La réparation du préjudice en cas de travail pendant un arrêt maladie

En application de l’article 1231-1 du code civil, l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur et se résout par l’allocation de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi.

L’article 1231-1 du code civil pose aujourd’hui le principe de la responsabilité contractuelle et dispose que le débiteur d’une obligation est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. Or, il faut rappeler que, sauf règles particulières, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun (C. trav., art. L. 1221-1). Certains raisonnements tendant à indemniser le préjudice subi par l’une ou l’autre des parties du contrat de travail peuvent ainsi emprunter cette voie, faute de dispositions spécifiques. Tel est le cas par exemple, pour le salarié qui engage sa responsabilité civile en cas de faute lourde (v. G. Couturier, Responsabilité civile et relations individuelles de travail, Dr. soc. 1988. 407). Mais qu’en est-il lorsque le préjudice est causé par l’employeur qui, lorsque le contrat est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour maladie, accident ou d’un congé maternité, conduit le salarié à effectuer pour son compte une prestation de travail ? Ce travail doit-il être indemnisé sous la forme d’un rappel d’heures ou sous la forme d’une indemnisation pour le préjudice subi ? Telle était la question posée et à laquelle la chambre sociale de la Cour de cassation est venue apporter des éléments de réponse par son arrêt du 2 octobre 2024.

En l’espèce, une salariée avait été engagée par une fondation en qualité de chargée de développement, avant d’exercer les fonctions de directrice régionale, au statut de cadre.

La salariée ayant par la suite adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle, le contrat de travail a été rompu.

L’intéressée a ensuite saisi les juridictions prud’homales, soutenant avoir été contrainte de travailler pendant ses congés de maternité et de maladie et avoir été privée pendant la durée de son congé de maternité du bénéfice d’une augmentation de salaire accordée à l’ensemble des salariés, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de rappels de salaire, d’une indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts.

La salariée s’est vu débouter par les juges du fond de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire des heures de travail accomplies pendant ses congés maladie et maternité ainsi que de l’indemnité pour travail dissimulé. Aussi s’est-elle pourvue en cassation. La chambre sociale de la Cour de cassation va valider en partie la solution trouvée par la cour d’appel, mais prononcer la cassation pour des considérations tenant à la procédure collective engagée par ailleurs contre l’employeur.

Réparation du préjudice inhérente au travail pendant la suspension de contrat pour maladie

L’éminente juridiction va en effet affirmer qu’en application de l’article 1231-1 du code civil, l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur et se résout par l’allocation de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi.

Or il se trouve que la salariée avait été contrainte de travailler pendant les périodes de suspension du contrat de travail alors qu’elle était en arrêt maladie ou en congé de maternité.

L’intéressée ne pouvait ainsi, aux yeux des Hauts magistrats, pas prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuées et pouvait seulement réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Cette solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence esquissée récemment affirmant que le seul constat du manquement de l’employeur en ce qu’il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie (n° 23-15.944, Dalloz actualité, 25 sept. 2024, obs. L. Malfettes ; D. 2024. 1529 ) ou pendant son congé maternité (n° 22-16.129, Dalloz actualité, 16 sept. 2024, obs. L. Malfettes ; D. 2024. 1528 ) ouvre droit à réparation. Mais encore fallait-il définir le régime juridique de ce droit à réparation. Entre un rappel d’heures de travail non payées et l’indemnisation d’un préjudice contractuel, l’issue était incertaine.

La solution apportée par l’arrêt du 2 octobre 2024 apparaît ainsi la bienvenue car force est d’admettre qu’elle n’allait de soi. La réalisation d’heures de travail dans le cadre d’un contrat de travail se traduit en situation nominale par l’allocation d’un rappel de salaire lorsque celles-ci n’ont pas été payées et, le cas échéant, par les conséquences indemnitaires liées au travail dissimulé lorsqu’elles n’ont en sus pas été déclarées et identifiées sur les bulletins de paie.

Il convient donc de raisonner selon une logique propre à la situation particulière de la suspension du contrat de travail, qui fait elle-même l’objet d’un régime juridique ad hoc impliquant notamment le versement d’indemnités venant compenser la perte de salaire liée à l’incapacité, auquel s’ajoute le cas échéant le complément employeur. Si ce régime conduit à verser des sommes au salarié sur la base d’une attestation de salaire, il ne s’agit pas de revenus d’activité puisque le contrat est suspendu. Difficile donc, sous cet angle, de considérer que les heures effectuées pendant cette période pour le compte de l’employeur doivent être qualifiées d’heures supplémentaires. Pour autant, il aurait été plausible de considérer qu’il s’agit d’une prestation de travail qu’il convient de rétribuer. Il conviendra toutefois désormais aux plaideurs de qualifier proprement leurs demandes, en invoquant une indemnisation du préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sans que ne puisse donc être en sus sollicitée l’indemnité inhérente à une éventuelle situation de « travail dissimulé ».

Cette orientation ne vient à notre sens pas pour autant pénaliser l’indemnisation du salarié qui a pu être contraint de travailler alors qu’il était sous l’empire d’un arrêt de travail, puisqu’il reviendra en toute hypothèse au juge d’apprécier l’étendue du préjudice sans que ce dernier ne soit restreint par un plafond légal, et dont il faut rappeler qu’il est désormais reconnu comme nécessaire en cette hypothèse (Soc. 4 sept. 2024, n° 23-15.944 et n° 22-16.129, préc.).

 

Soc. 2 oct. 2024, FS-B, n° 23-11.582

Lefebvre Dalloz