifiée (C. pr. civ., art. 129-1 s.) et la procédure participative (C. pr. civ., art. 130 s.). La première modalité est nouvelle ; la seconde, pour être classique, fait l’objet d’améliorations appréciables.

Il s’évince de l’article 129 que seules ces deux modalités d’instruction conventionnelle sont disponibles et que l’instruction conventionnelle simplifiée est subsidiaire : il n’y est recouru qu’à défaut de convention de procédure participative. En pratique, on peut pourtant s’attendre à une inversion : l’instruction conventionnelle simplifiée sera de principe cependant que la procédure participative sera d’exception. Il est même permis de penser que la praticité de l’instruction conventionnelle simplifiée signera définitivement la disparition de la procédure participative aux fins de mise en état, qui n’a jamais eu cours en pratique.

Instruction conventionnelle simplifiée

« Les conventions ayant pour objet l’instruction de l’affaire en la forme simplifiée peuvent être conclues entre les avocats des parties », indique l’article 129-1 du code de procédure civile. Ces dispositions, qui prennent le contrepied de celles relatives à la convention de procédure participative, suscitent une question et une remarque.

La question est de savoir si les conventions d’instruction simplifiée peuvent être conclues sans avocat, c’est-à-dire par une partie non représentée par avocat ou autrement représentée (v. S. Amrani Mekki, L’instruction conventionnelle après le décret du 18 juillet 2025 réformant l’instruction conventionnelle et recodifiant les MARD, Gaz. Pal. 22 juill. 2025, p. 56). Littéralement, l’article 129-1 ne le dit pas : il se contente d’indiquer que la convention peut être conclue par l’avocat, certainement pour indiquer que la présence de la partie elle-même à l’acte n’est pas exigée comme elle l’est pour l’acte d’avocat indispensable à la procédure participative aux fins de mise en état (C. civ., art. 2064 ; en ce sens égal., S. Amrani Mekki, préc.). Expressis verbis, cet article 129-1 n’exclut néanmoins pas qu’une convention d’instruction simplifiée soit conclue par une partie non représentée par avocat ou autrement représentée. Les dispositions qui suivent n’accréditent d’ailleurs pas une autre conclusion. La circulaire associée au décret énonce au demeurant qu’une telle convention peut être conclue par une partie non représentée par avocat, même si le juge devra alors redoubler de vigilance sur l’équilibre de la convention et l’équité du procès. À tous égards, puisqu’une partie non représentée par avocat ou autrement représentée doit par principe procéder à une instruction conventionnelle mais ne peut arpenter la voie de la procédure participative, elle doit pouvoir s’engager dans une instruction conventionnelle simplifiée.

L’article 129-1 suscite par ailleurs une remarque critique sur la forme. Il laisse en première lecture à penser que ce seraient les avocats qui s’engageraient, en propre, dans l’instruction conventionnelle simplifiée et la convention associée (« Les conventions… peuvent être conclues entre les avocats des parties »). En cela, sa formulation est malheureuse. Au fond, il doit demeurer clair que seules les parties s’engagent à la convention d’instruction simplifiée ; c’est simplement qu’elles le font par le truchement de leur avocat, qui est leur mandataire naturel. Les avocats ne sont pas parties à la convention et, à proprement parler, ne la concluent évidemment pas.

L’article 129-2 du code de procédure civile indique ensuite, en son premier alinéa, que les parties qui recourent à l’instruction conventionnelle simplifiée « en informent le juge, notamment par voie de conclusions concordantes ou par la transmission d’une copie de la convention », lui précisant du même coup « les modalités de mise en œuvre convenues ». Cela importe à trois égards au moins : (i) puisque le procès civil est désormais officiellement conçu comme une œuvre coopérative (C. pr. civ., art. 21), il est évidemment de bon ton d’avertir le juge de l’instruction conventionnelle simplifiée à venir ; (ii) l’information sur les modalités arrêtées ou la copie de la convention lui permettra par ailleurs d’exercer son contrôle au regard des principes directeurs et du droit à un procès équitable (C. pr. civ., art. 129-2, al. 3) ; (iii) il arrêtera enfin une date à laquelle l’affaire sera rappelée pour examiner l’avancement de l’instruction. La circulaire préconise de renvoyer l’affaire à une audience fixée dans un délai de six mois à un an selon le terme fixé dans la convention de mise en état et la complexité du litige.

À cette audience de rappel, de deux choses l’une :

  • soit l’affaire est en état et le juge fixe la date de clôture, voire la prononce, et détermine la date de plaidoiries, sauf procédure sans audience (C. pr. civ., art. 129-2, al. 2) ; en procédure orale, il lui est même loisible de retenir ;
  • soit l’affaire n’est pas en état et le juge reprend l’instruction en sa forme judiciaire classique (C. pr. civ., art. 129-2, al. 3).

L’article 129-3 du code de procédure civile traite ensuite de deux questions importantes, à savoir la péremption d’instance et l’office résiduel du juge en cours d’instruction conventionnelle simplifiée.

Sur la péremption, il est désormais prévu que la conclusion de la convention d’instruction simplifiée « interrompt le délai de péremption de l’instance jusqu’à la survenance du terme fixé par les parties ou jusqu’à l’avis donné aux parties de l’acte matérialisant la reprise de l’instruction judiciaire à condition que son exécution donne lieu à des actes de nature à faire progresser l’affaire » (C. pr. civ., art. 129-3, 1°). L’article 392 du code de procédure civile est modifié en conséquence. Cela appelle plusieurs observations.

Tout d’abord, la conclusion d’une convention d’instruction simplifiée interrompt, et directement, le délai de péremption d’instance : elle n’interrompt pas l’instance, ce qui interromprait par contrecoup la péremption (C. pr. civ., art. 392, al. 1er). Cela signifie que l’instance n’a pas à être reprise en cas d’instruction conventionnelle simplifiée. Ensuite, la fin de l’interruption du délai de péremption est variable : c’est par principe le terme – initial ou prorogé sans doute – de la convention d’instruction simplifiée ; mais ce peut être l’avis donné aux parties par le juge de la reprise de l’instruction judiciaire. Tout ce qui matérialise un retour à la mise en état judiciaire signe la fin de l’instruction conventionnelle simplifiée et le redémarrage du délai de péremption d’instance. Du reste, l’interruption du délai de péremption est non avenue si l’exécution de la convention d’instruction simplifiée n’a pas fait avancer l’affaire. En un sens, on retrouve l’idée, classique en fait de péremption, que les parties doivent donner une impulsion processuelle. Ordinairement, faute d’une telle impulsion, on considère que la diligence correspondante n’est pas interruptive. Ici, c’est autre chose car c’est plus radicalement le bénéfice de l’interruption initiale du délai de péremption à la date de la conclusion de la convention d’instruction simplifiée qui sera rétroactivement perdu. Dès lors, si le juge constate à l’audience de rappel fixée par exemple un an après la conclusion de la convention d’instruction simplifiée que rien n’a été fait pour mettre en état, il pourra prononcer la déchéance du bénéfice de l’interruption du délai de péremption, ce qui pourra concrètement entraîner la péremption elle-même si elle est acquise, ce qui dépendra de la date de la dernière diligence interruptive. De mauvaises surprises adviendront certainement, selon l’interprétation judiciaire plus ou moins rigoureuse qui sera retenue de ces dispositions de l’article 129-3, 1°. Précisons enfin qu’en cause d’appel, lorsqu’il est justifié de la conclusion d’une convention de mise en état simplifiée, cela interrompt non seulement le délai de péremption (C. pr. civ., art. 129-3, 1° et 392) mais aussi les délais Magendie (C. pr. civ., art. 915-3, 2°). L’interruption desdits délais cessera « à compter de l’avis donné aux avocats d’un acte matérialisant la reprise de l’instruction judiciaire » (idem).

L’article 129-3, 2°, dispose pour sa part que la conclusion de la convention d’instruction simplifiée « ne dessaisit pas le juge qui connaît de toute demande liée à la convention, des incidents, des exceptions de procédure et des fins de non-recevoir et peut ordonner toute mesure conservatoire ou provisoire ». Là encore, plusieurs observations gagnent à être formulées. La conclusion d’une instruction simplifiée n’entraîne évidemment pas le dessaisissement du juge. Au contraire, celui-ci demeure dans l’ombre de l’instruction amiable. Il connaît des difficultés y relatives (par ex., l’allégation d’une partie qu’elle serait déséquilibrée ou inexécutée par l’autre). Le juge connaît encore des incidents lato sensu (par ex., une partie peut le saisir d’une demande de jonction). Il va encore de soi qu’il connaît des exceptions de procédure (incompétence, sursis, nullité, etc.) et des fins de non-recevoir (prescription, défaut de qualité, etc.). Compte tenu de la probabilité de tels incidents, qui seront autant de résurgences judiciaires en cours d’instruction amiable, il conviendrait en pratique d’aménager les conventions de mise en état, notamment pour prévoir des interruptions ou suspensions de délais, en particulier si l’incident élevé est critique pour la suite du dossier. Cette précision faite, il apparaît surtout que le juge n’est pas totalement déchargé au stade de la mise en état et que nous n’assistons donc pas une déjudiciarisation entière de l’instruction, ce qui est heureux.

Procédure participative

La modalité concurrente à l’instruction conventionnelle simplifiée est la convention de procédure participative aux fins de mise en état, définie désormais à l’article 130 du code de procédure civile, avec le rappel pédagogique de son régime légal (C. civ., art. 2062 à 2067), auquel le décret ne pouvait toucher.

Pour l’essentiel, il s’est agi de reprendre et transférer à droit constant les dispositions des anciens articles 1544 et suivants du code de procédure civile. Ainsi, l’article 130-1 nouveau n’est que la reprise de l’article 1545, alinéa 3, ancien. De même, l’article 130-2, alinéa 1er, nouveau correspond à l’ancien article 1546-1, alinéa 1er. Il y a toutefois quelques innovations destinées à rendre plus attractive la procédure participative aux fins de mise en état.

Tout d’abord, la non-reprise de l’ancien article 1546-3 du code de procédure civile paraît indiquer que, désormais, les actes d’instruction réalisés au cours de la procédure participative n’ont pas à figurer dans un acte contresigné par avocat. L’allègement est appréciable ; il est confirmé par la circulaire associée à l’amiable décret.

Ensuite, les règles relatives à la péremption d’instance sont simplifiées. À l’instar de l’article 129-3 pour l’instruction conventionnelle simplifiée, l’article 130-3 indique désormais que la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état interrompt le délai de péremption de l’instance jusqu’à l’extinction de la convention. De ce point de vue, le changement est substantiel. Antérieurement, la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état entraînait l’interruption de l’instance (C. pr. civ., anc. art. 369), ce qui entraînait l’interruption du délai de péremption (C. pr. civ., art. 392) mais avec redémarrage d’un nouveau délai à compter de l’extinction de la convention (C. pr. civ., anc. art. 392, al. 3). La règle est aujourd’hui simplifiée : la conclusion d’une telle convention interrompt directement le délai de péremption (C. pr. civ., art. 130-3, 1° et 392, al. 3) sans interrompre l’instance (C. pr. civ., art. 369), étant précisé que le bénéfice de l’interruption du délai de péremption ne paraît pas pouvoir être perdu comme en matière d’instruction conventionnelle simplifiée (comp. C. pr. civ., art. 129-3, 1°, in fine).

Du reste, il est précisé, comme en matière d’instruction conventionnelle simplifiée cette fois, que la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état ne dessaisit pas le juge (C. pr. civ., art. 130-3, 2°), qui connaîtra donc des incidents, exceptions de procédure, fins de non-recevoir et demandes de mesure conservatoire ou provisoire. La saisine du juge par une partie ne signe plus la fin de la procédure participative (comp. C. pr. civ., anc. art. 1555, 5°).

Enfin, en cause d’appel, la justification de la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état interrompt toujours les délais Magendie (C. pr. civ., art. 915-3). En revanche, l’interruption cesse désormais « à compter de l’avis donné aux avocats d’un acte matérialisant la reprise de l’instruction judiciaire » (C. pr. civ., art. 915-3, 2°) et non, comme auparavant, au moment de « l’information donnée, par la partie la plus diligente, au président de la chambre saisie, au magistrat désigné par le premier président en application du premier alinéa de l’article 906-1 ou au conseiller de la mise en état, de l’extinction de la procédure participative » (C. pr. civ., anc. art. 915-3, 2°). Il y a là une simplification appréciable, cohérente qui plus est.

Apportons encore quelques indications. Premièrement, il incombe aux parties d’informer sans délai le juge de la conclusion de la convention de procédure participative et de lui en adresser copie (C. pr. civ., art. 130-2, al. 2), lequel juge fixera la date de clôture et la date d’audience (C. pr. civ., art. 130-2, al. 3). Deuxièmement, la convention de procédure participative aux fins de mise en état prend fin par « la réalisation de son objet » (C. pr. civ., art. 130-6, 2°), ce qui est à la fois fort élégant et très énigmatique. C’est une formule qu’il conviendra de clarifier, d’autant plus que l’enjeu n’est pas mince car la réalisation de l’objet signe la fin anticipée de la convention au regard de son terme contractuellement prévu. Troisièmement et sans surprise, si l’affaire n’est pas en état à l’issue de la procédure participative, l’instruction est poursuivie sous sa forme judiciaire classique (C. pr. civ., art. 130-7).

Même si les innovations sont notables, on peut penser que la convention de procédure participative ne décollera toujours pas, car sa principale faiblesse réside dans la lourdeur de l’acte contresigné par avocat, qui reste bien présente pour figurer dans la loi. En outre, l’instruction conventionnelle simplifiée devrait être préférée, quand bien même elle s’avérerait moins sécurisée. Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre, les parties peuvent décider d’avoir recours amiablement à un technicien.

Recours à un technicien

Le décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025 entend promouvoir l’expertise amiable ou, plus rigoureusement, l’expertise décidée de concert par les parties. Il est désormais loisible aux parties de conventionnellement recourir à un technicien pendant le procès au fond ou « avant tout procès », dans l’esprit de l’article 145 du code de procédure civile. Les nouveaux articles 131 et suivants du code de procédure civile sont consacrés à cette question.

Plusieurs dispositions sont classiques et n’appellent pas de longs développements. Tout d’abord, ce sont encore les parties qui régleront la note selon les modalités arrêtées par elles (C. pr. civ., art. 131, al. 2). Ensuite, ce que la volonté peut faire, elle peut le défaire : les parties peuvent révoquer le technicien de leur consentement unanime (C. pr. civ., art. 131-3). Par ailleurs, il appartient au technicien désigné « de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance et son impartialité » avant d’accepter sa mission (C. pr. civ., art. 131-1), ce qui n’est pas sans rappeler les dispositions propres à la désignation des arbitres (C. pr. civ., art. 1456). S’agissant d’un technicien, la référence à l’indépendance pourra tout de même étonner ; sans doute aurait-il fallu évoquer plutôt la neutralité du technicien, conformément à la rhétorique européenne (CEDH, 2e sect., 13 déc. 2022, n° 77039/12 ; 5 juill. 2007, n° 31930/04, AJDA 2007. 1918, chron. J.-F. Flauss ).

Il est encore prévu que le technicien accomplit sa mission « avec conscience, diligence et impartialité, dans le respect du principe de la contradiction » (C. pr. civ., art. 131-2 ; rappr. art. 237) et « personnellement » (C. pr. civ., art. 131-2, al. 2 ; rappr. art. 233). De même, il est pudiquement prévu que le technicien ne doit pas porter d’appréciation d’ordre juridique (C. pr. civ., art. 131-2, al. 3 ; rappr. art. 238). Chacun sait néanmoins ce que vaut cette prévention en pratique (les techniciens n’hésitent pas à arbitrer les responsabilités sur le plan juridique) et en droit (la jurisprudence ne sanctionne pas et autorise même le juge à suivre l’opinion juridique de l’expert).

À l’évidence, les parties peuvent modifier la mission confiée au technicien ou confier une mission complémentaire à un autre (C. pr. civ., art. 131-4). Il est encore prévu que, si les parties le demandent, le technicien joindra à son rapport leurs dires, avec mention des suites qui leur auront été données (C. pr. civ., art. 131-7). À l’issue des opérations, le technicien remettra un rapport écrit aux parties, étant précisé que lorsque la convention ayant pour objet de recourir à un technicien est conclue entre avocats (et non en la forme d’un acte d’avocat), le rapport réalisé « a la même valeur qu’un avis rendu dans le cadre d’une mesure d’instruction judiciairement ordonnée » (C. pr. civ., art. 131-8). C’est là une innovation notable, même si l’on rappellera tout de même qu’un tel avis d’expert ne lie pas le juge : il a simplement une valeur probante supérieure en regard de l’« expertise amiable » classique. Le véritable avantage est sans doute qu’à la différence de l’expertise amiable classique, réalisée unilatéralement, le juge pourra entièrement s’appuyer sur l’expertise conventionnelle pour statuer, ce qui est appréciable.

Dans l’ordre des innovations, précisément, plusieurs autres sont encore remarquables.

Premièrement, les parties contractantes ne sont pas abandonnées à leur sort puisqu’elles disposent désormais d’un possible recours au juge en cas de difficulté (C. pr. civ., art. 131-3 et 131-5). Ce juge d’appui varie selon les circonstances. Si la convention de recours à un technicien a été conclue en cours d’instance, c’est le juge saisi de l’affaire qui fournit son appui. En revanche, si la convention a été conclue en dehors de toute instance, c’est le président de la juridiction compétente pour connaître l’affaire au fond qui fournira son appui, statuant selon la procédure accélérée au fond (C. pr. civ., art. 481-1). Cette dernière règle de compétence, ainsi formulée, pourra surprendre, en particulier lorsque l’expertise envisagée porte sur un immeuble.

Par la grâce du décret n° 2025-619 du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dit « Magicobus II » (Dalloz actualité, 8 sept. 2025, obs. G. Maugain ; D. 2025. 1526, obs. M. Barba  ; AJ fam. 2025. 445, obs. K. Leclere Vue ), l’article 145, alinéa 3, prévoit aujourd’hui que « lorsque la mesure d’instruction [judiciairement demandée en référé ou sur requête] porte sur un immeuble, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble est seule compétente ». C’est une dérogation à la règle classique désormais inscrite à l’alinéa 2 de l’article 145, selon laquelle la juridiction territorialement compétente pour statuer sur un référé-expertise est notamment, au choix du demandeur, celle susceptible de connaître de l’affaire au fond. Pour plus de cohérence, n’aurait-il donc pas fallu prévoir qu’en matière d’expertise amiable portant sur un immeuble, le juge d’appui est exclusivement le président de la juridiction du lieu de situation de l’immeuble ? C’est ce qui nous semble. En l’état, l’article 131-3, alinéa 3, renoue plutôt avec la compétence de la juridiction qui pourrait connaître du fond, y compris en matière immobilière, ce qui rompt le parallélisme des solutions.

Deuxièmement, toujours au chapitre des innovations, il est prévu qu’un tiers intéressé peut toujours, « avec l’accord des parties et du technicien, être associé aux opérations menées par celui-ci » : il « devient alors partie au contrat en cours » (C. pr. civ., art. 131-6). Ces dispositions suscitent quelque perplexité. En leur principe, elles sont louables en ce qu’elles visent à transposer en matière d’expertise amiable ce qui advient communément en fait d’expertise judiciaire lorsqu’une partie tierce souhaite être associée aux opérations d’expertise. Toutefois, les modalités surprennent, en particulier en ce que l’article 131-6 laisse à penser qu’il n’existe qu’un seul contrat liant les parties et le technicien, ce qui expliquerait qu’il faille d’emblée l’accord de ce dernier. À notre estime, les concepteurs du décret auraient gagné à s’inspirer du droit de l’arbitrage, ce qui leur aurait permis de réaliser qu’en cas de recours conventionnel à un technicien, il n’y a sans doute pas un contrat, comme le laisse à croire l’article 131-6, mais deux : la convention de recours au technicien, passée entre les parties au litige ; le contrat de technicien, passée entre les parties au litige et le technicien. La première est équivalente à la clause d’arbitrage (clause compromissoire ou compromis) ; le second correspond au contrat d’arbitre. Pour qu’un tiers intéressé soit associé aux opérations conduites par un technicien dans les conditions des articles 131 et suivants, il faut donc d’abord l’accord des parties pour le joindre à la convention de recours au technicien, puis l’accord du technicien pour l’intégrer au contrat de technicien : c’est à cette double condition, observée dans cet ordre, que le tiers intéressé peut devenir partie aux contrats en cours (et non « au contrat en cours »). L’article 131-6 du code de procédure civile gagnerait donc, selon nous, à être repensé et réécrit dans une certaine mesure.

Troisièmement, la prohibition adressée classiquement au juge de déléguer cumulativement au technicien une mission amiable est levée par l’abrogation de l’article 240 du code de procédure civile. À dire vrai, c’est là une innovation qui dépasse le champ de la seule expertise amiable (où cette prohibition pouvait d’ailleurs déjà être levée par l’accord des parties croyons-nous) pour concerner aussi, et principalement, l’expertise judiciaire. En pratique, différentes modalités pourront être testées (double mission, de médiation et d’expertise, confiée d’emblée ; mission d’expertise d’abord, suivie d’une mission de médiation avant la remise du rapport définitif, etc.). Quoi qu’il en soit et sans y insister, il est permis de n’être pas totalement convaincu par ce mélange des genres que le code autorise désormais, même si le pragmatisme de la solution nouvelle ne nous échappe pas. Dans la continuité de cette innovation, le juge chargé de procéder à une mesure d’instruction ou d’en contrôler l’exécution peut désormais homologuer l’accord des parties mettant fin à tout ou partie du litige (C. pr. civ., art. 171-1) et non plus seulement constater la conciliation, même partielle, des parties (C. pr. civ., anc. art. 171-1).

 

Décr. n° 2025-660, 18 juill. 2025, JO 19 juill.

par Maxime Barba, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Codirecteur de l’IEJ de Grenoble

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