La rétroactivité du sursis probatoire décidé en appel ou les dangers du voyage temporel

Le délai de probation d’un nouveau sursis probatoire prononcé par un arrêt d’appel ayant infirmé un jugement assorti de l’exécution provisoire sur une peine d’emprisonnement avec sursis probatoire débute au jour du jugement de première instance. Le cas échéant, toute révocation du sursis ordonnée par un juge d’application des peines avant le prononcé de l’arrêt d’appel doit être considérée comme caduque.

Certaines questions de droit sont plus difficiles à traiter que les autres. Tel est le cas lorsque la loi et la jurisprudence n’apportent pas de réponses et que la doctrine semble absente. La demande d’avis présentée par le Tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu le 16 juin 2025 appartient à cette catégorie de questions. À la lecture des travaux préparatoires de la décision commentée, on comprend que les sources officielles n’étaient d’aucun secours en l’espèce : une partie des développements du rapport et de l’avis sont fondés sur le mémento de l’application des peines diffusé par l’École nationale de la magistrature (ENM) et des extraits de la foire aux questions (FAQ) de la Direction des affaires criminelles et des grâces. Pour sa part, la chambre criminelle a privilégié une approche conséquentialiste, en prenant en compte l’incidence qu’aurait sa décision pour guider son raisonnement. 

Les énoncés étaient les suivants : « Quel est le point de départ du délai du sursis probatoire prononcé avec exécution provisoire en cas d’arrêt d’appel infirmatif (soit sur le délai d’épreuve, soit sur les obligations, soit sur la partie ferme, soit sur le quantum de la peine prononcée avec sursis probatoire), dès lors qu’un sursis probatoire est de nouveau prononcé ? » ; et « Si le sursis probatoire débute lors de la décision de première instance, la révocation intervenue entre temps doit-elle être mise à exécution ou devient-elle caduque ? ».

Pour concrétiser ces interrogations, on peut se référer aux données de l’espèce. Par un jugement du 11 juin 2021, un homme a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement dont douze mois avec sursis probatoire pendant deux ans. La peine prévoyait une obligation de travail et de soins, et des interdictions de contact avec la victime et de paraître à son domicile. Des manquements répétés aux obligations ont conduit à la révocation totale du sursis probatoire par un jugement du 22 novembre 2022, confirmé par un arrêt du 15 mars 2023. En parallèle, la procédure d’appel contre la condamnation a suivi son cours et a abouti à un arrêt du 2 mai 2023 dans lequel la chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Grenoble a déclaré le prévenu coupable et a prononcé une peine de douze mois d’emprisonnement assorti de sursis probatoire pour une période de dix-huit mois, avec une obligation de travail, de justification de paiement de pensions alimentaires et de justification de paiement de sommes dues au trésor public. Le ministère public a par la suite sollicité une prolongation du délai de probation, et c’est dans le cadre de cette instance que la demande d’avis a été transmise.

La conclusion de l’avis de la Cour de cassation est que la révocation du sursis devient caduque lorsque le jugement est infirmé. Pour parvenir à ce résultat, elle a retenu que le sursis prononcé dans l’arrêt infirmatif commençait à courir à compter du jugement assorti de l’exécution provisoire.

La caducité de la révocation du sursis : une solution (en partie) dictée par les textes

Le sursis probatoire est une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement. Il remplace l’ancien sursis avec mise à l’épreuve depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. Son régime est décrit aux articles 132-40 et suivants du code pénal. Au cours du délai de probation, qui peut aller de douze mois à sept ans (C. pén., art. 132-42), le condamné s’engage à respecter certaines obligations. En principe, le délai de probation commence à courir lorsque la condamnation devient définitive, c’est-à-dire à l’expiration des délais pour exercer les voies de recours (C. pr. pén., art. 708). L’appel ou le pourvoi en cassation ayant un effet suspensif, la période de probation ne commence pas si ces recours sont exercés, à moins que le juge décide d’assortir la peine de l’exécution provisoire (C. pr. pén., art. 471, al. 4 et C. pén., art. 132-41). Le cas échéant, le point de départ du délai de probation est le prononcé du jugement. Le sursis probatoire est susceptible d’être révoqué par le juge d’application des peines lorsque le condamné n’a pas satisfait aux mesures de contrôle et aux obligations particulières qui lui étaient imposées (C. pén., art. 132-47). Jusqu’en 2005, cette révocation du sursis n’était pas possible si la condamnation n’était pas définitive. C’est la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 qui a ouvert la possibilité de révoquer le sursis avec mise à l’épreuve assorti de l’exécution provisoire. En contrepartie, le législateur a précisé que si cette révocation est ordonnée alors que la condamnation n’a pas encore acquis un caractère définitif, elle devient caduque dans le cas où cette condamnation serait ultérieurement infirmée ou annulée. Cette indication est tout à fait cohérente avec les règles gouvernant les voies de recours : l’infirmation des dispositions d’un jugement joue de manière rétroactive au jour du jugement. Dès lors, les actes subséquents qui ont pour support nécessaire ces dispositions doivent aussi tomber.

Dans le présent avis, la Cour de cassation se réfère expressément à la dernière phrase du second alinéa de l’article 132-47 du code pénal pour retenir qu’en cas d’infirmation de la condamnation à un sursis probatoire, sa révocation est caduque (pt 8). Elle devait toutefois apporter une précision au texte : que faut-il entendre par « condamnation infirmée » ? Le manque de clarté de cette expression a été relevé par la conseillère référendaire, qui indique que « la jurisprudence et la doctrine ne précisent pas ce qu’il faut entendre par l’infirmation de la condamnation initiale de nature à engendrer la caducité du jugement de révocation ». En l’espèce, la cour d’appel avait mentionné dans son arrêt que le sursis probatoire était infirmé, mais elle en avait tout de même prononcé un autre, avec d’autres modalités. L’infirmation n’était donc que partielle. Dans cette situation, l’avocate générale a préconisé de ne retenir la caducité de la révocation du sursis que dans deux hypothèses : soit la cour d’appel réduit la durée de la période probatoire, soit elle change les obligations. Le cas échéant, il faut alors rétroactivement appliquer ces modalités à compter du jugement et apprécier si la révocation pouvait être prononcée dans les mêmes conditions. Si ce n’est pas le cas, elle est alors caduque. La Cour de cassation n’a pas suivi cette suggestion et a plutôt privilégié une solution unique : en matière d’emprisonnement avec sursis probatoire, toute modification par la cour d’appel du quantum, de la durée du délai de probation ou des obligations vaut infirmation. Elle retient donc la même solution si l’infirmation est totale ou seulement partielle. On ne peut pas lui reprocher de choisir cette interprétation, qui est une forme d’application de l’adage ubi lex non distinguit et qui a en outre le mérite de la simplicité. Cependant, avec l’avocate générale, on s’inquiétera des effets que pourrait avoir cette solution. Étant donné que la moindre modification des modalités du sursis probatoire entraînera une caducité de sa révocation, on peut craindre que les cours d’appel éviteront de prendre des risques et opteront plus souvent pour une confirmation pure et simple de la peine. Cette précaution contrevient néanmoins à la mission des juges, y compris ceux du second degré, d’individualiser la peine.

Fixation du point de départ du sursis probatoire décidé en appel : le choix (discutable) de la rétroactivité

La première question de la demande d’avis revenait à se demander quel était le point de départ du sursis probatoire décidé en appel. Plusieurs hypothèses doivent ici être distinguées. La première, non traitée en l’espèce, est celle où le tribunal correctionnel n’avait pas condamné à un sursis probatoire mais que la cour d’appel le décide. Le cas échéant, le point de départ de la période de probation est le jour où l’arrêt d’appel devient exécutoire, soit parce qu’il n’est plus susceptible de recours suspensif, soit parce qu’il est assorti de l’exécution provisoire. Il est inenvisageable de le faire rétroagir au jour du jugement ; cela reviendrait à imposer des obligations à une personne sans l’en informer. La deuxième hypothèse est celle où la cour d’appel confirme intégralement le sursis probatoire qui avait été prononcé en première instance. Dans ce cas, la Cour de cassation retient que le délai de probation commence à courir au jour du jugement (pt 2). La troisième hypothèse est celle où la cour d’appel infirme le jugement sur la peine tout en prononçant une nouvelle peine d’emprisonnement assortie du sursis probatoire mais en modifiant le quantum, la durée du délai de probation ou les obligations. Dans ce cadre, la chambre criminelle distingue deux situations : si le jugement n’était pas assorti de l’exécution provisoire, la peine s’applique dans toutes ses modalités dès que l’arrêt est exécutoire (pt 5), alors que si le jugement avait assorti la peine d’emprisonnement avec sursis probatoire de l’exécution provisoire, le délai de probation doit débuter au jour du jugement (pt 6).

Pour justifier son avis, la Cour de cassation met en avant les conséquences qu’aurait la solution qui consisterait à retenir comme point de départ l’arrêt d’appel (pt 7). En raison de l’exécution provisoire, le condamné doit respecter les obligations du sursis probatoire dès le prononcé du jugement, nonobstant l’appel. Avant que les juges du second degré ne statuent, la période probatoire peut arriver à son terme. L’infirmation du jugement et le prononcé d’un nouveau sursis probatoire imposeraient alors à nouveau une série d’obligations au condamné. La Cour de cassation voit dans cette situation une forme de double peine de même nature pour la même infraction, ce qu’elle entend éviter. Il n’est pourtant pas inhabituel que l’exécution provisoire des jugements délictuels conduise à des situations particulièrement dures pour les mis en cause. On peut prendre l’exemple du prévenu condamné à une peine d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt qui se voit relaxé en appel. La peine étant infirmée, il faudrait remettre les parties dans le statu quo ante. Toutefois, le passé ne saurait être effacé et seule une réparation de la privation de liberté injustifiée peut être envisagée (C. pr. pén., art. 149 s.).

Sans remettre en question la solution retenue en matière de caducité de la révocation du sursis probatoire, on peut s’étonner que cette modalité de l’emprisonnement déploie ses effets avant son prononcé. Bien que l’infirmation de chefs d’un jugement anéantisse rétroactivement les dispositions concernées, la question du caractère exécutoire d’une peine obéit à d’autres règles. Surtout, l’affirmation d’une rétroactivité générale du sursis probatoire prononcé en appel dès lors que le jugement prévoyait un sursis probatoire assorti de l’exécution provisoire entraîne des situations paradoxales. Quid lorsque le sursis probatoire est infirmé en raison d’un changement des obligations ? Faut-il considérer que le condamné était rétroactivement tenu de respecter les obligations prescrites par la cour d’appel ? Ce résultat serait absurde. Il faut toutefois remarquer que la Cour de cassation n’écrit pas que le sursis probatoire rétroagit dans toutes ses modalités, mais seulement que le délai de probation débute au jour du jugement. Il est possible que la chambre criminelle soutienne implicitement une forme de dissociation des modalités du sursis probatoire et que, même si le délai de probation commence à courir rétroactivement, les nouvelles obligations ne s’imposent quant à elles qu’à partir du moment où l’arrêt d’appel est devenu exécutoire. Cependant, même en admettant cette solution, la rétroactivité pose d’autres difficultés en cas d’augmentation de la durée de la période de probation.

Imaginons qu’un jugement du 1er septembre 2025 condamne un prévenu à trois ans d’emprisonnement avec sursis probatoire pendant douze mois avec exécution provisoire. Les obligations du sursis sont notamment de ne pas fréquenter les débits de boissons et de ne pas fréquenter les complices de l’infraction jugée (C. pén., art. 132-44). Le condamné, ne reconnaissant pas sa culpabilité, interjette appel, tout comme le ministère public qui estime que la peine n’est pas adaptée. Le 1er septembre 2026, la période de probation prend fin. Le lendemain, le prévenu décide de fêter le caractère non avenu de sa condamnation en invitant ses anciens complices dans un troquet. L’arrêt d’appel est rendu quelques mois plus tard, à l’issue d’une audience du 15 mars 2027. Le prévenu est alors condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis probatoire pendant dix-huit mois avec exécution provisoire. En application des règles énoncées dans le présent avis, le délai de probation débute rétroactivement au 1er septembre 2025, pour se terminer au 1er mars 2027. Par conséquent, la fête du 2 septembre 2026, qui était tout à fait légale au moment où elle a eu lieu, devient un manquement aux obligations du sursis probatoire. Dès lors, rien n’empêche un juge de l’application des peines de révoquer le sursis. En effet, le caractère non avenu de la condamnation ne fait pas obstacle à la révocation du sursis tant que le manquement a été commis avant l’expiration du délai de probation (C. pén., art. 132-52). En outre, le délai de forclusion d’un mois à compter de l’expiration du délai de probation (C. pr. pén., art. 712-20) court jusqu’au 1er avril 2027. Enfin, la règle selon laquelle la révocation est caduque en cas d’infirmation du jugement est ici inopérante, puisque la révocation n’a pas eu lieu avant l’arrêt d’appel. En outre, s’il n’y a pas eu de pourvoi en cassation dans un délai de dix jours francs à compter du prononcé de l’arrêt (C. pr. pén., art. 568), la condamnation devient définitive, ce qui fait obstacle à l’application de la disposition prévue par la dernière phrase du second alinéa de l’article 132-47 du code pénal. On pourrait objecter que les conseillers de cour d’appel veilleront à ne pas rendre de décisions qui pourraient aboutir à ce résultat. Cependant, la seule possibilité théorique de parvenir à une solution absurde démontre l’imperfection de la règle.

Comment maintenir la possibilité de prononcer l’exécutoire provisoire d’un sursis probatoire, tout en évitant que le condamné n’ait à en respecter deux successivement en cas de modification des modalités de la peine et en contournant les affres de la rétroactivité ? Il n’y a guère qu’une solution : prévoir que la durée de sursis probatoire effectuée à titre provisoire s’impute sur la durée du sursis probatoire définitif. En somme, il suffirait d’adapter la solution qui prévaut pour l’emprisonnement ferme. La durée de l’emprisonnement effectué après le jugement de première instance en raison d’un mandat de dépôt est déduite de la peine d’emprisonnement prononcée par la cour d’appel (C. pr. pén., art. 716-4). Cette solution permet que le délai de probation commence à partir du jour où l’arrêt d’appel devient exécutoire tout en évitant de la subir deux fois. Si l’on reprend l’exemple du paragraphe précédent, cette solution conduirait à faire courir un délai de sursis probatoire de six mois seulement à compter du 15 mars 2027, douze mois ayant déjà été effectués à titre provisoire. Cette solution n’était toutefois pas envisageable pour la Cour de cassation, car, en raison de son caractère dérogatoire aux principes de la procédure d’appel et du droit de la peine, elle suppose d’être prévue par un texte.

Pour mettre fin à l’insécurité juridique, particulièrement regrettable lorsqu’il est question de privation de liberté, une intervention du législateur est requise. En dépit de leurs qualités, on ne saurait se contenter d’un mémo ENM et d’une FAQ de la Chancellerie pour répondre à ces questions. L’intervention est d’autant plus pressante que la question risque de se retrouver dans des termes analogues pour d’autres peines assorties de l’exécution provisoire. Supposons que le 1er septembre 2025, une personne a été condamnée en première instance à une peine d’un an d’inéligibilité, assortie de l’exécution provisoire. En appel, elle est condamnée par une décision du 1er mars 2027 à une peine de deux ans d’inéligibilité. Sur quelle période porte l’inéligibilité ? Du 1er septembre 2025 au 1er septembre 2026, puis du 1er mars 2027 au 1er mars 2029 (hypothèse non retenue de cumul) ? Du 1er septembre 2025 au 1er septembre 2026, puis du 1er septembre 2027 au 1er septembre 2028 (solution défendue) ? Ou du 1er septembre 2025 au 1er septembre 2027 (transposition de la solution retenue dans l’avis commenté) ? Si cette dernière solution est retenue, cela voudra dire qu’il faudra peut-être remettre en cause le sort d’élections régulières de la période 2026-2027 en raison de la rétroactivité de l’inéligibilité. Eu égard à toutes les critiques qui entourent actuellement l’exécution provisoire, il est urgent de mettre fin aux incertitudes. À ce titre, même s’il peut être critiqué, l’avis du 17 septembre 2025 est salutaire.

 

Crim., avis, 17 sept. 2025, FS-B, n° 25-96.001

par Théo Scherer, Maître de conférences, Université de Caen Normandie, Institut caennais de recherche juridique (UR 967)

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