La règle majoritaire et les décisions collectives de SAS
Dans un arrêt de principe rendu en assemblée plénière, la Cour de cassation énonce, au triple visa des articles 1844, alinéa 1 et 1844-10, alinéas 2 et 3 du code civil et L. 227-9, alinéas 1 et 2 du code de commerce, qu’une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix.
En effet, selon la Cour de cassation, toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires. Cette règle, ressortissant à l’ordre public sociétaire, vaut pour toute société, en ce compris les SAS pour lesquelles la liberté contractuelle qui les régit ne peut s’exercer que dans le respect de cette exigence minimale de majorité. Il s’en déduit que la décision collective d’associés d’une SAS, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.
1. Précédents. On se souvient que par un arrêt du 4 avril 2023, la Cour d’appel de Paris, saisie sur renvoi après cassation, avait résisté à la Cour de cassation en considérant qu’était licite la clause des statuts d’une SAS stipulant que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré » (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/05320, Dalloz actualité, 10 mai 2023, note J. Delvallée ; Rev. sociétés 2024. 36, note P.-A. Marquet et P. Lethenet
; Gaz. Pal. 2023, n° 34, p. 66, obs. M. Buchberger ; Dr. sociétés 2023. Comm. 86, obs. J.-F. Hamelin ; JCP E 2023. 1197, note B. Marpeau et T. Damour ; BJS 2023, n° 07-08, p. 23, note B. Dondero ; rendu sur renvoi après cassation, Com. 19 janv. 2022, n° 19-12.696 FS-B, D. 2022. 342
, note A. Couret
; ibid. 1875, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2022. 493, note L. Godon
; RTD com. 2022. 99, obs. J. Moury
; RJDA 2022/347 ; JCP E 2022. 1091, note B. Dondero ; ibid. 1363, spéc. n° 5, obs. F. Deboissy et G. Wicker ; Dr. sociétés 2022. Comm. 42, note J.-F. Hamelin ; Gaz. Pal. 21 juin 2022, n° 21, p. 65, note M. Caffin-Moi).
2. Dans cette espèce, après avoir retenu que la clause statutaire litigieuse n’instituait pas une règle de « décision minoritaire », mais, ce qu’autorisait l’article L. 227-9, alinéa 2, du code de commerce, une « condition de seuil », les magistrats parisiens précisaient, à rebours de la solution rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 19 janvier 2022, que cette condition ne pouvait « être remplie simultanément par ses partisans et ses adversaires puisque l’article 17 des statuts ne prévoit pas de condition de rejet de la résolution ». Pour la seconde fois, il était donc jugé par la Cour d’appel de Paris que la décision d’augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription (DPS) adoptée par la SAS La Vierge, à la seule minorité de 46 % des voix, était valable, peu important la majorité de 54 % de voix contre son adoption.
3. Solution attendue. Sans surprise, la résistance des conseillers parisiens a provoqué la saisine de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, ce qui, notons-le tout de même, demeure suffisamment rare en droit des sociétés pour justifier une publication au Bulletin, un Communiqué et une mention au Rapport annuel. Et sans véritable surprise, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 4 avril 2023 est de nouveau censuré, mais cette fois, et c’est là tout l’intérêt du présent arrêt, sur un fondement enrichi par rapport à celui précédemment adopté dans la solution du 19 janvier 2022. En effet, là où seul l’article L. 227-9, et encore, en son unique alinéa 2, était visé pour justifier la critique de la clause statutaire autorisant la prise d’une décision collective à la seule minorité des voix, l’arrêt commenté du 15 novembre 2024 place le débat de ce qu’il est convenu d’appeler clauses de « décision minoritaire » ou de « minorité majoritaire » sous un triple visa : les articles 1844, alinéa 1er et 1844-10, alinéas 2 et 3 du code civil et L. 227-9, alinéas 1er et 2e du code de commerce. Il en résulte que, sous couvert d’une solution attendue, la Cour de cassation rend malgré tout un arrêt marquant, tant en ce qui concerne la notion de décision collective, que la sanction de la clause statutaire autorisant la prise d’une décision à la seule minorité des voix et celle des décisions prises sur son fondement.
L’incompatibilité entre la notion de décision collective et la décision adoptée à la minorité des voix
4. Deux apports. A priori, l’arrêt du 15 novembre 2024 n’est pas très original par rapport à ce qui avait été décidé le 19 janvier 2022. A bien y regarder cependant, la solution ne se contente pas de réaffirmer qu’une décision collective d’associés est une décision prise, au moins, à la majorité des voix exprimées. D’une part, elle généralise la règle d’ordre public d’origine prétorienne en vertu de laquelle une « décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées […] ». D’autre part, elle établit avec force un lien entre la notion de décision collective d’associés et la règle majoritaire.
Un principe dégagé pour toutes les décisions collectives de toutes les sociétés
5. Fin des hésitations sur les décisions collectives concernées. Au lendemain de l’arrêt du 19 janvier 2022, les décisions collectives de SAS concernées par l’interdiction de stipuler une règle de décision minoritaire avait suscité des hésitations. Cela résultait légitimement de ce que la Cour de cassation avait placé au visa de son arrêt, le seul article L. 227-9, alinéa 2, sans faire mention de l’article 1844, alinéa 1. Avec d’autres, nous avions plaidé pour une application large de la solution, au-delà donc des seules décisions collectives de la compétence légale des associés de SAS (J.-F. Hamelin, Dr. sociétés 2022. Comm. 42, note ss Com. 19 janv. 2022, n° 19-12.696, préc. ; F.-X. Lucas ss le même arrêt, Bull. Joly Sociétés 2022, n° 4, p. 22, spéc. n° 5 ; J. Delvallée, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire n° 3, mai-juin 2023. Dossier 18, spéc. n° 17). En effet, toute autre lecture, en particulier appuyée sur la liberté statutaire offerte par l’article L. 227-9, alinéa 1, aurait pu conduire à adopter une conception non unitaire de la notion de décision collective, dans les SAS. Certes, une telle analyse aurait pour elle des arguments, chacun sachant pertinemment que la notion de décision collective reste difficile à cerner, singulièrement dans les formes sociales où le législateur ne détermine pas avec précision leur objet et/ou la forme de leur adoption. C’est le cas, en un sens, dans les sociétés de personnes, encore que pour ces structures il existe des règles supplétives permettant de conférer aux associés, et donc au domaine des décisions collectives, un champ résiduel et donc identifiable (C. civ., art. 1852 et C. com., art. L. 221-6). C’est le cas surtout des SAS pour lesquelles l’identification du domaine des décisions collectives suppose de procéder à l’habile conjonction de règles légales impératives, spéciales ou générales, et de dispositions statutaires. Si l’on ajoute que les décisions collectives sont, dans les SAS, déconnectées de celle d’assemblée et que la Cour de cassation n’hésite pas à réserver un sort particulier aux nullités des décisions collectives de SAS, à tout le moins, celles adoptées sur le fondement de l’article L. 227-9 depuis l’arrêt dit Larzul 2 rendu le 15 mars 2023, on aurait pu admettre une certaine autonomie de la notion de décision collective dans les SAS.
6. Toutes les décisions collectives (ou presque) de toutes les sociétés. Opportunément, ce n’est pas ainsi que raisonne l’assemblée plénière de la Cour de cassation. D’abord, il est clair que la règle d’ordre public en vertu de laquelle, sauf autorisation légale expresse, « une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix » (§ 10 de l’arrêt), s’applique à toute décision collective de toute société. Cela est naturellement vrai pour les SAS, étant donné qu’il est jugé que « la liberté contractuelle qui [les régit] ne peut s’exercer que dans le respect de la règle énoncée au paragraphe [10] » et « que la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées » (§ 13). Cela vaut également, le visa de l’article 1844, alinéa 1, le justifiant, dans les autres formes sociales (v. B. Dondero, JCP E 2022. 1091, note ss Com. 19 janv. 2022, n° 19-12.696, préc., relevant que certains textes autorisent parfois et exceptionnellement l’adoption d’une décision collective autrement que par le recours à la règle majoritaire, citant par ex. C. com., art. L. 223-30, en matière d’augmentation de capital par incorporation de bénéfices ou réserves dans les SARL).
7. Formule générique. Soulignons ensuite que la Cour de cassation use de la formule générique « décision collective d’associés ». C’est une façon de s’émanciper des modalités et des conditions d’adoption des décisions collectives, qu’elles soient légales et/ou statutaires, ce qui est bienvenu. Si l’on cherche, en effet, la substance de ce qu’est une décision collective, on peut dire qu’il s’agit de la décision de tous les associés, c’est-à-dire la décision prise par la collectivité des associés. Et de ce point de vue, c’est bien ce qu’énonce l’article L. 227-9 lorsqu’il dispose en son alinéa 1er que les « statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés », ou bien en son alinéa 2, que « toutefois, les attributions dévolues aux AGE et AG de SA [en certaines matières : augmentation, amortissement, réduction de capital, fusion, scission, dissolution, transformation, nomination de commissaires aux comptes, comptes annuels et bénéfices] sont exercées collectivement par les associés ». Aussi, même dans une SAS, une décision collective d’associés, quels que soient son objet, ses modalités ou ses conditions d’adoption, répond à un ordre public sociétaire minimum, de telle sorte que la liberté statutaire dans les SAS trouve sa limite dans deux propositions : tout associé a le droit d’y participer et d’y voter conformément à l’article 1844, alinéa 1er (Com. 23 oct. 2007, n° 06-16.537, Dalloz actualité, 25 oct. 2007, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 47
, note Y. Paclot
; ibid. 2008. 1563, chron. J. Paillusseau
; ibid. 2009. 323, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles
; Rev. sociétés 2007. 814, note P. Le Cannu
; RTD com. 2007. 791, obs. P. Le Cannu et B. Dondero
; ibid. 2008. 566, obs. C. Champaud et D. Danet
; JCP 2007. II. 10197, note D. Bureau ; JCP E 2007. 2433, note A. Viandier ; Dr. sociétés 2007. Comm. 219, obs. H. Hovasse ; BJS 2008. 101, note D. Schmidt) ; toute décision collective ne peut être valablement réputée adoptée qu’à la condition qu’au moins une majorité des voix soit exprimée en faveur de son adoption.
La décision collective : une décision adoptée au moins par le plus grand nombre de voix
8. Deux textes : articles 1844, alinéa 1 et 1844-10, alinéas 2 et 3. Il s’infère de l’arrêt de principe rendu le 15 novembre 2024 que, pour la Cour de cassation, une décision collective est au moins une décision adoptée à la majorité des voix exprimées. À l’image de ce qu’elle avait retenu le 19 janvier 2022, lorsqu’elle énonçait que la liberté statutaire dans les SAS « trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires », la Cour de cassation indique cette fois plus directement que « toute autre règle [de décision que celle du plus grand nombre de voix en faveur d’une résolution] conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires » (§ 12 de l’arrêt). Pour aboutir à ce lien entre décision collective et règle majoritaire, la Cour de cassation place au visa de son arrêt l’article 1844, alinéa 1, selon lequel « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives » et l’article 1844-10, alinéa 2, en vertu duquel « toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du [titre IX du livre III du code civil] dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite ».
9. Explication : la force obligatoire des décisions collectives. Tout d’abord, il nous semble que le message adressé par la Cour de cassation est le suivant : une décision collective, expression d’un pouvoir social, ne peut avoir force obligatoire pour l’ensemble des associés et donc constituer une décision de tous les associés, partisans comme opposants, qu’à la condition d’avoir recueilli le plus grand nombre de voix en sa faveur. C’est à cette condition, au moins, que la décision collective peut en effet être considérée comme valablement adoptée. Sur ce point, on précise que, techniquement, une décision majoritaire n’est pas simplement « opposable » aux minoritaires ou abstentionnistes ; elle est « obligatoire » et donc s’impose à eux, possiblement donc contre leur volonté, ce qui vaut plus largement pour tous les autres organes sociaux, dans la limite évidemment de la répartition légale et/ou statutaire du pouvoir, propre à chaque forme sociale. Dès lors, si le recours à la règle majoritaire permet de s’abstraire de l’unanimité pour prendre des décisions expression d’un pouvoir, c’est à la condition, s’agissant des décisions d’associés, qui traduisent aussi l’expression de leur intérêt personnel, d’exiger au moins une majorité de voix. D’ailleurs, on se souviendra que la légitimité de la règle majoritaire a longtemps été discutée et, qu’à cet égard, elle constitue une « atténuation », un « affadissement » historique nécessaire de l’unanimité (sur ce point, C. Ruellan, La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, thèse, Paris II, 1997, n° 2 et nos 248 à 267, et sur le caractère dérivé de la règle majoritaire, spéc. nos 7 s. ; v. égal. S. Vaisse, La Loi de la majorité dans la société anonyme (contribution à l’étude de la nature juridique de la société anonyme), thèse, Paris, 1967, p. 72 s. ; B. Oppetit, Les rapports des personnes morales et leurs membres, thèse Paris, 1963, p. 132 s.). A fortiori, une règle de décision n’exigeant que la minorité des voix exprimées rend mécaniquement illégitime la décision prise et aboutit bien, possiblement, à ce que deux décisions contradictoires soient adoptées, sauf, il est vrai, à ne pas décompter les voix des opposants.
10. Fondement textuel : l’article 1844, alinéa 1. À l’issue de l’arrêt du 19 janvier 2022, un débat était né sur la nature et le fondement de la sanction, d’une part de la clause statutaire de décision minoritaire, d’autre part de la décision collective d’augmentation de capital prise à la minorité des voix (J.-F. Hamelin, Dr. sociétés 2022. Comm. 42, note ss Com. 19 janv. 2022, n° 19-12.696, préc. ; L. Godon, Rev. sociétés 2022. 493, spéc. n° 6, ss le même arrêt
; J. Delvallée, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire n° 3, mai-juin 2023. Dossier 18, Les règles de majorité: apports jurisprudentiels récents, nos 14 s.). L’hésitation provenait de l’absence, au visa de cet arrêt, de l’article 1844, alinéa 1er. En substance, la question était la suivante : fallait-il fonder les sanctions de la clause et de la décision sur l’article 1844-10, en ses alinéas 2 (réputé non écrit de la clause) et 3 (nullité de la décision sociale) ou bien sur le seul fondement de l’article L. 227-9, alinéa 4 ?
11. Atteinte au droit de participer et de voter par l’objet et par l’effet. Au cas particulier, il résulte du double visa des articles 1844, alinéa 1 et 1844-10, alinéas 2 et 3 que la clause statutaire autorisant la prise d’une décision à la minorité des voix ou selon une condition de seuil ne recueillant pas la majorité, comme la décision prise sur son fondement, contreviennent à l’article 1844, alinéa 1er. Concrètement, cela signifie que prévoir une telle règle de décision, c’est introduire dans les statuts un mode de votation par lequel il n’y a plus de confrontation entre les voix pour et les voix contre la résolution, mais uniquement un décompte des voix en faveur de la résolution. Or, ainsi qu’on a déjà pu l’indiquer, décompter les seules voix en faveur d’une résolution afin de la considérer comme adoptée, peu important le nombre de voix contre l’adoption de cette même résolution, c’est indirectement exclure du décompte les voix des opposants (nos obs. ss Paris, 4 avr. 2023, n° 22/05320, préc. ; rappr. Com. 21 avr. 2022, nos 20-20.619 et 21-10.355, Rev. sociétés 2022. 475, note G. Le Noach
; JCP E 2022. 1023, obs. B. Dondero ; Gaz. Pal. 31 oct. 2022, note D. Gallois-Cochet ; BJS 2022, n° 10, p. 24, note A. Reygrobellet ; Elnet, 31 mai 2022, note E. Guégan ; Dr. sociétés 2022. Comm. 78, note N. Jullian). Dit autrement, cette règle de décision contrevient par son objet aux règles de décompte des voix des associés et peut aboutir, par son effet, comme c’était le cas en l’espèce, à neutraliser les voix de certains associés, dont les votes sont sans influence sur le résultat.
12. Maintien d’une liberté statutaire étendue. Si la Cour de cassation réaffirme le lien entre décision collective d’associés et règle majoritaire, elle ne dit pas que toute décision collective est forcément une décision prise à la majorité. L’unanimité, elle aussi possiblement relative (des seules voix présentes ou représentées par exemple) conserve un empire, légal ou statutaire, chacun le sait. Et il n’est pas non plus écrit qu’une décision majoritaire aurait toujours la valeur d’une décision collective. L’hypothèse est évidemment celle de la décision collective résultant d’une fraude ou d’un abus de majorité. Dans ce dernier cas, la décision n’est plus collective parce qu’elle n’est pas celle de tous les associés, mais celle des seuls majoritaires.
13. Absence de conception technique de la majorité. On perçoit alors dans les mots choisis par la Cour de cassation la volonté de s’abstraire de toute référence à une majorité au sens technique du terme, qu’elle soit absolue, relative, simple ou qualifiée. Cette prise de position est salutaire par rapport à la précédente formule qui avait été retenue le 19 janvier 2022 – « la majorité simple des votes exprimés » , et qui n’avait pas manqué de susciter des interrogations concernant sa portée. À présent, est uniquement exigé le « plus grand nombre de voix » en faveur d’une résolution. Qu’importe l’assiette (quorum par exemple) sur laquelle est décompté ce plus grand nombre de voix. De même, peuvent ou pas, être décomptées les abstentions. Surtout, en insistant sur « le plus grand nombre de voix », et non directement sur telle majorité, est à notre avis confirmée la possibilité de recourir à la majorité relative, dans une SAS. Aussi, il devrait être possible, dans certains cas particuliers, de soumettre au vote des associés plusieurs propositions, par exemple A, B et C, et de considérer la résolution A comme adoptée, sans nécessairement que le plus grand nombre de voix en faveur de A corresponde à une définition technique de la majorité : majorité absolue, donc plus de 50 % de la totalité des voix, ou majorité simple, c’est-à-dire, plus de 50 % des voix exprimées, présentes ou représentées, en faveur d’une proposition à deux entrées, A ou B. Ainsi, dans le cas d’une pluralité de propositions que seraient A, B et C : si A obtient 45 % des voix exprimées, B obtient 15 % et C 40 %, la résolution A devrait pouvoir être adoptée sans pour autant atteindre la majorité des suffrages exprimés.
14. Liberté statutaire étendue. Les possibilités d’aménagements sont donc importantes et elles le sont d’autant plus que le principe de proportionnalité ne s’applique pas dans les SAS (C. com., art. L. 225-122 exclu par l’art. L. 227-1, al. 3) et que, par le truchement des actions de préférence, il est possible de priver une partie des actions du droit de vote. À ce propos, une espèce récente a permis d’illustrer ce que pouvait être la liberté statutaire par le recours aux actions de préférence à droits de vote multiples, dans une SAS, sur le fondement de l’article L. 228-11 du code de commerce. Et dans cet arrêt, il a été considéré que l’octroi d’un droit de vote multiple à des actions de préférence (le porteur disposait d’une majorité de 52,91 % des voix pour 1,11 % du capital social) et la disproportion en résultant avec les droits de vote attachés aux actions ordinaires n’équivalait pas à une privation du droit de vote de ces dernières (Com. 13 mars 2024, n° 22-12.205 F-B, Dalloz actualité, 24 avr. 2024, obs. J. Delvallée ; D. 2024. 543
; ibid. 1832, obs. E. Lamazerolles, J.-M. Moulin et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2024. 501, note J. Heinich
). Une fois ces possibilités d’aménagements à l’esprit, si l’on reste dans le cadre d’une décision collective, et ce même en dehors des SAS par le recours aux actions de préférence dans les sociétés dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé, on peut d’autant plus approuver la position de la Cour de cassation dans le présent arrêt.
15. Toujours pas de règle de majorité supplétive ou par défaut dans le silence de la loi ou des statuts. Enfin, la question de savoir si, dans le silence des statuts d’une SAS, les décisions collectives, autre que modificatives des statuts, peuvent être prises « par défaut » à la majorité des voix exprimées, n’est pas tranchée. On peut le regretter car une telle règle supplétive a pu être, implicitement, retenue en matière d’associations, elles aussi certainement concernées par le présent arrêt (Civ. 1re, 1er févr. 2017, n° 16-11.979, D. 2017. 743
, note D. Gallois-Cochet
; JA 2017, n° 554, p. 9, obs. X. Delpech
; Rev. sociétés 2018. 43, note K. Rodriguez
). On ajoutera que dans les SAS, une large part de la doctrine est favorable à l’application supplétive de la majorité absolue (en capital) (J.-J. Daigre, in La Société par actions simplifiée, GLN-Joly, 1994, p. 48 ; L. Godon, La société par actions simplifiées, LGDJ, 2014, n° 427; A. Charvériat, B. Dondero, F. Gilbert et M.-E. Sébire, Mémento sociétés commerciales, EFL, 2025, n° 60515; J. Mestre, D. Velardocchio, J. Heinich e.a., Sociétés commerciales, Lamy, 2025, n° 4283). Et on se souviendra que le projet de loi instituant la SAS prévoyait initialement que les décisions de la compétence légale des associés, aujourd’hui visées pour partie à l’article L. 227-9, alinéa 2, devaient être prises « dans les conditions prévues par les statuts, exercées par les actionnaires réunis en assemblée qui statuent à une majorité qui ne peut être inférieure à la majorité absolue des voix exprimées » (AN, projet de loi n° 144, 5 mai 1993). Certes, la résolution litigieuse était précisément modificative des statuts. En outre, la question peut apparaître de peu d’intérêt pratique tant il est rare que rien ne soit prévu dans les statuts d’une SAS. Il reste qu’elle se pose précisément dans l’hypothèse où la clause de décision est réputée non écrite. Or, tel est bien le cas en l’espèce.
Les sanctions de la clause statutaire et des décisions réputées adoptées sans majorité
16. Deux sanctions distinctes. C’est sur le terrain des sanctions que l’arrêt est particulièrement riche. D’une part, concernant la clause statutaire de décision minoritaire réputée non écrite ; d’autre part, s’agissant des décisions collectives prises dans de telles conditions, qui encourent la nullité.
La sanction du réputé non écrit de la clause statutaire de décision minoritaire
17. Le réputé non écrit : fondement explicite. Pour l’Assemblée plénière, l’article 1844-10, alinéa 2, du code civil justifie la solution selon laquelle la clause statutaire conditionnant l’adoption d’une décision collective à la minorité des voix est réputée non écrite (§ 13 de l’arrêt). Plusieurs observations peuvent dès lors être formulées.
18. Réputé non écrit partiel ou réputé non écrit pour le tout ? Tout d’abord, soulignons que rien n’est expressément dit de la portée du réputé non écrit de la clause statutaire prévoyant une condition de décision minoritaire. On se doute que la Cour de cassation n’avait pas directement à l’esprit cette problématique spécifique. Elle mérite toutefois d’être évoquée puisque l’on sait qu’il a été récemment jugé que toute stipulation d’une clause statutaire (mais uniquement cette stipulation) ayant pour objet ou pour effet de priver un associé de son droit de vote encourt le réputé non écrit et ce, sur le fondement d’un visa taillé dans le même bois que celui du présent arrêt : les articles 1844 et 1844-10 plus un texte propre aux SAS offrant une plage de liberté, dans l’espèce concernée, l’article L. 227-16 (Com. 29 mai 2024, n° 22-13.158 FS-B, Dalloz actualité, 13 juin 2024, obs. J. Delvallée ; D. 2024. 1515
, note S. Farges
; ibid. 1832, obs. E. Lamazerolles, J.-M. Moulin et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2024. 441, note L.-M. Savatier
; RTD civ. 2024. 637, obs. H. Barbier
; RTD com. 2024. 705, obs. J. Moury
). Il est vrai que dans l’affaire exposée ici, s’agissant d’une décision d’augmentation de capital nécessairement de la compétence des associés de la SAS (C. com., art. L. 227-9, al. 2), admettre le réputé non écrit de la clause statutaire pour le tout ne pose pas de réelle difficulté ; à tout le moins sur le terrain de la compétence des associés. Partant, si une difficulté devait exister, consécutivement au prononcé du réputé non écrit en entier de la clause contenant le morceau infecté (la clause de décision minoritaire), ce serait celle des conditions d’adoption de la décision d’augmentation de capital. Or, s’agissant d’une décision modificative des statuts, la question est réglée : il faudra recueillir l’unanimité des associés conformément à l’article 1836, alinéa 1, du code civil.
19. Difficulté pour les décisions autres que celles modificatives des statuts. Il n’en demeure pas moins que toutes les fois que la compétence des associés n’est pas légale, la question de la portée du réputé non écrit pourrait être beaucoup plus délicate (décisions réservées aux associés sur le fondement de l’art. L. 227-9, al. 1). Il est vrai que si le réputé non écrit ne touche que la partie de la clause infectée, la question incidente sera encore celle de la majorité applicable aux décisions collectives « privées » de la condition de décision minoritaire. Et faute de règle de supplétive de majorité applicable aux SAS, ce sera encore l’unanimité des associés qui devrait s’imposer, on l’a indiqué. En revanche, si la sanction du réputé non écrit touche la clause statutaire en entier, ce à quoi invite littéralement l’article 1844-10, alinéa 2 (v. sur cet aspect, A. Reygrobellet, JCP n° 28, 15 juill. 2024. Act. 929, note ss Com. 29 mai 2024, n° 22-13.158, préc.) tel que repris par la Cour de cassation, qui vise « toute clause statutaire contraire », la difficulté pourrait être celle de la compétence pour prendre telle décision. Dans une telle hypothèse, différentes solutions seraient envisageables selon la portée de la clause de décision minoritaire (si elle s’applique à toutes ou à certaines décisions collectives seulement) et selon que les statuts réservent ou non une compétence résiduelle au président ou aux associés ou à tout autre organe.
20. Probablement le réputé non écrit partiel. Une lecture raisonnable de l’arrêt est de considérer que le réputé non écrit est partiel, étant donné qu’à l’image de ce qui a été récemment jugé en matière de clause d’exclusion privant un associé de son vote sur la mesure le concernant (v. Com. 29 mai 2024, n° 22-13.158, préc.), il s’agit au fond, avec l’arrêt du 15 novembre 2024, de sanctionner une clause qui, par son objet ou son effet, porte atteinte au droit de participer et de voter des associés.
La sanction de la nullité des décisions collectives d’associés adoptées à la minorité
21. Droit commun des sociétés. Une première observation s’impose : ce n’est pas l’article L. 227-9, alinéa 4, qui fonde l’annulation de la décision d’augmentation de capital, mais l’article 1844-10, alinéa 3. En tant que tel, le choix du droit commun des sociétés pour une société commerciale n’est pas surprenant, dès lors qu’est en cause la violation du droit de participer et de voter. Et ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation applique, pour les nullités des décisions sociales d’une société commerciale, singulièrement d’une SAS, l’article 1844-10, alinéa 3 plutôt que l’article L. 235-1 ou L. 227-9. Cela s’explique simplement en raison de ce que la règle impérative dont la violation est invoquée, l’article 1844, alinéa 1, est localisée dans le titre IX du code civil (v. sur cette question, E. Guégan, Les nullités des décisions sociales, Dalloz, 2019, préf. R. Mortier, spéc. nos 119 et 410). En tous les cas, on relève qu’il ne s’agit pas de dire que la décision collective a été prise en violation de l’exigence d’unanimité de l’article 1836, alinéa 1er, qui s’appliquera supplétivement en raison de la constatation du réputé non écrit de la clause ou de la stipulation litigieuse. Il est vrai, cela dit, que la violation de cette exigence d’unanimité constituerait également la violation d’une disposition impérative du titre IX.
22. Exit le droit spécial des SAS ? Relevons encore que n’est pas en cause la violation de l’article L. 227-9, alinéa 2, en ses dispositions légales impératives ; à tout le moins, il ne s’agit pas d’une violation de la compétence légale des associés en matière d’augmentation de capital. Il n’est pas non plus question de sanctionner la violation d’une clause statutaire fixant les conditions dans lesquelles l’augmentation de capital a été prise et pour cause, la clause prévoyant la prise d’une décision à la minorité des voix est réputée non écrite et son application, précisément, n’emportait pas violation des statuts.
23. Deux atteintes liées. En réalité, ce sont certainement deux atteintes liées qui sont ici sanctionnées : l’atteinte au caractère collectif de la décision prise à la minorité des voix, qui ne peut recevoir la qualification de décision collective, c’est-à-dire qu’elle ne peut être considérée comme une décision de tous les associés au sens de l’article L. 227-9, alinéas 1 et 2, faute d’avoir été prise collectivement par les associés ; l’atteinte au droit de participer et de voter qui résulte de l’application de cette clause, d’abord par son objet, puisqu’elle ne décompte que les voix en faveur de la résolution, ensuite par son effet, puisqu’in fine les voix des opposants, bien qu’exprimées, n’influent pas sur le sens de la décision et par là-même se trouvent neutralisées.
24. L’atteinte au droit de participer et de voter : une nullité facultative ? Une seconde observation concerne la nature de la nullité en cause. En jugeant que « les actes et délibérations des organes de la société pris en violation d’une telle disposition [impérative du Titre IX] peuvent, dans la limite prévue par ce texte, être annulés » (nous soulignons), les Hauts magistrats paraissent réserver à la nullité un caractère facultatif. Cela pourrait s’entendre si l’on fondait l’annulation sur la violation de l’article L. 227-9, alinéas 1 ou 2. Mais pour cela, il aurait fallu viser l’article L. 227-9, alinéa 4. Au cas particulier, puisque c’est le seul article 1844, alinéa 1, qui est en cause, on peut être surpris de lire que la nullité serait facultative puisque, jusqu’à présent, la Cour de cassation a plutôt eu tendance à sanctionner les décisions prises en violation du droit de participer et de voter de tout associé par une nullité de droit (v. not., Com. 23 oct. 2007, n° 06-16.537, préc. ; 9 juill. 2013, n° 11-27.235, Dalloz actualité, 17 juill. 2013, obs. A. Lienhard ; D. 2013. 2627, note F. Ait-Ahmed
; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2014. 40, note J.-J. Ansault
; RTD civ. 2013. 836, obs. B. Fages et H. Barbier
; 6 mai 2014, n° 13-14.960, D. 2014. 1485
, note B. Dondero
; Rev. sociétés 2014. 550, note P. Le Cannu
). Il est vrai cela dit qu’elle raisonnait ainsi concernant des décisions prises sur le fondement de clauses réputées non écrites pour le tout.
25. Ce que l’on peut relever, c’est que la Cour de cassation n’évoque nullement le grief qu’aurait causé l’atteinte au droit de participer et de voter pour fonder le prononcé de la nullité alors que la sanction est prononcée à l’issue de la cassation sans renvoi. De même que l’assemblée plénière ne se réfère pas au critère forgé depuis l’arrêt Larzul 2 selon lequel une irrégularité affectant la prise d’une décision sociale n’est une cause de nullité que si elle a été de nature à influer sur le résultat du processus de décision (Com. 15 mars 2023, n° 21-18.324 FS-B, Dalloz actualité, 28 mars 2023, obs. J. Delvallée ; D. 2023. 671
, note A. Couret
; ibid. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2023. 377, note L. Godon
; RTD com. 2023. 381, obs. A. Lecourt
; ibid. 391, obs. J. Moury
; JCP E 2023. 1093, note B. Dondero ; JCP 2023. 658, note A. Reygrobellet ; Dr. sociétés 2023. Comm. n° 72, note J.-F. Hamelin ; BJS mai 2023. 13, note H. Le Nabasque ; RDC 2023, n° 3, p. 48, obs. M. Caffin-Moi ; 11 oct. 2023, n° 21-24.646 FS-B, Dalloz actualité, 10 nov. 2023, obs. J. Delvallée ; D. 2023. 2024
, note B. Dondero
; ibid. 2024. 1832, obs. E. Lamazerolles, J.-M. Moulin et A. Rabreau
; RTD com. 2023. 892, obs. A. Lecourt
; BRDA 2023, n° 21, p. 26 ; JCP E 2024. 1143, n° 5, obs. M. Buchberger ; Dr. sociétés 2023, n° 140, note J.-F. Hamelin ; RJDA 2024, n° 37 ; Gaz. Pal. 27 févr. 2024, p. 48, obs. D. Gallois-Cochet ; LPA 29 févr. 2024, note S. Farges ; Com. 29 mai 2024, n° 21-21.559 F-B, Dalloz actualité, 9 juill. 2024, obs. J. Delvallée ; D. 2024. 1505
, note C. Boismain
; ibid. 1832, obs. E. Lamazerolles, J.-M. Moulin et A. Rabreau
; RTD com. 2024. 701, obs. A. Lecourt
). Ces deux éléments nous paraissent renforcer l’hésitation sur le caractère facultatif de la nullité ici prononcée, même si les deux critères sont distincts : l’un concerne l’office du juge et suppose la preuve d’un grief ; l’autre constitue une condition de fond (de création prétorienne) au prononcé de la nullité. Aussi, il ne faut probablement pas attacher trop d’importance à la formule « peuvent être annulées », même si une précision sur ce point serait bienvenue dans le Rapport annuel. En revanche, si l’on s’en tient à la jurisprudence précitée depuis l’arrêt dit Larzul 2, la condition de l’influence sur le résultat du processus de décision devrait être nécessaire afin de poursuivre éventuellement l’annulation des décisions prises depuis l’augmentation de capital litigieuse ; annulation qui, elle, s’agissant de décisions collectives d’associés de SAS, devrait être facultative conformément à l’article L. 227-9, alinéa 4, du code de commerce.
Cass., ass. plén., 15 nov. 2024, B+R, n° 23-16.670
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