La responsabilité du fait des produits défectueux et le cas des pathologies évolutives devant la CJUE
Élaboré il y a quarante ans et applicable en France depuis 1998, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux continue de donner du fil à retordre aux juridictions. C’est le cas, notamment, lorsqu’un produit est à l’origine d’une pathologie évolutive. C’est à ce sujet qu’une cour d’appel a décidé de surseoir à statuer et de poser trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
 
                            
Garantir la protection des consommateurs tout en tenant compte du fait que « les produits s’usent avec le temps, que des normes de sécurité plus strictes sont élaborées et que les connaissances scientifiques et techniques progressent » (Dir. 85/374/CEE du Conseil du 25 juill. 1985, consid. 11) et qu’il convient donc de limiter, notamment dans le temps, la responsabilité du producteur : tel est le difficile équilibre que tente d’instaurer la directive européenne du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux. Sur la conciliation entre ces deux impératifs, le cas des pathologies évolutives est particulièrement saillant. Faut-il appliquer strictement les dispositions de la directive de 1985 ou bien, au contraire, faut-il faire preuve de souplesse et adapter certaines dispositions afin de préserver le droit à réparation des victimes ? Ces questions sont au cœur d’un litige qui oppose une patiente au laboratoire Sanofi et dans lequel les juges du fond ont transmis trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’attente de la décision, nous proposons de revenir sur les conclusions de l’avocate générale, présentées le 19 juin dernier.
Commençons par un bref rappel des faits. En 2003, une patiente s’est fait administrer un vaccin fabriqué par le laboratoire Sanofi Pasteur. En 2004, elle a commencé à présenter divers symptômes. Elle a ensuite subi différents examens médicaux, dont une biopsie en 2008, qui a révélé que la patiente était atteinte d’une pathologie neurologique induite par l’hydroxyde d’aluminium utilisé dans de nombreux vaccins. En 2015, la Commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI) a été saisie et a ordonné une expertise. À la suite du rapport qui a conclu à l’absence d’arguments permettant d’imputer la maladie au vaccin, la CCI a rejeté la demande de la victime. Cette dernière a, finalement, assigné trois défendeurs, dont le laboratoire Sanofi Pasteur, en 2020. Elle s’est appuyée sur deux fondements : la responsabilité du fait des produits défectueux et la responsabilité pour faute.
En 2021, le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire d’Alençon a constaté que l’action était prescrite. Un an plus tard, la Cour d’appel de Caen a également débouté la victime de ses demandes. Le 5 juillet 2023, la Cour de cassation a censuré cette décision, en considérant qu’en présence d’une pathologie évolutive, le délai triennal de prescription propre à la responsabilité du fait des produits défectueux ne peut commencer à courir tant qu’il est impossible de fixer une date de consolidation (Civ. 1re, 5 juill. 2023, n° 22-18.914, Dalloz actualité, 6 oct. 2023, obs. A. Cayol ; D. 2023. 1310  ; ibid. 2024. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
 ; ibid. 2024. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; RTD civ. 2023. 908, obs. P. Jourdain
 ; RTD civ. 2023. 908, obs. P. Jourdain  ).
).
Saisie sur renvoi, la Cour d’appel de Rouen a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne trois questions préjudicielles. La première porte sur l’interprétation de l’article 13 de la directive de 1985 et interroge, en substance, la possibilité d’invoquer contre le producteur une faute en lien avec le défaut du produit, et qui permettrait à la victime d’agir sur le terrain de la responsabilité du fait personnel. La seconde porte sur l’interprétation de l’article 11 de la directive, qui instaure un délai décennal de forclusion, et sur la validité de cet article dans le cas d’une pathologie évolutive au regard de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La troisième porte sur l’interprétation de l’article 10 de la directive qui prévoit un délai de prescription triennal et sur le point de départ de ce délai en présence d’une pathologie évolutive. Nous aborderons d’abord la question de la faute en lien avec le défaut du produit, puis celle du délai triennal, avant d’envisager celle du délai décennal. C’est en effet, nous semble-t-il, sur ce dernier point que la position de la Cour de justice est particulièrement attendue.
Sur le lien entre la faute du producteur et le défaut du produit
Dans l’affaire qui nous occupe, la victime argue du fait que le laboratoire Sanofi Pasteur est resté passif, n’a pris aucune mesure, alors qu’il avait connaissance du défaut du vaccin. Cette absence de réaction constituerait une faute, permettant à la victime d’agir sur le fondement de la responsabilité du fait personnel. De son côté, Sanofi Pasteur prétend que la faute qui est reprochée ne diffère pas du défaut de sécurité.
Rappelons, au préalable, que la responsabilité du fait des produits défectueux est un régime de responsabilité objective. Il repose sur le défaut du produit, et non sur une éventuelle faute du producteur : c’est donc une responsabilité de plein droit qui est instaurée (Rép. civ., v° Responsabilité du fait des produits défectueux, par C. Caillé, n° 5). C’est également un régime de responsabilité partiellement exclusif. En effet, et comme il est rappelé dans les conclusions (§ 19), il résulte de l’article 13 de la directive de 1985 et de son interprétation issue de l’arrêt González Sánchez (CJCE 25 avr. 2002, n° C-183/0, D. 2002. 2462  , note C. Larroumet
, note C. Larroumet  ; ibid. 2458, chron. J. Calais-Auloy
 ; ibid. 2458, chron. J. Calais-Auloy  ; ibid. 2937, obs. J.-P. Pizzio
 ; ibid. 2937, obs. J.-P. Pizzio  ; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud
 ; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud  ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain
 ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain  ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby
 ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby  ) que la victime d’un dommage ne peut se prévaloir d’autres régimes de responsabilité – contractuelle ou délictuelle – qu’à la condition que ces régimes reposent sur des fondements différents du défaut de sécurité du produit (Rép. civ., v° Responsabilité du fait des produits défectueux, préc., nos 101 s.). C’est le cas de la responsabilité pour faute, prévue en droit français à l’article 1240 du code civil. La question qui se pose est de savoir s’il est possible d’invoquer, sur le terrain de la responsabilité du fait personnel, une faute qui serait en lien avec le défaut du produit. Dans ce cas, le fondement est-il différent du défaut de sécurité ? Dans ses conclusions, l’avocate générale soutient que oui. Le comportement fautif du producteur est nécessairement en lien avec le défaut du produit, puisque ce qui est reproché au producteur c’est de ne pas avoir fait preuve de diligence et de ne pas avoir pris les mesures appropriées alors qu’il avait connaissance des risques découlant de la défectuosité du produit (§ 42). Mais la responsabilité engagée n’est pas exclusivement liée au défaut du produit : elle est aussi liée à la faute du producteur. La victime pourrait ainsi agir contre le producteur sur le terrain de la responsabilité du fait personnel en invoquant une faute en lien avec le produit. Le fondement serait bel et bien différent du défaut de sécurité. Une telle position s’entend, croyons-nous, si l’on raisonne en termes de causalité. En effet, dans l’hypothèse, comme en l’espèce, où le producteur a connaissance du défaut du produit et ne prend pas les mesures appropriées pour éviter des conséquences dommageables, le défaut du produit est, certes, présent dans la chaîne causale. Mais la faute du producteur joue un rôle causal tout aussi important, si ce n’est plus. Si le producteur avait pris les mesures appropriées, en retirant le produit de la circulation, par exemple, le dommage ne se serait sans doute pas réalisé. Le produit est défectueux, mais sans la faute du producteur, ce produit défectueux n’aurait sans doute pas causé le dommage. C’est la faute qui joue un rôle prépondérant dans la réalisation du dommage. Dès lors, elle est un fondement sur lequel la responsabilité du producteur peut être recherchée, et ce fondement est différent du défaut de sécurité du produit. Ajoutons que, dans l’affaire du Médiator, la Cour de cassation française a déjà pu considérer que la faute du producteur est établie lorsque ce dernier maintient en circulation un produit qu’il sait défectueux ou manque de vigilance quant aux risques présentés par le produit (Civ. 1re, 15 nov. 2023, nos 22-21.174, 22-21.178, 22-21.179 et 22-21.180, Dalloz actualité, 1er déc. 2023, obs. A. Cayol ; D. 2024. 150
) que la victime d’un dommage ne peut se prévaloir d’autres régimes de responsabilité – contractuelle ou délictuelle – qu’à la condition que ces régimes reposent sur des fondements différents du défaut de sécurité du produit (Rép. civ., v° Responsabilité du fait des produits défectueux, préc., nos 101 s.). C’est le cas de la responsabilité pour faute, prévue en droit français à l’article 1240 du code civil. La question qui se pose est de savoir s’il est possible d’invoquer, sur le terrain de la responsabilité du fait personnel, une faute qui serait en lien avec le défaut du produit. Dans ce cas, le fondement est-il différent du défaut de sécurité ? Dans ses conclusions, l’avocate générale soutient que oui. Le comportement fautif du producteur est nécessairement en lien avec le défaut du produit, puisque ce qui est reproché au producteur c’est de ne pas avoir fait preuve de diligence et de ne pas avoir pris les mesures appropriées alors qu’il avait connaissance des risques découlant de la défectuosité du produit (§ 42). Mais la responsabilité engagée n’est pas exclusivement liée au défaut du produit : elle est aussi liée à la faute du producteur. La victime pourrait ainsi agir contre le producteur sur le terrain de la responsabilité du fait personnel en invoquant une faute en lien avec le produit. Le fondement serait bel et bien différent du défaut de sécurité. Une telle position s’entend, croyons-nous, si l’on raisonne en termes de causalité. En effet, dans l’hypothèse, comme en l’espèce, où le producteur a connaissance du défaut du produit et ne prend pas les mesures appropriées pour éviter des conséquences dommageables, le défaut du produit est, certes, présent dans la chaîne causale. Mais la faute du producteur joue un rôle causal tout aussi important, si ce n’est plus. Si le producteur avait pris les mesures appropriées, en retirant le produit de la circulation, par exemple, le dommage ne se serait sans doute pas réalisé. Le produit est défectueux, mais sans la faute du producteur, ce produit défectueux n’aurait sans doute pas causé le dommage. C’est la faute qui joue un rôle prépondérant dans la réalisation du dommage. Dès lors, elle est un fondement sur lequel la responsabilité du producteur peut être recherchée, et ce fondement est différent du défaut de sécurité du produit. Ajoutons que, dans l’affaire du Médiator, la Cour de cassation française a déjà pu considérer que la faute du producteur est établie lorsque ce dernier maintient en circulation un produit qu’il sait défectueux ou manque de vigilance quant aux risques présentés par le produit (Civ. 1re, 15 nov. 2023, nos 22-21.174, 22-21.178, 22-21.179 et 22-21.180, Dalloz actualité, 1er déc. 2023, obs. A. Cayol ; D. 2024. 150  , note V. Rivollier
, note V. Rivollier  ; ibid. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
 ; ibid. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; ibid. 500, chron. E. Buat-Ménard, C. de Cabarrus, A. Daniel, A. Feydeau-Thieffry et S. Robin-Raschel
 ; ibid. 500, chron. E. Buat-Ménard, C. de Cabarrus, A. Daniel, A. Feydeau-Thieffry et S. Robin-Raschel  ; RDSS 2024. 162, obs. J. Peigné
 ; RDSS 2024. 162, obs. J. Peigné  ; RTD civ. 2024. 130, obs. P. Jourdain
 ; RTD civ. 2024. 130, obs. P. Jourdain  ). La faute du producteur pourrait donc se référer à la défectuosité du produit, en restant un fondement différent du défaut de sécurité.
). La faute du producteur pourrait donc se référer à la défectuosité du produit, en restant un fondement différent du défaut de sécurité.
Sur le point de départ du délai triennal de prescription
Pour rappel, l’article 10 de la directive de 1985 prévoit un délai spécial de prescription, de trois ans. Ce délai commence à courir à partir de la connaissance, ou de la connaissance présumée, du dommage (§ 110). En 2022, la Cour d’appel de Caen avait déclaré irrecevables les demandes de la victime, au motif que son action était prescrite, sans examiner si son état était consolidé.
Selon l’avocate générale, la détermination du point de départ de ce délai pose problème dans le cas d’une pathologie évolutive, puisque la victime n’est pas en mesure d’évaluer la nature du dommage subi (§ 115). Dans ce cas de figure particulier, deux solutions sont possibles : soit on retient comme point de départ la date à laquelle le dommage apparaît de façon certaine, ce qui correspondrait, pour le cas d’une pathologie évolutive, à la date des premiers symptômes ; soit on retient la date de consolidation (§ 111). Il ressort des conclusions que la juridiction de renvoi avait opté pour la première proposition (§ 116). Mais, selon l’avocate générale, cette solution porterait gravement atteinte à la possibilité pour la personne lésée d’introduire de manière effective une action en réparation. La victime pourrait en effet être dissuadée d’agir en justice : à quoi bon engager une procédure coûteuse, pour obtenir une indemnisation qui ne serait que partielle (§ 116) ? Certes, il existe l’exemple du gouvernement allemand, qui a introduit la possibilité d’une action déclaratoire pour les préjudices progressifs. Cette solution est applicable, outre-Rhin, dans le cas des dommages ultérieurs auxquels on peut typiquement s’attendre. Mais, précisément, la pathologie évolutive est un dommage atypique, imprévisible, pour lequel cette solution ne serait pas pertinente (§ 118).
Une autre solution, qui consisterait à imposer à la victime d’augmenter progressivement le montant de l’indemnité réclamée n’est guère plus heureuse en ce qu’elle serait coûteuse et chronophage (§ 120). Quant à la possibilité de s’en remettre aux différentes approches qui pourraient exister dans les droits nationaux, elle se heurte à l’impératif d’instaurer un délai de prescription uniforme, dans l’intérêt du consommateur et du producteur (Dir. 85/374/CEE du 25 juill. 1985, consid. 10 ; Concl. avocate générale, § 120).
Les conclusions proposent, finalement, de retenir comme point de départ du délai triennal la date de consolidation. Ce n’est en effet qu’à cette date que la victime a une connaissance complète de son dommage et qu’elle est en mesure d’en demander la réparation intégrale (§ 105). En somme, si on veut garantir à la victime la réparation intégrale de son préjudice, il faut retenir comme point de départ du délai triennal la date de consolidation, pour le cas particulier des pathologies évolutives. La solution proposée semble pertinente, en particulier si on garde à l’esprit le considérant 9 de la directive, qui précise que la réglementation relative aux produits défectueux a comme objectif la protection des consommateurs, qui exige une réparation en cas de décès et de lésions corporelles. Certes, l’impératif d’indemnisation n’est pas le seul objectif poursuivi par la directive, car on pourrait également mentionner le rapprochement des législations des États membres afin de ne pas fausser la concurrence ni affecter la libre circulation des marchandises (consid. 1er) ou une juste répartition des risques entre la victime et le producteur (consid. 7). Mais l’impératif d’indemnisation des victimes nous semble particulièrement prégnant, notamment lorsque l’on observe la jurisprudence française en matière sanitaire ou phytosanitaire (v. l’affaire du Médiator, Civ. 1re, 15 nov. 2023, nos 22-21.174, 22-21.178, 22-21.179 et 22-21.180, préc. ; v. égal., l’affaire Monsanto, Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, Dalloz actualité, 25 nov. 2020, obs. A. Hacene ; D. 2020. 2064  ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
 ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet
 ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet  ; RTD civ. 2021. 155, obs. P. Jourdain
 ; RTD civ. 2021. 155, obs. P. Jourdain  ; RTD eur. 2021. 382, obs. A. Jeauneau
 ; RTD eur. 2021. 382, obs. A. Jeauneau  ; M. Hoyer, R. Bigot et E. Petitprez, Monsanto et les sept péchés capitaux – Épilogue de la « saga du Lasso » par la condamnation du producteur sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil », Lexbase Hebdo éd. privée, n° 845, 26 nov. 2020). Ajoutons, enfin, que la date de consolidation est parfois d’ores et déjà retenue comme point de départ du délai de prescription. Ainsi, en droit français, l’article 2226 du code civil prévoyant un délai de prescription décennal en cas de dommage corporel fixe comme point de départ de ce délai « la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ». Il n’y a donc rien de choquant à proposer comme point de départ du délai triennal la date de consolidation pour le cas particulier des pathologies évolutives.
 ; M. Hoyer, R. Bigot et E. Petitprez, Monsanto et les sept péchés capitaux – Épilogue de la « saga du Lasso » par la condamnation du producteur sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil », Lexbase Hebdo éd. privée, n° 845, 26 nov. 2020). Ajoutons, enfin, que la date de consolidation est parfois d’ores et déjà retenue comme point de départ du délai de prescription. Ainsi, en droit français, l’article 2226 du code civil prévoyant un délai de prescription décennal en cas de dommage corporel fixe comme point de départ de ce délai « la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ». Il n’y a donc rien de choquant à proposer comme point de départ du délai triennal la date de consolidation pour le cas particulier des pathologies évolutives.
Sur la validité du délai décennal de forclusion
L’article 11 de la directive prévoit que passé un délai de dix ans à compter de la mise en circulation du produit, la responsabilité du producteur est éteinte. Ce délai est diversement qualifié : « délai de responsabilité », qui rappellerait le délai des articles 1792 et 2270 du code civil (C. Larroumet, La responsabilité du fait des produits défectueux après la loi du 19 mai 1998, D. 1998. 311  ), délai de forclusion, qui serait lié à une présomption de péremption du produit (G. Viney, L’introduction en droit français de la directive européenne du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité civile du fait des produits défectueux, D. 1998. 291
), délai de forclusion, qui serait lié à une présomption de péremption du produit (G. Viney, L’introduction en droit français de la directive européenne du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité civile du fait des produits défectueux, D. 1998. 291  ), ou encore délai de protection (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil, Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 1232), mais il n’est pas considéré comme un délai de prescription. À ce titre, la seule possibilité pour les victimes d’empêcher l’extinction de leur droit est d’agir contre le producteur pendant cet intervalle de dix ans. Dans l’affaire qui nous occupe, la juridiction de renvoi a émis des doutes sur la compatibilité de ce délai avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – qui prévoit le droit à un recours effectif devant un tribunal – lorsqu’il est question de pathologies évolutives. À la lecture des conclusions, le délai décennal prévu par l’article 11 de la directive serait incompatible avec l’article 47 de la Charte, à deux égards.
), ou encore délai de protection (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil, Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 1232), mais il n’est pas considéré comme un délai de prescription. À ce titre, la seule possibilité pour les victimes d’empêcher l’extinction de leur droit est d’agir contre le producteur pendant cet intervalle de dix ans. Dans l’affaire qui nous occupe, la juridiction de renvoi a émis des doutes sur la compatibilité de ce délai avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – qui prévoit le droit à un recours effectif devant un tribunal – lorsqu’il est question de pathologies évolutives. À la lecture des conclusions, le délai décennal prévu par l’article 11 de la directive serait incompatible avec l’article 47 de la Charte, à deux égards.
D’abord, le droit d’accès à un tribunal n’est pas un droit absolu, et il peut comporter des restrictions proportionnées. Ces restrictions sont possibles si elles sont prévues par la loi, et si elles respectent le contenu essentiel du droit (§§ 68, 69 et 70). Or, le délai instauré à l’article 11 ne respecterait pas le contenu essentiel du droit garanti par l’article 47 de la Charte. Le gouvernement néerlandais, la Commission et le Conseil ont pu soutenir le contraire, au motif que la victime pouvait toujours introduire une action sur le fondement du droit national de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Mais, comme le relève, à juste titre selon nous, l’avocate générale, c’est oublier que l’article 47 garantit le droit à un recours effectif devant un tribunal à toutes les personnes « dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés ». L’article liant ainsi le droit d’accéder à un tribunal et le respect des droits garantis par l’Union, il convient d’examiner la compatibilité de l’article 11 de la directive avec l’article 47 de la Charte indépendamment des droits qui peuvent être accordés aux victimes par les droits nationaux (en ce sens, § 76). C’est alors en raison de son caractère inconditionnel que le délai décennal porterait atteinte au contenu essentiel du droit d’accès à un tribunal.
Le délai de l’article 11 a vocation à s’appliquer systématiquement, à toute personne lésée, sans exception et sans prendre en compte la nature du préjudice et la capacité de la victime à évaluer ce préjudice. Il est donc inconditionnel. Or, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà considéré, dans une affaire qui concernait des victimes exposées à l’amiante, que l’application d’un délai de forclusion inconditionnel avait limité l’accès à un tribunal, au point de porter atteinte à la substance du droit des requérants (CEDH 11 mars 2014, Howald Moor c/ Suisse, n° 52067/10, D. 2014. 1019  , note J.-S. Borghetti
, note J.-S. Borghetti  ; ibid. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
 ; ibid. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon  ; Dr. soc. 2015. 719, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly
 ; Dr. soc. 2015. 719, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly  ). S’agissant des pathologies évolutives, la Cour a considéré qu’en raison du caractère évolutif de la maladie, la victime ne peut pas pleinement évaluer son préjudice tant qu’il n’est pas consolidé et n’est donc pas en mesure d’agir en justice (CEDH 13 févr. 2020, Sanofi Pasteur c/ France, n° 25137/16, Dalloz actualité, 24 févr. 2020, obs. A. Palanco ; AJDA 2020. 1809
). S’agissant des pathologies évolutives, la Cour a considéré qu’en raison du caractère évolutif de la maladie, la victime ne peut pas pleinement évaluer son préjudice tant qu’il n’est pas consolidé et n’est donc pas en mesure d’agir en justice (CEDH 13 févr. 2020, Sanofi Pasteur c/ France, n° 25137/16, Dalloz actualité, 24 févr. 2020, obs. A. Palanco ; AJDA 2020. 1809  , note J.-B. Sibileau
, note J.-B. Sibileau  ; D. 2020. 2142, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
 ; D. 2020. 2142, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon  ; AJ pénal 2020. 310, obs. J.-B. Thierry
 ; AJ pénal 2020. 310, obs. J.-B. Thierry  ). Partant, l’application inconditionnelle d’un délai de forclusion aux victimes souffrant d’une pathologie évolutive serait de nature à porter atteinte au droit d’accès à un tribunal dès lors que la victime est empêchée d’agir avant même qu’elle ne soit en mesure d’évaluer pleinement son préjudice (§ 82). Les gouvernements néerlandais et allemand ont contré cette assertion, en arguant du fait que la victime d’une pathologie évolutive peut agir dès que le préjudice existe, quand bien même il serait susceptible ensuite de s’accroître. Également, il incomberait aux États membres de permettre aux personnes lésées de former un recours avant l’expiration du délai de forclusion. La victime pourrait notamment introduire une action déclaratoire. Ces approches seraient toutefois à écarter selon l’avocate générale. La seconde serait difficilement compatible avec l’objectif d’harmonisation complète du délai, et la première exposerait la victime à un risque d’expertise défavorable, qui entraînerait une indemnisation incomplète, voire inexistante. En ne tenant pas compte de la situation particulière des victimes souffrant de pathologies évolutives, le délai prévu à l’article 11 de la directive ne respecterait donc pas le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 47 de la Charte.
). Partant, l’application inconditionnelle d’un délai de forclusion aux victimes souffrant d’une pathologie évolutive serait de nature à porter atteinte au droit d’accès à un tribunal dès lors que la victime est empêchée d’agir avant même qu’elle ne soit en mesure d’évaluer pleinement son préjudice (§ 82). Les gouvernements néerlandais et allemand ont contré cette assertion, en arguant du fait que la victime d’une pathologie évolutive peut agir dès que le préjudice existe, quand bien même il serait susceptible ensuite de s’accroître. Également, il incomberait aux États membres de permettre aux personnes lésées de former un recours avant l’expiration du délai de forclusion. La victime pourrait notamment introduire une action déclaratoire. Ces approches seraient toutefois à écarter selon l’avocate générale. La seconde serait difficilement compatible avec l’objectif d’harmonisation complète du délai, et la première exposerait la victime à un risque d’expertise défavorable, qui entraînerait une indemnisation incomplète, voire inexistante. En ne tenant pas compte de la situation particulière des victimes souffrant de pathologies évolutives, le délai prévu à l’article 11 de la directive ne respecterait donc pas le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 47 de la Charte.
Ensuite, le délai décennal ne respecterait pas le principe de proportionnalité, lorsqu’il s’applique aux personnes atteintes de pathologies évolutives. En vertu de ce principe, il est possible de poser des limites aux droits et libertés consacrés dans la Charte, à la condition que ces limites soient appropriées et nécessaires à la satisfaction d’objectifs légitimes poursuivis ou du besoin de protection des droits et libertés d’autrui (§ 91). L’article 11 répondrait alors à un objectif d’intérêt général de sécurité juridique. Dans la mesure où la responsabilité sans faute qui pèse sur le producteur est supérieure à celle d’un régime national de responsabilité, il est important de procurer une sécurité juridique au producteur, en limitant sa responsabilité à une durée raisonnable, tenant compte de l’usure des produits, de la sévérité croissante des normes de sécurité et de l’amélioration constante des connaissances scientifiques et techniques (en ce sens, §§ 48, 93 et 96). Mais, à la lecture des conclusions, il apparaît que le délai de dix ans qui pourrait paraître suffisamment long n’est pas adapté à certains cas exceptionnels, comme les pathologies évolutives. Les victimes sont en effet empêchées d’agir, alors même qu’elles ne sont pas restées inactives : elles ont simplement la « malchance » de souffrir d’une pathologie évolutive, et ne sont pas en mesure d’évaluer pleinement leur état et d’introduire un recours contre le producteur pendant ce délai (§§ 98 et 103). La solution, proposée par la Commission, qui consisterait pour les victimes à introduire un recours pendant le délai et à obtenir un certain dédommagement, ne paraît guère satisfaisante : l’indemnisation ne serait que partielle (§ 99). Quant au fait de s’en remettre au droit national, qui pourrait permettre à la victime de demander une suspension du traitement de son affaire en attendant que son état soit consolidé, cela heurte, une nouvelle fois, l’objectif d’harmonisation complète du délai (§ 100). Enfin, les conclusions mentionnent la nouvelle directive relative aux produits défectueux, dont l’article 17 prévoit un délai de forclusion dérogatoire pour le cas particulier des personnes souffrant de lésions corporelles dont les symptômes sont d’apparition lente (Dir. [UE] 2024/2853, 23 oct. 2024, JOUE 18 nov., art. 17). Le délai n’est alors pas de dix ans, mais de vingt-cinq ans. Cette modification législative illustrerait le fait que, pour certains dommages qui ont la particularité d’évoluer dans le temps, le délai décennal n’est pas adapté (pour une présentation de la nouvelle directive, v. E. Petitprez et R. Bigot, Premières vues sur la directive européenne [UE] 2024/2853 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, Dalloz actualité, 28 nov. 2024).
Au terme de cette longue argumentation visant à remettre en cause l’article 11 de la directive, l’avocate générale considère que cet article est invalide au regard de l’article 47 de la Charte. Entre les deux impératifs qui sont, d’une part, de protéger le consommateur et, d’autre part, d’assurer au producteur une certaine sécurité juridique, on comprend bien que c’est le premier qui doit primer selon l’avocate générale. Et c’est sur cette question préjudicielle en particulier que la réponse de la Cour de justice est attendue. La Cour va-t-elle s’en tenir à la lettre du texte et maintenir le délai décennal ? Ou, au contraire, va-t-elle faire preuve d’un peu plus de souplesse, reconnaître la particularité des pathologies évolutives et faire primer l’impératif de protection du consommateur et d’indemnisation des victimes ?
Concl. de l’avocate générale L. Medina, 19 juin 2025, Sanofi Pasteur SA, aff. C‑338/24
par Eugénie Petitprez, Maître de conférences en droit privé à l’Université de Picardie Jules Verne, CEPRISCA
© Lefebvre Dalloz