La réinterprétation de la condition de cohabitation

Dorénavant, lorsque des parents séparés exercent conjointement l’autorité parentale, ils sont tous deux responsables des dommages causés par leur enfant mineur, même si celui-ci ne réside que chez l’un de ses parents. Il n’en va autrement que si le mineur a été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire.

La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, organisée par l’article 1242, alinéa 4, du code civil, repose sur des conditions dont certaines tiennent aux parents, et d’autres, au mineur auteur du fait dommageable. Parmi les exigences propres aux père et mère, figure celle relative à la cohabitation entre le mineur et ses parents. C’est précisément ce critère qui fait l’objet de la décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 28 juin 2024.

En l’espèce, un mineur de dix-sept ans avait volontairement causé de multiples incendies, entraînant ainsi de lourds préjudices. Au moment des faits, la résidence habituelle de l’adolescent était fixée chez sa mère, divorcée. Sollicité en garantie, l’assureur du père du mineur, auprès duquel se trouvait le jeune homme au moment des incendies au titre d’un droit d’hébergement, a opposé un refus aux victimes.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie du litige, n’a retenu que la seule condamnation de la mère, par application de l’article 1242, alinéa 4, du code civil. Celle-ci, et son assureur, forment alors un pourvoi contre cette décision. Ils reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir retenu la responsabilité du père de l’adolescent, par application de l’article 1242, alinéa 4, du code civil.

La question posée à la Cour consistait donc à déterminer comment apprécier la condition relative à la cohabitation en présence de parents séparés, exerçant conjointement l’autorité parentale.

La réponse apportée par l’assemblée plénière opère un revirement de jurisprudence. Elle emporte une redéfinition, devenue nécessaire, du critère de cohabitation. Opportune, cette réinterprétation est néanmoins audacieuse.

Une nécessaire réinterprétation de la cohabitation

Au sein de la responsabilité parentale, le critère de la cohabitation est ancien, et date de 1804. Mais s’il a traversé les époques, puisque le code civil y fait toujours référence en son article 1242, alinéa 4, il n’a jamais été défini légalement.

Pendant longtemps, la jurisprudence a retenu une conception matérielle de la notion. Reposant sur une présomption de faute de surveillance et/ou d’éducation, la responsabilité des parents supposait une « proximité physique et effective » du mineur auprès de ses père et mère (P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 6e éd., LexisNexis, 2023, n° 431).

Avec l’évolution des modes de vie et des conditions de prise en charge des mineurs, ces derniers ont gagné en autonomie et se sont vus de plus en plus souvent confiés à autrui (établissements scolaires, colonies de vacances…). En d’autres termes, ils ont été de plus en plus fréquemment soustraits à la surveillance directe de leurs parents. Dans le souci de répondre au besoin d’indemnisation des victimes, les magistrats ont alors modulé les contours du critère de cohabitation. Ainsi, ils n’ont accepté d’écarter la présomption pesant sur les parents qu’en cas de défaut de cohabitation « légitime », faisant ainsi naître une casuistique jurisprudentielle parfois déconcertante (sur ce point, J. Julien et P. le Tourneau, Responsabilité spéciale des père et mère du fait de leurs enfants, in Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, nos 2233 s., spéc. nos 2233. 61 s.)

Le célèbre arrêt Bertrand (Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 94-21.111, D. 1997. 265 , note P. Jourdain ; ibid. 279, chron. C. Radé ; ibid. 290, obs. D. Mazeaud ; ibid. 1998. 49, obs. C.-J. Berr ; RDSS 1997. 660, note A. Dorsner-Dolivet ; RTD civ. 1997. 648, obs. J. Hauser ; ibid. 668, obs. P. Jourdain ) a probablement entraîné la dématérialisation de la condition afférente à la cohabitation. Depuis cet arrêt, la responsabilité des parents est une responsabilité de plein droit, à laquelle ils ne peuvent échapper qu’en établissant un cas de force majeure ou une faute de la victime. Une cohabitation matérielle n’est donc plus nécessaire, puisqu’il ne s’agit plus de faire peser sur les parents une présomption de faute de surveillance. S’agissant d’une exigence malgré tout inscrite dans la loi, la Cour de cassation a alors minimisé la portée de la condition dès l’arrêt Samda (Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 93-14.646, D. 1997. 119 ; RTD civ. 1997. 648, obs. J. Hauser ; ibid. 670, obs. P. Jourdain ). Il en ressort que « l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce le droit de garde » (l’expression droit de garde a été remplacée par celle d’autorité parentale par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale).

Ainsi la condition relative à la cohabitation est devenue une exigence essentiellement juridique (L. Mauger-Vielpeau, La consécration de la cohabitation juridique, D. 2003. 2112 ). En présence de parents séparés, « la cohabitation de l’enfant avec ses père et mère (…) résulte de la résidence habituelle de l’enfant au domicile des parents ou de l’un d’eux » (Civ. 2e, 20 janv. 2000, n° 98-14.479, D. 2000. 469 , obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2000. 340, obs. P. Jourdain ). Si les parents ne vivent pas ensemble, le seul parent responsable est, selon cette jurisprudence traditionnelle, celui qui dispose du droit de résider habituellement avec l’enfant, même si celui-ci ne se trouve pas, au moment du fait dommageable, auprès de ce parent (Crim. 6 nov. 2012, n° 11-86.857, D. 2012. 2658, obs. I. Gallmeister ; AJ fam. 2012. 613, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 106, obs. J. Hauser ; 29 avr. 2014, n° 13-84.207, Dalloz actualité, 14 mai 2014, obs. A. Cayol ; D. 2014. 1620 , note L. Perdrix ; ibid. 2015. 124, obs. P. Brun et O. Gout ; AJ fam. 2014. 370, obs. A. Zelcevic-Duhamel ; RTD civ. 2014. 639, obs. J. Hauser ).

C’est cette interprétation de la cohabitation qui, en l’espèce, a été retenue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Selon les juges du fond, le père du mineur ne disposant pas du droit de résider habituellement avec son fils, ne pouvait être tenu d’en répondre civilement.

Devenue traditionnelle, cette solution était globalement favorable aux victimes. Elle permettait d’identifier aisément le parent potentiellement responsable du fait du mineur, en présence de parents divorcés. Mais elle n’échappait pas à de solides critiques.

D’abord cette conception purement juridique de la notion éloignait la responsabilité parentale du concept d’autorité qui la justifie depuis 1804 et du principe de coparentalité que le droit de la famille a progressivement consacré. En effet, le parent qui n’a pas le droit de résider habituellement avec le mineur, et qui pourtant exerce à son égard l’autorité parentale, échappait systématiquement à la responsabilité de plein droit visée par l’article 1242, alinéa 4.

De plus, cette solution traditionnelle générait des doutes lorsque la résidence du mineur était alternée entre les domiciles de ses deux parents.

En outre, cette conception conduisait à des différences de traitement parfois difficilement justifiables entre les victimes. Si les parents ne sont pas séparés, ou s’ils le sont mais sans que la résidence habituelle du mineur ait fait l’objet d’une décision de justice ou d’un accord entre eux, alors la victime pouvait invoquer leur condamnation solidaire sur le fondement de l’article 1242, alinéa 4. En revanche, lorsque seul un des deux parents dispose du droit de résider habituellement avec l’enfant, la victime ne pouvait engager que la seule responsabilité de ce parent (sur le fondement de l’art. 1242, al. 4). Cette solution traditionnelle la privait donc d’un coresponsable. Le Conseil constitutionnel, interrogé à ce propos, n’y a pas vu cependant de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (Cons. const. 21 avr. 2023, n° 2023-1045 QPC, Dalloz actualité, 11 mai 2023, obs. A. Cayol ; D. 2023. 1787 , note M. Bleusez ; ibid. 2024. 441, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 891, obs. REGINE ; AJ fam. 2023. 338, obs. X. Henry ; RTD civ. 2023. 602, obs. A.-M. Leroyer ).

Critiquée en doctrine pour son aspect anachronique face aux évolutions sociétales, l’exigence relative à la cohabitation nécessitait donc d’être réinterprétée. C’est aussi ce que réclamait en l’espèce le pourvoi, en son troisième moyen, en soutenant que le parent divorcé chez lequel n’a pas été fixée judiciairement la résidence de l’enfant doit être au même titre que l’autre parent, responsable civilement du fait de cet enfant. Plusieurs projets de réforme avaient d’ailleurs proposé de supprimer l’exigence relative à la cohabitation au sein de la responsabilité parentale (J. Julien et P. le Tourneau, op. cit., n° 2233.15). Mais ils étaient restés lettre morte.

C’est très probablement pour cette raison que l’assemblée plénière, saisie de la question, a proposé une ultime évolution de la notion de cohabitation. 

Une réinterprétation audacieuse de la cohabitation

Pour répondre au problème qui lui était soumis, l’assemblée plénière disposait de deux options.

La première consistait à maintenir le caractère autonome de la condition relative à la cohabitation. La Haute juridiction pouvait en effet décider que cette condition se trouve satisfaite dès lors que le parent séparé dispose du droit de résider, même non habituellement et même sur une courte durée, avec son enfant. Cette solution permettait aux victimes d’obtenir la condamnation solidaire des deux parents dans la plupart des circonstances, et notamment en cas de résidence alternée.

Cette réinterprétation aurait toutefois interdit aux victimes de poursuivre, sur le fondement de l’article 1242, alinéa 4, le parent privé du droit de résider avec son enfant parce qu’il ne dispose, en vertu d’une décision judiciaire, que d’un droit de visite à son égard (v. not., C. civ., art. 373-2-9).

Il semble que la Cour de cassation ait écarté cette solution mesurée pour en adopter une autre, plus radicale. En effet, il ressort de sa motivation que dorénavant la cohabitation doit être comprise comme une notion dépendante, et non plus autonome, de l’exercice de l’autorité parentale. Il s’agit d’un prolongement de celui-ci. Ainsi, la notion de cohabitation doit être interprétée « comme la conséquence de l’exercice conjoint de l’autorité parentale ». Désincarnée, elle ne cesserait « que lorsque des décisions administratives ou judiciaires » confient le mineur à un tiers.

L’arrêt d’appel, en refusant de retenir la responsabilité du père du mineur incendiaire, qui exerçait pourtant conjointement l’autorité parentale, encourait donc la cassation sur ce point pour violation de l’article 1242, alinéa 4.

Aujourd’hui les parents – séparés ou non – sont automatiquement et solidairement responsables des dommages causés par leur enfant mineur, dès lors qu’ils exercent à son égard, leur autorité parentale. Cette solution est très avantageuse pour les victimes. Les deux parents étant solidairement tenus et probablement assurés, leur réparation sera le plus souvent facilitée.

Par ailleurs, ce revirement de jurisprudence fait de l’exercice de l’autorité parentale l’axe central de la responsabilité des parents. Cette conception est en pleine cohérence avec le principe de coparentalité consacrée par la loi du 4 mars 2002, qui traduit en droit interne le principe de responsabilité commune des parents d’élever leur enfant et d’assurer son développement au-delà de leur séparation issu de l’article 18-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle réconforte en effet la fonction préventive de la responsabilité civile à l’égard des parents séparés qui, bien que ne résidant pas habituellement avec leur enfant, doivent en assurer l’éducation.

Enfin, l’interprétation de la Haute juridiction s’articule harmonieusement avec la responsabilité générale du fait d’autrui issue de l’arrêt Blieck (Cass., ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, D. 1991. 324 , note C. Larroumet ; ibid. 157, chron. G. Viney , obs. J.-L. Aubert ; RFDA 1991. 991, note P. Bon ; RDSS 1991. 401, étude F. Monéger ; RTD civ. 1991. 312, obs. J. Hauser ; ibid. 541, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1991. 258, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ; JCP 1991. II. 21673. note J. Ghestin) et de la jurisprudence qui s’en est suivie. En effet celui qui a la garde d’une personne vulnérable, comme celle d’un mineur, doit en répondre au sens de l’article 1242, alinéa 1er du code civil. Ce gardien est celui qui s’est vu confier, de façon officielle, la charge d’organiser, de diriger et de contrôler à titre permanent, le mode de vie du mineur. Et il sera responsable de plein droit du dommage causé par celui-ci (Crim. 26 mars 1997, n° 95-83.956, D. 1997. 496 , note P. Jourdain ; ibid. 1998. 201, obs. D. Mazeaud ; RDSS 1998. 399, obs. F. Monéger ; RTD com. 1997. 480, obs. E. Alfandari ).

La responsabilité de ce gardien prend alors le relais de la responsabilité des parents, qui cessent d’être tenus du fait de leur enfant, comme le précise la Haute juridiction dans sa motivation (« les parents […] sont solidairement responsables […] dès lors que l’enfant n’a pas été confié à un tiers »). Il est vrai qu’alors, l’exercice de leur autorité parentale s’en trouve amoindrie. Ainsi, en matière d’assistance éducative, si les parents « continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure » (C. civ., art. 375-7), ils ne conservent qu’un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. La jurisprudence a eu l’occasion de préciser que si le mineur placé causait préjudice alors qu’il se trouvait auprès de ses parents au titre d’un droit d’hébergement, l’association à qui sa garde avait été confiée restait responsable du fait de celui-ci, dès lors qu’aucune décision n’avait suspendu ou interrompu cette mission éducative (Civ. 2e, 6 juin 2002, n° 00-15.606, D. 2002. 2750, et les obs. , note M. Huyette ; RDSS 2003. 118, obs. E. Alfandari ; ibid. 127, obs. J.-M. Lhuillier ; RTD civ. 2002. 825, obs. P. Jourdain ; JCP 2003. I. 154, n° 37, obs. G. Viney).

Très favorable aux victimes de mineurs, l’interprétation proposée par la Cour de cassation s’avère redoutable pour les parents, dont la responsabilité est devenue quasi automatique. Finalement, seuls les parents privés de l’autorité parentale, ou ceux dont l’autorité se trouve amoindrie par une décision consistant à confier le mineur à un tiers, échappent aujourd’hui à la responsabilité dictée par l’article 1242, alinéa 4, du code civil. Mais tous les autres y sont soumis.

Rappelons que la responsabilité des père et mère est une responsabilité objective, qui ne cède que devant la force majeure ou la démonstration d’une faute commise par la victime. Or, les cas où la jurisprudence admet l’exonération des parents sont très rares.

En outre depuis l’arrêt Fullenwarth (Cass., ass. plén., 9 mai 1984, n° 79-16.612) dont la solution a ensuite été confortée par l’arrêt Levert (Civ. 2e, 10 mai 2021, n° 99-11.287, D. 2001. 2851, et les obs. , rapp. P. Guerder , note O. Tournafond ; ibid. 2002. 1315, obs. D. Mazeaud ; RDSS 2002. 118, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2001. 601, obs. P. Jourdain ), puis entérinée par l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 13 déc. 2002, n° 00-13.787, D. 2003. 231 , note P. Jourdain ; RCA 2003. Chron. 4, note H. Groutel), la responsabilité des parents ne nécessite même pas, pour être engagée, que le mineur ait commis un fait générateur de responsabilité (même si le plus souvent, tel sera effectivement le cas en pratique). Un simple fait causal suffit. Cette solution très critiquable est d’ailleurs remise en cause par les derniers projets de réforme qui exigent la preuve d’un fait de nature à engager la responsabilité de l’auteur direct du dommage (art. 1245 du projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017 par la Chancellerie ; art. 1244 de la proposition de loi n° 678 portant réforme de la responsabilité civile déposée au Sénat le 20 juill. 2020).

En définitive, si la solution de la Cour de cassation était très attendue faute de réforme législative sur ce point, on ne saurait que conseiller aux parents séparés de vérifier leur contrat d’assurance chef de famille. Si en général, les contrats couvrent bien l’hypothèse dans laquelle l’assuré n’exerce qu’un droit d’hébergement du mineur auteur du préjudice, ils peuvent, comme c’était le cas en l’espèce, prévoir des plafonds de garantie.

Cass., ass. plén., 28 juin 2024, B+R, n° 22-84.760

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